Rambo

7 minutes de lecture

Cette année-là, je m’amourachai d’une grande fille blonde, rayonnante, avec d’immense cheveux bouclés. Son sourire me rappelait celui de Tatiana, et je me demandais dans quelle mesure c’était cette ressemblance qui me rapprochait d’elle. J’étais fréquemment assis à ses côtés en cours, mais jamais je n’osai me déclarer ; elle dût finir par sentir mon attirance et à en être gênée, car elle se mit peu à peu à me parler de moins en moins, et je ne me retrouvais plus à côté d’elle. Cela me déprima passablement : je ne savais pas quoi penser, ne comprenant pas ce que je pouvais avoir fait pour lui déplaire, car j’appréciais beaucoup nos conversations et il me semblait qu’elle aussi. Peut-être par mimétisme, j’avais envisagé de me tourner vers l’université pour faire de la physique : c’était ce qu’elle voulait faire, n’ayant choisi de faire une année de prépa que pour se donner une bonne culture générale, et elle parlait si bien de ce projet et de cette matière qu’elle finit par me convaincre que cela me correspondrait également. Et elle avait peut-être raison. Malheureusement un psychologue-conseiller d’orientation que je consultai à la fin de l’année m’expliqua, avec force tests à l’appui*, que mon intelligence était douée pour les mathématiques mais pas pour la physique, et il réussit à me convaincre d’abandonner ce projet. Pour le meilleur ou pour le pire, cela reste à voir…


En plus d’être à l’aise pour parler avec les autres, j’étais aussi plus à l’aise physiquement : depuis l’année de la terminale je m’étais laissé pousser les cheveux, et ils finirent par être longs au point de pouvoir être attachés ; mais pendant la majeure partie de l’année je les tenais fixés grâce à un bandana, et comme l’un de mes deux bandanas était rouge les élèves du lycée me surnommaient « Rambo » (il faut dire que comme nous étions plus âgés qu’eux, les élèves de prépa étaient assez particuliers à leurs yeux). Je portais des Vans confortables, un pantalon cargo avec des poches sur les côtés, et un épais blouson de velours marron à l’intérieur orange. Je me sentais à l’aise dans ces vêtements, d’une façon que je n’ai peut-être jamais retrouvée (Je n’ai en tout cas jamais retrouvé le modèle de Vans que je portais, elles étaient extrêmement épaisses et rembourrées de partout, comme de gros chaussons. Malheureusement je les trouais assez régulièrement à la cheville et il fallait souvent les rafistoler à grand renfort de coton, puis je finis par être obligé de les jeter…)

C’étaient probablement ces vêtements que je portais lors de ce qui fut sans doute ma première nuit blanche, à la suite d’une des soirées organisées par l’association des élèves avec la bienveillance et l’encouragement des professeurs. Ces soirées avaient ceci de particulier, pour des soirées étudiantes, qu’elles étaient payantes. Cela aurait pu en rebuter certains mais les contreparties étaient tout à fait intéressantes. D’abord, nous avions une sorte de petit manoir rien que pour nous avec un parc tout autour, la location de cette bâtisse permettant de faire autant de bruit que nous voulions car elle était un peu isolée. Ensuite, les boissons et les gâteaux étaient à volonté. Oui, et si pour ma part c’étaient surtout les barres façon quatre-quarts qui m’attiraient, il était également possible de se soûler avec autant d’alcool que l’on souhaitait, et les réserves semblaient inépuisables (ce n’était pourtant pas faute de volontaires pour tenter de les vider…). Comme à mon habitude, je me contentai d’un verre, peut-être de deux : cela me suffisait largement pour être ivre, ou du moins dans un état où je contrôlais moins mes mouvements et que je pensais être l’ivresse (je n’avais après tout que mon état de tous les jours comme point de repère). Ce que j’appréciais, et que je n’avais peut-être même pas imaginé possible jusque-là, c’était qu’il y avait une piste de dance où tout le monde se secouait, et moi avec : en effet non seulement la musique était à un volume supportable mais en plus elle n’était pas de trop mauvais goût, avec des titres plutôt rock. Après, je n’avais pas réellement la même aisance que les autres, j’avais moins l’habitude, je ne savais pas trop quoi faire de mes bras et j’étais toujours réticent à suivre un mouvement collectif, mais je fis de mon mieux et ne me débrouillai pas trop mal : surtout, je réussis à ne pas (trop) me prendre la tête et à ne pas (trop) me dire que je pourrais faire mieux, ce qui en y repensant relevait du miracle.

A la sortie de la fête, cette fois-là je trainai avec quelques amis, de moins en moins nombreux à mesure qu’ils tombaient de fatigue et allaient se coucher ; sauf que pour moi, j’avais beau être fatigué le dernier train était parti depuis longtemps, je ne pouvais plus rentrer ! J’étais pratiquement le seul à ne pas habiter sur place. J’aurais pu m’affaler sur le canapé d’un ami et m’endormir, mais déjà le soleil pointait son nez et il ne restait plus qu’à chercher un petit déjeuner et à se rendre au lycée… Cette journée de cours fut la plus longue de ma vie, elle termina en apothéose avec un cours d’espagnol pendant lequel la professeure eut la bonne idée de nous faire regarder une vidéo : je piquai du nez avec une régularité de métronome et dus lutter intensément pour ne pas m’endormir complètement. Pourquoi autant d’efforts ? Mystère. J’exigeais toujours beaucoup trop de moi, et cette exigence n’amena jamais rien de bon, au contraire. J’avais ainsi pris l’espagnol en première langue, comme si j’avais besoin d’un défi supplémentaire, pensant sans doute que j’aurais moins l’occasion de le travailler que l’anglais. En un sens, c’était vrai, puisque malgré deux années d’espagnol en première langue, dont une où j’étais le seul élève de la professeure que je rencontrais donc en tête-à-tête, et une année entière d’Erasmus en Espagne, c’est toujours aujourd’hui l’anglais que je maîtrise le mieux, alors que je n’ai passé que deux petites semaines dans un pays anglo-saxon. L’espagnol en prépa était incroyablement difficile, nous avions des exercices de traduction qui étaient quasiment insurmontables, et je crois que même pour mon ami Carmelo qui était bilingue, étant franco-espagnol de naissance, la traduction n’était pas toujours évidente ; alors pour moi…


En dehors de l’espagnol, je ne maîtrisais pas non plus les cours du prof de français, du moins pas de la façon qui était attendue, mais au moins je m’accrochais : je demandais des khôlles (c’était le nom des épreuves orales) supplémentaires, et au bout de cinq je finis par avoir une note au-dessus de la moyenne. Mais pour le reste, c’était totalement déprimant : hormis en mathématiques, ou je commençai l’année avec la meilleure note avant de décliner peu à peu mais toujours en étant au-dessus de la moyenne, dans toutes les autres matières j’avais des notes que je n’aurais jamais imaginé pouvoir recevoir un jour, quasiment toujours en dessous de dix. Que ce soit en histoire, en philosophie, en économie… les professeurs avaient beau nous expliquer que c’était normal en classe préparatoire, se retrouver de meilleur élève à en dessous de la moyenne, pour moi c’était dur à accepter. Et comme je ne pouvais pas vraiment me battre à armes égales avec tous ceux qui avaient un logement à proximité, et encore moins avec les internes, étant trop fatigué par les transports et par la mauvaise ambiance qui régnait chez moi, je ne fis pas de progrès et je me trouvai nul.


Les devoirs sur table en particuliers étaient une véritable souffrance. Ils duraient six heures (!), durant lesquelles je ne trouvais souvent rien à dire. La première heure était la plus dure, car le stress me donnait toujours horriblement envie d’aller aux toilettes or il nous fallait attendre avant d’être autorisés à sortir… Ensuite je me souviens que je pouvais toucher le radiateur brûlant pour me réveiller, ou profiter justement d’une sortie aux toilettes pour prendre un peu d’air comme si je m’échappais d’une prison ou d’un asile de fou. C’était vraiment de la torture ; en plus, cela avait lieu le samedi matin, ce qui me privait encore d’une nuit complète… J’étais dans un état d’esprit tellement pitoyable que je n’ai aucune envie de me replonger dans ces souvenirs : ce traumatisme-là restera dans les tiroirs.

Mais bon, à défaut de réussir de la façon attendue, j’appris plein de choses, je lus plein de bouquins, et pendant toute l’année j’accumulai tout un tas d’idée expérimentales pour écrire un nouveau roman. J’avais un petit carnet à spirale dans lequel je notais mes idées, et si à l’époque je n’avais encore aucune piste pour toutes les regrouper, elles étaient nombreuses et j’avais vraiment envie de toutes les utiliser, ce que je finirais par réussir à faire l’année d’après.


* Ces tests ressemblaient beaucoup à ceux que j’ai passés lors du bilan psychologique de cet été qui m’apprit que j’étais zèbre. Je soupçonne donc fortement ce conseiller d’avoir pu détecter que j’étais surdoué mais de ne pas m’en avoir parlé, me faisant perdre une vingtaine d’année de compréhension sur moi…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Zotoro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0