Mercredi 3 juin

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Mercredi 3 juin

   « Je me réveille lentement comme si je sortais d’un rêve profond, lourd. J’ai de la peine à ouvrir les yeux. Tout juste une étroite fente comme chez les félins. Dans cette mince meurtrière j’aperçois, juste dans le prolongement de mes yeux, une grève de cailloux gris. Ils semblent avoir été brûlés par un incendie. Je cherche des yeux le bâtiment du brick, les voiles et les mâts, le nid-de-corbeau, les compagnons de traversée, je cherche la main secourable du Capitaine Kristiansen. Mais mes doigts ne trouvent qu’une poignée de sable qui coule dans un silence livide, il est presque un cri. Je me redresse, m’assois sur mes talons. Je suis si fatigué, j’ai de la peine à tenir l’équilibre dans cette position. En réalité je suis sur une grève inconnue, quelque part, sans doute, sur une île également inconnue. Sur le sol, quelques objets épars, des bouts de planche, de vieux chiffons maculés, un baromètre sans ses tubes de verre, le petit carnet bleu sur lequel je note tout ce qui arrive, les plus petits événements, un lever de lune sur la mer, la réflexion de l’un des marins, les conditions de la navigation, parfois j’y dessine de gros nuages ou le vol d’un oiseau dans le sillage du ‘Magellan’.

   Oui, la terrible réalité est là. Je ne peux plus douter que je suis un naufragé, et le pire de tout, solitaire. Bien sûr je pense à Robinson dont j’ai lu l’histoire plusieurs fois. Bien sûr, je pense à Vendredi, le compagnon de solitude qui est un monde à lui tout seul. Bien sûr je pense à la mort qui viendra me chercher si je demeure là à me poser des questions qui n’ont pas de sens, qui contribuent seulement à me rendre un peu plus triste, un peu plus désespéré. »

Jeudi 10 septembre

   « Je peux noter la date grâce aux encoches que, chaque jour, je trace sur une planche à l’aide d’un caillou pointu. Mon carnet m’est d’un grand secours. J’y note tout ce qui me vient à l’esprit afin d’occuper le temps et de ne pas perdre espoir. Cela fait trois longs mois que je suis sur l’île dont je pense qu’il s’agit de celle nommée ‘Jan Mayen’. Nous étions dans ses parages avant que la tempête n’ait eu raison du brick. Aucune nouvelle de mes compagnons qui doivent avoir péri corps et bien. Sans doute habitent-ils au fond de la mer avec les poissons des profondeurs qui veillent sur leurs âmes.

   Je me nourris de fruits de mer, de coquilles, de feuilles de criste marine, de poissons que je fais cuire sur un feu de bois. J’ai appris à enflammer des brindilles à la façon des hommes de la préhistoire en faisant tourner rapidement la pointe d’un bâton dans le trou d’un caillou. Je me suis bâti un abri de branches, de mousses, de feuilles et de bois flottés dans l’anse que dessine le rivage. Parfois, je fais des signaux de fumée dans l’espoir qu’une goélette les aperçoive et que je puisse rejoindre la terre ferme, celle qui m’a vu naître, dont j’aimerais bien à nouveau fouler le sol.  Mais rien n’arrive et, parfois, il me faut serrer fort mes paupières pour y retenir une bordée de larmes. »

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