Vendredi 2 Juillet

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Vendredi 2 Juillet

   « Afin de fêter ma première année de séjour sur l’île, j’ai confectionné un radeau fait de vieilles planches, de bouts de bois, que j’ai assemblés avec des cordages trouvés sur la grève. J’ai élevé un mât, y ai attaché un genre de voile, faite de toiles qui gisaient parmi les rochers. J’ai traversé l’île au niveau de sa partie la plus étroite, un isthme de galets noirs qui abrite l’eau plombée d’une lagune. Ici, le paysage est ouvert, grandiose. Je pense à mon Oncle, combien il aimerait être avec moi et contempler la mer, son domaine en quelque sorte, la compagne qu’il n’a jamais eue, lui le vieux loup des mers qui ne rentrait jamais au port que pour en mieux repartir.

    Identique à la partie sud sur laquelle je vis, le lieu est semé de roches sombres. Deux rochers jumeaux se détachent près de l’anse, un autre rocher, bien plus haut, se perd dans une couronne de nuages. J’ai posé mon radeau sur l’eau. Il se comporte plutôt bien même s’il n’est pas très équilibré. La toile prend le vent correctement, faseye un moment, puis gonfle et se tend. Je manœuvre ce qui me sert de gouvernail avec précaution de façon à éviter un chavirement. L’eau est une plaine immense qui se perd au loin, à la limite de l’horizon. Le soleil est un gros œil blanc, laiteux qui peine à percer le voile de brume. Contre la proue du radeau, viennent battre des écailles d’eau grise, on dirait le plumage d’un oiseau lissé de lumière. Des courants filent ici et là vers des destinations inconnues. Ils ont de beaux reflets, parfois vert émeraude, parfois bleu-marine et ressemblent à ces tableaux que les peintres du dimanche réalisent du haut des falaises, là où la vue est immense qui paraît n’avoir aucune limite. Il n’y a pas de bruit, si bien que je crois, par moments, être seul au monde. Parfois, un fulmar boréal aux ailes largement éployées, traverse le ciel en faisant son cri aigu pareil à celui d’une râpe qui entaillerait le bois. La mer est docile, ce matin, ce que communément l’on appelle une ‘mer d’huile’. Alors je crois entendre le rire moqueur d’Oncle Norway et perçois sa remarque avec amusement : ‘Alors, moussaillon, il te faut une mer d’huile pour naviguer ? Autant voguer sur ton bol de soupe !’

   Maintenant le brouillard se dissipe, le ciel s’éclaire, prend la couleur d’une porcelaine. L’eau reflète le ciel, s’anime de fins clapotis en raison d’une brise qui s’est levée. De courtes vagues courent sur le plancher du radeau, lèchent mes orteils, y déposent une mince couche de sel. Quelques touffes de goémon flottent ici et là, semblables à de minuscules esquifs. Je suis seul mais entouré de vie et ceci parvient à me rasséréner, à me donner confiance en l’avenir, à me porter à croire qu’un jour je retrouverai la terre des hommes et pourrai vivre en leur compagnie. Très loin, au bout du plancher de la mer, de vagues formes gris-bleu d’où semble s’échapper une fumée presque imperceptible. Peut-être des baleines bleues chassant le krill avec leurs baleineaux ?  En quelque sorte, toutes ces présences sont mon Vendredi, une sorte d’amitié que la mer m’adresserait du plus profond de ses abysses. Parfois j’imagine ce que doit être ce plancher de la mer, ses immenses poissons aux yeux éteints, ses myriades d’algues flottant entre deux eaux, les flagelles des anémones de mer qui dansent parmi les courants multiples, tachés de nuit, phosphorescents par endroits, animés de lueurs boréales comme si les aurores, descendues au fond de l’eau, se ressourçaient avant de reparaître à l’air libre.

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