Mardi 2 juin 1840

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Journal - Mardi 2 juin 1840

Huit heures trente

  « Je viens de prendre mon demi-quart. Le Capitaine Kristiansen m’a confié le poste de vigie plus tôt que d’habitude (de huit heures à dix heures) car le baromètre commence à chuter. Sans doute une tempête se lève-t-elle du côté de la Mer du Groenland et elle pourrait bien atteindre le brick en début d’après-midi ou dans la soirée. Le ciel est haut, gris, presque vide. Vers l’horizon il est plus foncé, pareil à de l’ardoise, avec des traits plus sombres. Je m’abrite dans un grand paletot de toile cirée. Le vent a forci, il fait des remous qui font trembler les cordages. Le brick tangue sur la houle et parfois j’entends son chargement qui cogne dans la cale contre les flancs du navire. Cela fait des déflagrations qui se noient dans le bruit du vent.

   Je n’ai pas peur. Je sens couler dans mes veines le sang des Norway, je sens mon cœur battre au rythme de celui d’Andreas. Je sais que mon Oncle me protège. Il est à la retraite. Il habite sur la côte, dans la profondeur d’un fjord. Tous les jours il va voir les bateaux qui partent pour la pêche ou pour le commerce. Il aime entendre le Noroît claquer dans les voiles, heurter la misaine ou la brigantine. Il regarde la mer au large et je sens sa vue qui traverse le ciel, se mouille dans les vagues, s’enroule aux tresses d’écume. Je sens sa protection frôler ma peau, traverser ma chair et cela fait un long frisson qui court de la tête jusqu’au bout des pieds.

   Depuis le pont, le Capitaine m’a demandé si tout allait bien, si je ne voyais pas arriver de gros nuages, si je voulais être relevé avant la fin de mon quart. Je lui ai dit que je voulais rester jusqu’à dix heures, que je souhaitais encore surveiller, voir les murs d’eau qui bondissaient sur la proue, faisaient comme des lacs, des ruisselets qui s’écoulaient sur les planches du gaillard. J’avais un peu peur qu’ils ne s’introduisent dans la cale en s’infiltrant par les écoutilles.  C’était un beau spectacle. Pour rien au monde je n’aurais voulu m’en distraire. Je pensais que c’était le destin de tout marin de connaître son élément par beau temps, avec un beau soleil, mais aussi l’hiver, dans la brume, mais aussi lors des équinoxes parmi les mugissements de la tempête.

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