Le réveil (2/4)

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– Je vais devoir vous enlever ces bandages alors si vous pouviez rester calme pendant ce temps, un peu comme vous le faîtes depuis votre réveil.

Je savais bien que quelque chose m'enserrait le torse.

Décidant de remettre les questions à plus tard, même si elles étaient de l'ordre de l'urgence, et priorisant ma guérison par rapport au reste, je me redressai sur le lit.

– Ne forcez... commença-t-elle en approchant une main.

Elle interrompit son geste en route, laissant son bras levé entre elle et moi. Sans doute avait-elle aperçut l'éclair de méfiance qui était passé dans mes yeux.

– Je n'ai pas l'intention de vous faire du mal, reprit-elle à la manière d'une personne qui parle à un animal sauvage.

Je ne cessai de fixer cette main levée. Elle finit par la retirer.

Je pivotai sur le lit et posai mes pieds nus sur le sol. Du bois. Un plancher légèrement rugueux. Je pus enfin me regarder. J'étais simplement vêtu d'un pantalon de toile, pas à moi pour sûr, et hormis les bandages, j'étais torse nu. Je bougeai les orteils et les doigts. Mes jambes me paraissaient lourdes et flasques. J'enlevai lentement les bandages, m'arrachant des grimaces à chaque mouvement. Mes articulations craquaient. J'avais l'habitude de la douleur mais jamais je n'avais eu à souffrir d'une convalescence. Je la vis, cette blessure. Partant de l'épaule droite, elle dessinait une ligne droite sur tout mon corps pour se finir à mon haine gauche. Elle était presque cicatrisée.

Je savais d'où venait cette entaille et qui me l'avait faite. Cela expliquait sans doute pourquoi je ne guérissais pas comme d'habitude.

Tournant la tête vers ma supposée guérisseuse qui était étrangement restée silencieuse, je tendis la main. Elle comprit.

– Je vous ai passé ce baume deux fois par jour pendant presque une semaine, ne croyez-vous pas que je devrais en faire de même aujourd'hui ? Vous n'êtes pas mort et j'ai la prétention de penser que c'est grâce à moi alors ne pouvez-vous pas me faire confiance ?

Je gardai la main tendue et attendis.

Elle céda et posa le bol de terre cuite dans ma main.

Son baume empestait. Et une fois appliqué sur ma blessure, c'était bien pire. Cela dit sa fraîcheur était la bienvenue. La douleur en était que plus supportable bien qu'elle n'avait rien d'insurmontable.

Je finis de m'appliquer cette pommade puis j'attendis à nouveau en la regardant dans les yeux. Bleus nuit. Un contraste intéressant avec la peau nacrée qui illuminait son visage. Elle comprit une fois de plus et c'est dans un léger soupir qu'elle se leva pour aller me chercher de nouveaux bandages.

Cette femme était d'une patiente rare. Là où la plupart se serait offusqué de mon comportement, elle faisait preuve d'une subtilité à laquelle je ne me serais pas attendu. Elle me les donna tout en demandant :

– Êtes-vous muet ?

Je lui pris le long morceau de tissu blanc et effleurai sa peau au passage. Elle eut un mouvement de recul que je fis mine de ne pas voir.

Alors que je pansais ma blessure, je prononçai mes premières paroles depuis mon réveil :

– Chaud.

Elle inclina la tête sur le côté à la manière d'un chien. Cela eut le mérite de m'arracher un semblant de frémissement aux coins de mes lèvres.

– Votre voix. Votre peau. Votre sang. Ils sont chauds. C'est... agréable.

Ces mots semblèrent la troubler. Encore aujourd'hui j'ignore pourquoi. Aurais-je dû lui dire que «agréable» avait un double sens pour moi ? Sûrement l'avait-elle deviné.

Je me levai lentement et fis quelques pas dans la pièce. J'étais courbaturé. Mes muscles répondaient douloureusement. Je fis une rapide inspection de mon corps, me palpant de mes mains pour découvrir d'éventuelles blessures cachées. D'habitude, la magie me permettait de faire cela en une fraction de seconde. Je finis par m'étirer, les mains tendues au maximum vers le haut. Encore de la douleur mais ce n'était pas important.

– Ne vous ai-je pas dit de rester allongé ?

Elle était restée muette encore une fois alors que je m'affairais à ma petite inspection.

– Si.

Elle se leva à son tour. Ses déplacements souples et mesurés ne firent que confirmer ce dont je soupçonnais déjà. Cette femme n'était pas qu'une guérisseuse.

– Vous n'avez pas confiance en moi, n'est-ce pas ? me sourit-elle à nouveau.

Ce sourire. Ce foutu sourire ! Il n'aurait pas dû se trouver sur son visage. Cela aurait été beaucoup plus simple. Mais il était là, me narguant et réveillant en moi le plus triste et merveilleux de mes souvenirs.

– Non.

Elle sembla accuser le coup. L'avais-je blessé ?

– Cela vous arrive-t-il de faire des phrases de plus de trois mots ?

Je n'eus malheureusement pas le loisir de répondre à cette question. L'on frappa à la porte de la pièce. Trois coups secs avec la rapidité que donne l'habitude. Elle alla ouvrir et disparut derrière la porte, m'arrachant de ce fait à la contemplation de son visage.

– Il est réveillé ? prononça la voix d'un homme.

– Oui mais il a l'air encore faible, répondit ma guérisseuse.

– Il tient debout ?

– Par je ne sais quel miracle.

– Send veut qu'il passe devant le Conseil à l'aube.

– Je ne suis pas sûre que...

– Ce n'est pas une demande.

Je l'entendis soupirer.

– Très bien, je m'en occupe.

En entrant, elle ferma la porte derrière elle et s'y adossa. Elle croisa les bras sous sa poitrine et me fixa. J'en fis de même.

– Vous réfléchissez, finis-je par dire.

– Oui.

Je m'approchai de l'établi sur lequel elle avait préparé le baume. Ce n'était en fait qu'un petit bureau. Il n'y avait dessus qu'un mortier et quelques plantes éparpillées. Elle avait tout préparé ici alors qu'elle devait avoir largement plus de place et de facilité à faire ça dans un laboratoire ou je ne savais quelle pièce. Elle me surveillait.

Je m'adossai au mur d'à côté, près de l'unique fenêtre de la chambre, et adoptai la même posture qu'elle. Levant les yeux, je m'aperçus non sans un certain amusement qu'elle me fixait toujours.

– Je dérange, annonçai-je.

– En quelque sorte, oui.

– Une réponse des plus évasives, s'il en est.

Elle arqua un sourcil :

– Oh ! vous savez parler avec de vraies phrases.

Elle semblait irritée à présent. Cependant je doutais d'en être la cause. Depuis le début de nos échanges, fussent-ils verbaux ou gestuels, elle n'avait trahi aucun sentiment d'agacement. Elle paraissait intriguée, presque amusée par mon attitude.

– Je ne dis que ce qui a besoin d'être dit. Ni plus, ni moins.

– Et bien, je ne saurais que trop vous conseiller de délier un peu plus votre langue pour une fois. Vous allez passer devant le Conseil à l'aube et ils auront tout un tas de questions pour vous. Croyez-moi, les réponses approximatives ou incomplètes, ils ne sont pas du genre à les apprécier autant que moi.

Je hochai la tête en signe de compréhension. Elle ne se laissa pas berner. Elle savait que je réservais la même attitude au Conseil que celle dont j'avais fait preuve avec elle.

– Vous devriez vous reposer, ajouta-t-elle en retournant à sa réflexion.

Je n'étais pas d'accord sur ce point. D'après ses dires, mon inconscience avait duré une semaine. Mon esprit était reposé et à en croire ma guérison, certes moins efficace que par le passé mais néanmoins acceptable, mon corps serait paré dans peu de temps. Je n'avais pas besoin de repos. Cependant, j'avais besoin de calme pour clarifier certains détails.

N'espérant pas voir ma mystérieuse doctoresse s'en aller même si je lui demandais avec mon plus bel aplomb, je décidai de rejoindre le lit et de m'asseoir en tailleur dessus. Elle m'observait toujours. Je me concentrai tout en plongeant mon regard dans le sien. Nous restâmes ainsi, immobiles, pendant plusieurs minutes.

– Vous...

Je fermai les yeux.

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