La Flèche.

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  C'est le moment, plus celui d'hésiter, mais celui de passer à l'acte. Keelin se lève couverte de sang ; personne ne la surveille alors ses pieds foulent le sol, enjambant le cadavre. Penchée, elle piétine les mains liées cherchant quelque chose de tranchant pour couper ses cordes ou même se protéger. 

  Une incroyable monture attachée à un arbre attend, silencieuse. « S'échapper, pense Keelin. Mes liens peuvent attendre.»  Elle approche Bryts, mais l'animal hennit et la jeune ne peut s'en approcher sans le voir battre des sabots. Dans une dernière tentative désespérée, elle se retrouve projetée contre la terre, sonnée. Une forme floue passe devant ses yeux plissés.

« La chance me sourit, exclame la voix. Et la putain est déjà attachée, voilà l'aubaine de ma journée.

— Non ! implore Keelin.»

  Le monstre, petit au crâne brûlé se jette entre les jambes de Keelin. Elle se débat de tout son corps, mais avec les poignets liés, elle reste sans défense. Elle sent sa robe remonter sur sa peau, ses hurlements amusent l'homme fourrant sa main dans son pantalon, un rictus pervers aux lèvres. « Il n'y aura point d'aide, c'est fini, accepte-t-elle, que père soit sauvé de ne jamais le savoir.»

  Terrifiée, elle se retourne, rampant, sentant le membre de son agresseur toucher ses cuisses. L'angoisse laisse des flots de larmes jaillir de ses yeux épouvantés. Ses doigts tremblants agrippent la terre, effleurent quelque chose de dur et granulé, un caillou ? La roche est aussi grosse qu'une pomme et bien lourde. Elle l'attrape et en revers, donne un violent coup à l'homme. Ce dernier s'étale au sol, râlant, pestant des injures. Keelin bondit sur lui avec haine et de ses mains nouées, elle serre sa pierre pour frapper sa tête. Elle cogne, cogne de tout son poids, encore, encore et encore...

  Lorsqu'elle s'arrête, de la chair et du sang suintent de ses doigts. Elle dépose un regard vide à ses genoux imbibés de liquide pourpre et ne reconnaît pas ce qui s'y trouve. Naguère un visage, avec un nez ou un front ? Il ne reste plus qu'une plaie béante, creusée sans forme avec acharnement, les os broyés.

  Elle se laisse tomber, essoufflée à côté du corps exsangue. Une ombre la surplombe, elle entend un rire : « Bravo, la pucelle ! s'esclaffe Arvel en tapotant le ventre de Keelin en guise de récompense.» 

  Le bruit des claymores perforants et tranchants, strient les tympans bourdonnants de la prisonnière. Les battements de son cœur martèlent ses tempes : « Que se passe-t-il ? » Murmure Keelin qui se redresse, fébrile. Elle tient son ventre et régurgite une bille sur le sol baigné de sang.

  Elle titube, un pas après l'autre. Ses pieds accélèrent rapidement, alors qu'elle  évite de justesse les batailles. La peur devrait la tétaniser pourtant elle sent l'adrénaline dégorger de son être. Quel est ce sentiment qui la submerge, est-ce la vie du monstre, prise de ses mains qui la hante ?

  Keelin cherche une issue, entourée d'hommes agressifs, combattant avec acharnement. Ses yeux gris aperçoivent le jeune sauvageon près du lac, affrontant deux scélérats d'une seule et grande épée.  Au loin, un archer vise le brun. Son souffle reste suspendu : sa liberté se trouve loin de ce carnage. Elle remonte le sentier à grandes foulées, escaladant une montée de terre en direction des bois. Des assaillants la prennent en chasse, elle court, cherchant un endroit ou se terrer.

  Elle se cache derrière un arbre, de sa main tremblante, elle couvre ses bruyantes respirations essoufflées. Le cœur battant, Keelin entend les pas des hommes résonner au loin ; ils ne tarderont pas à la trouver. L'espace d'un instant, elle sent son corps s'enfoncer dans l'écorce. Elle lève la tête et aperçoit à quelques centimètres, une entaille. L'arbre semble creusé par la mort. L'esclave en fuite s'insère dans le tronc étrangement moite, ses pieds s'enfoncent dans une vase poisseuse, tandis qu'elle se colle contre les parois remugles.

  Des araignées luminescentes grimpent le long du bois, le trou étroit est sombre et humide. Des effluves de putréfactions lui donnent la nausée, ses poumons étouffant tant la chaleur de son corps transpirant condense dans ce purgatoire mystique.

« Tu l'as vue ? grince une voix aiguë.

— Rien, et toi ? réponds une autre.

— J'ai dû la perdre, il y a une centaine de mètres ; elle ne doit pas être loin, continuons ! »

  Enfouie dans la bouche de l'enfer, elle patiente de longues minutes. Elle y resterait des heures si les insectes, voraces, ne lui dévoraient pas les chevilles. Keelin profite de l'accalmie des bois pour s'extirper de sa cachette.

  Perdue, elle continue de fouler les ronces de la forêt, sans destination, mais non sans but ; sauver sa vie. Un craquement la surprend, deux hommes la contemplent :

« Te voilà beauté ! »

  Elle attrape un bâton et les monstres aux sourires édentés se moquent. Ils lui aboient bestialement dessus. Lorsque l'un d'entre eux s'approche, elle le repousse d'un coup, mais il saisit le bois et l'attire vers lui. Elle lâche prise et arrache douloureusement de ses mains attachées, un arbrisseau épineux. Keelin gifle le brigand, enfonçant aussi fort qu'elle le peut, les larges épines de deux pouces. Celles-ci perforent le globe jaunâtre sous les pleurs de l'homme, pratiquement éborgné.

  Un troisième bandit sorti de nulle part lui saute dans le dos, la plaquant au sol. Keelin fatigue, la corde de ses poignets est rougie par le sang, le sien, celui d'un autre. Ses mouvements sont faibles et si faciles à contrer. D'autres hommes s'avancent, elle ferme ses yeux gris avec l'espoir de mourir au plus tôt.

  Un hurlement la surprend, une tête tournoie devant son regard stupéfait. Elle roule sur le dos et distingue clairement Yrian. Le jeune brun combat, une flèche cassée plantée dans l'épaule. Le corps robuste du sauvage ne vacille pas. Il terrasse ses adversaires en deux, trois coups d'épée. Malgré le métal tâché par les vies prises, Keelin admire la souplesse de ses gestes et voit les rayons du soleil levant éblouir sa lame. 

  Un silence apaise la forêt, Yrian s'approche de Keelin toujours au sol, incapable de bouger. Une larme coule le long de sa joue blanche noircie par sa fuite . Il détaille avec curiosité la jeune fille, quelque chose semble avoir changé. Il passe ses bras sous les jambes griffées de l'esclave, l'espace d'une seconde, il sent le souffle chaud de la brune se soulager sur son torse avant de la voir s'évanouir.

  Yrian, blessé, porte son corps à travers les arbres. Ses longs cheveux de jais sentent le sang, tout comme ses haillons rougeâtres. Le voyage qui le ramène chez lui est tout juste entamé, Nevyriel est encore loin.

  Les épreuves ne font que commencer, pour l'un comme pour l'autre, la nature sauvage du destin leur réserve encore bien des surprises.

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