Jeudi 14 Octobre

3 minutes de lecture

Jeudi 14 Octobre

Le froid est déjà là qui roule sur la grève à la manière de lourdes congères. Mes journées sont certes monotones mais rythmées par l’écriture sur mon carnet. Les crayons ne sont pas encore usés et dureront le temps qu’il me faudra pour écrire ce journal du bout du monde. Depuis ce matin de gros nuages gris-noir parcourent le ciel à destination du Nord. Ceci ne me dit rien qui vaille car les rafales sont parfois violentes qui risqueraient de mettre à bas ma cabane. Je l’ai arrimée au sol à l’aide de volumineuses pierres mais la nature est si puissante en cet endroit de désolation ! Si je veux faire cuire quelques poissons, je devrai envisager d’utiliser le four que j’ai construit dans un abri de rochers. Je ne pourrai guère sortir de mon refuge avant plusieurs heures et mon instinct de mousse semble vouloir me prévenir de l’imminence d’une tempête. La mer est très agitée, son dos est parcouru de grosses cordes d’eau qui s’abattent sur la grève avec un bruit semblable à de sourdes explosions.

Une pluie dense commence à tomber, renforcée par les rafales de vent. J’ai ménagé une fente étroite entre deux planches afin de jouir du spectacle. Je crains qu’un nouveau naufrage ne se prépare dont je pourrais bien ne pas réchapper. Mais je crois à la mansuétude du ciel, je crois à la force des éléments mais aussi à leur bonté une fois la fureur passée. De violents éclairs balaient le ciel sur toute sa longueur. Le tonnerre gronde. Le vent pousse devant lui des mitrailles de cailloux qui viennent heurter les parois de ma hutte. Je prie pour que cette dernière demeure debout et me sauve du terrible qui pourrait survenir. Je vais poser mon crayon à l’instant car je ne pourrai continuer à écrire avec ces trombes d’eau qui s’abattent sur le toit de planches, s’infiltrent partout, ruissellent sur le sol détrempé. Je crois encore être dans mon nid-de-corbeau, tout en haut du Magellan et subir les premiers assauts des vagues. C’est incroyable la force d’une tempête, c’est inimaginable, c’est bien plus grand que tous les hommes réunis, que tous les hommes… »

Epilogue - Le carnet du Mousse Jan Norway s’arrête brusquement ici, sur cette phrase si humainement émouvante. Le journal a été retrouvé par les membres d’une expédition que pilotait son oncle le Capitaine qui, pour la cause, avait repris du service. Sur la grève de Jan Mayen, là où vivait le naufragé, ne survivaient plus à l’ouragan que quelques branchages, des bris de planche, sans doute la voile déchirée du radeau et, surtout, coincé entre deux pierres plates, le précieux carnet sur lequel l’abandonné notait sa vie quotidienne faite de mille riens. Nul n’a su ce qui était advenu de lui. S’il était mort dans la tempête, si son corps avait sombré dans l’anonymat étrange de la vaste mer. Bien évidemment Oncle Andréas a été vivement affecté par la disparition de son Neveu, seule consolation, que sa vie de Mousse ait rejoint le lieu de sa passion, de sa destinée.

On n’est nullement Mousse, Matelot, Capitaine à rejoindre la terre ferme, à y confier son corps. La mer, la mer seulement ! Quant au ‘Magellan’ et à son équipage, il n’a été possible de rien bâtir de sérieux. Que de vagues conjectures qui ressemblaient plus à des intuitions de l’imagination qu’à un compte-rendu du réel en sa vérité. Quelques instruments épars sur la côte Nord de l’île, compas, reste de boussole, carcasse d’un baromètre semblaient pouvoir témoigner du naufrage. Mais ces indices ne pouvaient tenir lieu de preuve. Toujours la mer reprend ce qui lui est dû. Elle est éternelle alors que les hommes sont mortels, hautement mortels ! Oui, de toute cette aventure il fallait faire son deuil et, maintenant, voguer à l’estime sur les flots agités du rêve !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire jean-paul vialard ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0