Yrs,Sacrifice

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La jeune paysanne s’enfuit cahin-caha, son souffle saccadé dessine une fine buée qui s’échappe de ses lèvres charnues. Elle ne reconnaît ni les sentiers d’Yrs son village enflammé, ni les têtes déformées par la terreur. L’aube, bousculée par l’assaut de ces barbares violents et inconnus, teinte le paysage de chaos. L’atmosphère se déchire entre la brume incendiaire et les premiers rayons du soleil, émaillant le ciel d’un rouge orangeâtre. Un cadavre, les yeux figés par la crainte, s’écrase au sol, une hache plantée dans le dos.

La fille en fuite se faufile entre deux cahutes de pierres enfumées, la gorge roussie par les braises laisse dans sa bouche un goût âcre de cendre tiède. Elle s’avance le plus silencieusement possible malgré ses poumons oppressés par les feux. Telle une souris chassée, craintive et aux aguets, elle protège sa vie qui ne tient plus qu’à un fil. Un fil de soie sur le point d’être arraché sauvagement.

Son père, second conseiller du dignitaire doit avoir fui depuis longtemps. L’espoir de le voir en sécurité lui fournit le courage de poursuivre. Il ne lui reste que quelques lieues avant la futaie si elle arrive à rejoindre les champs à la sortie du village. La chance lui sourira peut-être. Ses pieds froids couverts de boue maculent sa longue chemise de nuit beige. Lorsqu’elle tourne à un embranchement, on l’attire brusquement derrière un puits.

« Keelin, ce n’est que moi, chuchote la voix d’un garçon.

— Hael ? C’est toi ? C’est bien toi ? » Keelin, apeurée mais soulagée s’accroche à son cou.

Hael, un blond à qui elle était promise. Le dignitaire voulait unir son fils aîné en faveur de Keelin. Cela avait enchanté le créateur de cette dernière et si tel était le souhait de Lowel, alors qu’il en soit ainsi. La jeune fille, de ses quinze ans révolus, n’avait en son cœur que la résolution de faire le bonheur de son père. Hael se détache de sa fiancée essoufflée.

« Keelin, il faut qu’on quitte le village le plus vite possible.

— Oui, rejoignons mon père, il doit être avec le tien dans les grottes, à la lisière du bois.

— Ils n’y seront pas, l’endroit n’est plus sûr.

— Que veux-tu dire, marmonne la brune terrifiée à l’idée d’entendre la suite.

— Ils sont fait prisonniers sur la grande place. Keelin on ne peut plus rien pour eux. »

Alors que le jeune Hael lui prend la main, celle-ci lui échappe subitement. La jeune fille impétueuse s’élance dans les rues dévastées par le chagrin et la mort. « Qu’ont-ils fait ces barbares ? »

Après d’interminables minutes, elle aperçoit son père agenouillé, malmené par des sauvageons. Elle se glisse dans la mêlée, ramassant un large manche de fourche cassée. Un géant vêtu de zibeline frappe le pauvre homme à terre sous les acclamations des siens.

Ses longs cheveux de jais flottent dans les airs quand, avec hargne, elle matraque l’homme de toutes ses forces. Il recule de quelques pas, un lourd silence oppresse la place du village alors que tous les regards se posent sur la jeune fille tremblante.

« N’approche pas ! menace Keelin en position offensive. N’approche pas sale bête !

— Sale puterelle..., grogne Arvel en essuyant le coin de sa lèvre ensanglantée. »

Keelin voit son épais bâton arraché de ses mains. Un homme d’au moins sept pieds de haut la gifle froidement, un geste si puissant qu’elle s’écrase contre le sol boueux. Yrian, le sauvage au corps robuste la domine de toute sa hauteur. Des larmes font briller les yeux gris de la villageoise, elle se redresse couverte de boue et sonnée. Arvel attrape la longue chevelure de Keelin par la racine et l’oblige à rester au sol.

« Chienne, ne bouge plus ou je t’occis.

— Non, intervient son père immobile. Je vous en supplie messire, ne lui faites pas plus de mal.

— Messire ? Ce rat putride me donne du messire. C’est moi le messire, maître de ces terres. »

Arvel, minaudant, caresse de sa main libre son épaisse barbe rousse et de sa botte, frappe le vieil homme pour le faire tomber à la renverse. Ses frères en rirent à gorge déployée.

« Papa !

— C’en est assez ! crie une voix rocailleuse. Cette stupide gamine est ta fille ?

— Oui, c’est mon enfant. Pardonnez-la, je vous en conjure.

— Voilà qui est intéressant. Tu as des informations que je désire et j’ai la chair de ton sang. Si tu es malin conseiller, je pense que le raisonnement est simple pour toi.

— Le dignitaire vous l’a dit, son fils n’est point ici, pleure Lowel.

— Le dignitaire dit, il dit bien des choses et en promet mille autres alors que moi, je n’ai pas reçu mon payement pour ma quête. Pas d’argent, pas content, ricane Alaric.

— Je vous ai payé, chuchote le père de Hael. Ma bourse, hélas, ne couvrait pas la totalité du prix. »

Keelin aperçoit dans les yeux de son père une lueur, perplexe et médisante, le dignitaire du village d’Yrs ment. Une chose qui ne manquait pas à la famille de son futur époux, c’était bien l’argent. Il se gavait des impôts, il en récoltait tant que même Keelin et son père peinaient à vivre sainement. Voilà la récompense du père de la brune pour servir toujours et encore, un incroyable salop.

« Je suis là, se présente Hael en sueur mais la tête haute, avec dignité.

— Ce n’est pas lui, crache Lowel.

— Mentez-nous donc conseiller, s’esclaffe Arvel. Il est aussi blond que son aïeul.

— Mon fils, pauvre fou, que fais-tu ? »

Le jeune homme avance doucement avec les mains en l’air, fixant sa fiancée au sol, pétrifiée et aux épaules dénudées.

« Prenez-la, elle ! s’écrit le dignitaire. Prenez ma future belle-fille, le mariage n’a pas encore été célébré.

— Non ! coupent en cœur Hael et Lowel.

— Je vous donne tout l’or et l’argent que vous trouverez mais, laissez-moi mon fils.

— Ah ! Ah ! Penses-tu félon que je puisse manquer de chattes ? rigole bruyamment Alaric. Dans l’au-delà, ma femme gronde tant que les cuisses s’ouvrent à ma queue vigoureuse. »

La bande de barbares hurle de rire, certains confirment de salaces louanges. Alaric saisit fermement le visage de Keelin entre ses doigts, obligeant ses yeux d’acier à le dévisager avec mépris.

« C’est une vierge, clame le dignitaire en la pointant de son doigt gras.

— Et un bien joli minois je te l’accorde, mais une vierge ce n’est bon qu’une seule fois, que feront le reste de mes hommes... ensuite ! Non, tu ne m’as point convaincu. Ton conseiller payera tes mensonges et ton fils, ton avarice. Je te laisse la vierge pour te consoler. »

Yrian percute d’un coup de bâton l’estomac d’Hael, la souffrance le fait vomir à genoux. Il s’approche du père de la brune en larmes qui se débat. Arvel perd sa prise l’espace d’un instant et Keelin se confronte à l’immense ossature du jeune homme. La bouillasse du sol aide sa témérité désespérée, tous deux tombent puis roulent sur la terre humide et grasse. Yrian, vexé, reprend rapidement le dessus, à califourchon sur le corps frêle de la jeune fille. La bête à la peau bronzée marquée de boue tient dans sa puissante main le cou délicat de Keelin. Des mots étouffés sortent de sa trachée serrée.

« Prenez-moi, laissez mon père vivre et emmenez-moi.

— Tu n’as pas compris, tu ne sers à rien, nargue Arvel en s’accroupissant devant eux. Ne te sens pas maligne de jouer les vierges effarouchées. Je peux te régler cela en dix bonnes minutes.

— Plutôt deux et tu oublieras en encore moins de temps, se moque Yrian taquin.

— Ah ! se marre le roux en tapant l’épaule du grand brun. Je te la laisse, si c’est un souvenir qu’elle veut. »

Yrian, du haut de ses vingt-deux années, représente à lui seul une force de la nature. Bâti de muscles saillants, d’une large mâchoire et son nez droit légèrement évasé illustre divinement la beauté Nevyrienne. Alaric s’avance curieux :

« Je ne sais pas si c’est du courage ou bien de la folie, peut-être n’es-tu qu’une simple d’esprit. Que penses-tu avoir de si précieux pour t’offrir ainsi ?

— Rien, dit-elle d’une voix ferme. Rien d’autre que ma vie pour celle de mon père. »

L’homme s’accroupit et détaille de nouveau la jeune fille. Son buste légèrement découvert dévoile une peau fine, presque laiteuse. Ses lèvres charnues sont maquillées de boue et ses deux grands iris gris le scrutent avec hargne.

« Conseiller, comment as-tu nommé ton enfant ?

— Je vous en supplie, ne l’écoutez pas, pitié...

— Keelin, chuchote Hael qui peine à se lever.

— Un bien magnifique prénom, songe Alaric. Conseiller ! Remercie ton couard de dignitaire et admire ta fille pour son sacrifice. »

L’homme tente en vain de se lever avant de s’effondrer à terre. Yrian se redresse et laisse la jeune fille ramper jusqu’à son père pour l’étreindre.

« Papa ! dit-elle à chaudes larmes, les bras tremblants autour de l’homme qui, dans son enfance, la portait sur ses épaules. Ça va aller, je reviendrai, murmure-t-elle. Ne t’en veux pas papa.

— Allez pucelle ! On s’en va, commande Arvel en déchirant leurs adieux. Profite de ta vie de lâche, gras du bide.

— Fouillez les maisons, servez-vous et laissez brûler, somme Alaric.

— Non !! »

Keelin hurle et s’acharne vainement de ses dernières forces, un violent coup heurte sa tête. La jeune fille ferme ses yeux malgré elle et tombe dans l’obscurité, sauvage et inconnue...

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