Le réveil (4/4)

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J'ouvris les yeux calmement. La pièce était plus claire. Un coup d’œil à la fenêtre me confirma que le jour se levait doucement. La lumière. J'allais revoir la lumière du jour sans appréhension. Voilà qui ne m'était pas arrivé depuis des années. Car qui disait jour, disait hommes et femmes. Et ce n'était pas les meilleurs amis de Qifen.

– C'est impoli, dis-je en me tournant vers elle, de fixer les gens de la sorte.

Elle arqua un sourcil :

-Étant donné le ton de notre conversation depuis que vous vous êtes réveillé, si tant est qu'on puisse appeler cela une conversation, je doute que vous vous souciez de la politesse.

Difficile de lui donner tort. Je remarquai alors du linge plié sur une chaise à côté de mon lit. Je reconnus mes vêtements... magiques.

– Mes affaires, observai-je en les désignant du menton.

– Exact.

Je me levai lentement et m'étirai à nouveau. Je lui tournais le dos.

– Dans quel état les avez-vous trouvées ?

La réponse se fit attendre.

– En lambeaux.

Pour une raison des plus simples : Qifen et notre ennemie.

Mais le problème n'était pas là. Ces vêtements étaient magiques et se reconstituaient d'eux-mêmes. Cadeau de mon ancienne vie de lumière. Voilà qui avait sans doute intrigué ma doctoresse. Pourtant elle ne faisait aucun commentaire.

Je fis volte-face. Toujours adossée à la porte, son regard sur moi trahissait les questions qui lui brûlaient les lèvres. Était-ce ce regard ou l'apparente clarté qui s'intensifiait dans la pièce mais je compris.

– Le Conseil ?

– Le Conseil.

Évidemment. J'ignorais où j'étais mais ce n'était certainement pas un endroit isolé. Dehors, il y avait toute une communauté avec des chefs, des règles et surtout, de la magie. Je le savais parce que cette femme n'avait trahi aucune surprise quant à ma guérison rapide. Elle n'avait trahi aucune émotion quand elle avait déclaré que mes vêtements étaient en lambeaux alors qu'ils étaient maintenant là, intacts devant moi. Mais par dessus tout, depuis que je m'étais réveillé, une partie de moi cherchait l'empreinte de ma magie en vain. À la place, j'en avais trouvé des centaines d'autres. Les personnes qui m'avaient recueilli, à commencer par cette guérisseuse, étaient dotées de pouvoir. Toutes... sans exception.

J'avais bien fait de cacher mon lien à la magie. J'aurais été perçu comme une menace par ces personnes. Or j'avais le projet de rester ici quelques temps maintenant que je savais qu'ils étaient des magiciens. Outre le fait que voyager dans mon état ne serait pas la meilleure des idées compte tenu des ennemis que je m'étais fait, ces gens pourraient sans doute me protéger un temps. Il fallait cependant que je sois patient et que je pèse chacun de mes actes et paroles. D'autant plus que j'apprendrais sûrement ce qui était arrivé à ma propre magie. Je n'avais pas dans l'intention de mourir de vieillesse dans les mois prochains.

Mais ces vêtements...

– Loin de moi l'idée d'être pudique mais je doute que vous ayez envie de rester pour regarder.

Aucune émotion ne vint sur son visage malgré ma provocation.

– En effet. Rejoignez-moi dehors une fois habillé.

Elle disparut derrière la porte en un courant d'air. Ses déplacements commençaient à me donner quelques indices quant à son don.

Sans mon équipement, mes vêtements me parurent peser une plume et j'avais toujours le sentiment d'être à moitié nu. Bien que le ton sombre de ceux-ci me redonnèrent une partie de ma stature, ce n'est qu'en enfilant mon vieux manteau noir à capuchon que je me sentis à nouveau moi même.

Je fouillai dans une poche. Même mon bandeau me servant à cacher mes yeux s'était reconstitué. Sans Qifen, il n'était pas nécessaire et je ne pouvais me rendre aveugle sans magie pour m'aider. Je le remis donc au fond de mon manteau avant de sortir de la pièce.

Je me retrouvai nez à nez avec un homme à la tignasse et au regard sombre. Était-il sur le point d'entrer ?

D'un coup d'oeil et sans un mot, il me désigna la porte au bout du couloir dans lequel nous étions. Je sentais la doctoresse derrière.

L'air frais me fit du bien et la légère brise qui me l'amenait calma un peu mon humeur. Jusqu'à ce que je me rappelle que je ne pouvais plus les manipuler.

– Vous êtes une vraie princesse. Je connais des gosses qui s'habillent plus vite que vous.

Nonchalamment adossée au mur, elle me fixait de son désormais habituel regard intrigué. Je tournai la tête et souris lentement, tel que Qifen aimait à le faire.

– Vous êtes donc mère. Et ils ne doivent pas être si vieux, vos enfants, pour que vous en parliez de la sorte.

Elle se redressa.

– On va être en retard, suivez-moi.

Ce que je fis en silence. Tout au long du chemin, je m'efforçais de rester calme. Et j'obtins de bons résultats, à ma grande surprise. Me détendre et réfléchir clairement devenait plus facile sans un démon dans ma tête. J'aurais fermé les yeux et suivi cette femme à l'aveugle si j'avais pu le faire sans éveiller les soupçons.

Nous traversâmes ce qui semblait être une vaste clairière entourant la maison que nous venions de quitter. Après s'être engouffrés dans une épaisse forêt encore sombre à cette heure, nous arrivâmes à l'entrée d'une grotte. Seuls deux gardes et des torches plantées dans la terre témoignaient d'une présence humaine, et par la même, de la présence de ce Conseil. J'aurais parié qu'en temps normal, ils faisaient tout pour faire croire que ce n'était qu'une grotte ordinaire et non pas le repaire de leurs membres les plus importants.

– Vous devez y aller seul, annonça-t-elle en contemplant le trou noir devant elle.

Je me plaçai à côté d'elle et fit de même.

– Il y a un long tuyau serpentant sur plusieurs centaines de mètres puis vous arriverez dans une immense salle. Placez-vous dans la lumière.

– La lumière ?

– Vous verrez. Une dernière chose. N'oubliez pas ce que je vous ai dit sur le Conseil.

La fixant, je souris d'un air amusé.

– Et dans le cas contraire, que feraient-ils ?

Ces paroles eurent au moins le mérite de l'arracher à sa contemplation forcée de cette grotte. Le regard à la fois inquiet et soupçonneux qu'elle me jeta me plut.

Je pris une torche et commençai à m'enfoncer dans la pénombre.

– Au fait, me lança-t-elle.

Je m'arrêtais sans me retourner.

– Vous ne m'avez pas dit votre nom.

Mon amusement s'envola tandis que mon sourire se transformait en un rictus sadique. Mon nom la terrifierait. Mon nom la dégoûterait. Mon nom portait la trace de la déchéance. Celle que l'on préfère oublier tellement elle nous écœure. Celle qui creuse un gouffre au plus profond de vous, vide et sans vie. Mon nom se gravait avec le sang des hommes, femmes et enfants qui avaient un jour croisé ma route. Mon nom était une malédiction et bientôt, ma meilleure arme. Je ne répondis pas et pénétrai dans la grotte.

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