L'hypokhâgne

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A mon retour en France, j’étais changé. En réalité, le voyage au Mexique était la première fois où je m’étais retrouvé au sein d’un groupe d’autres jeunes de mon âge, en dehors des quelques voyages faits avec l’école, et où j’avais pu vivre loin de la pression parentale. Coupé de mes attaches, je m’étais senti suffisamment libéré pour pouvoir profiter un peu de la vie, et m’entraîner à converser avec les autres ; cette fois, je n’avais pas été systématiquement observateur, je ne m’étais pas retrouvé à suivre un groupe en restant distant, passif, sans prendre la parole. J’avais participé, j’avais pu avoir des discussions avec tout le monde, même avec celles et ceux que j’appréciais moins, et j’avais pu assez rapidement me rapprocher de celles et ceux que j’appréciais ; j’avais réussis à m’ouvrir, à parler de moi sans trop de réserve. En somme, j’étais devenu plus à l’aise. Et ce ne fut pas une simple parenthèse, car à la rentrée, quand je rejoignis la classe préparatoire « Lettres et sciences sociales » qui marquait mon entrée dans les études supérieures, je réussis à conserver cette aisance : au sein d’une classe de cinquante ou soixante élèves, je me retrouvai là encore à parler avec tout le monde.

Le contraste était saisissant entre l’ambiance de chez mes parents, où le climat était tout bonnement infect, et les échanges avec les autres jeunes adultes de la prépa. Chez moi, je me coupai presque complètement de ma famille, de mes frères et de mes parents. C’était la période où mon plus jeune frère faisait des crises de nerfs à répétitions, il hurlait en permanence ; mon père voulait le calmer à coup de claques et ma mère s’interposait, le privant de ce qu’il avait besoin (les baffes). Moi, je m’enfuyais dans ma chambre dès que possible et je mettais la musique à fond pour tenter, souvent en vain, de couvrir les cris. Etait-il possible de travailler convenablement dans de telles conditions ? J’étais déjà sur les nerfs car je dormais mal : j’avais une demi-heure de RER à faire pour aller à Sceaux, où se trouvait le lycée Lakanal dans lequel était ma prépa, et je devais me lever très tôt pour que mon père m’amène à la gare en allant à son travail. Je devais me lever vers 6h45 ; ce n’était pas si tôt que ça, mais comme je ne parvenais à m’endormir qu’au prix d’extrêmes difficultés, j’étais cruellement en manque de sommeil. Pour illustrer à quel point je devais lutter en cours pour rester éveillé, je me souviens que régulièrement ma main gauche avait des spasmes : le bouchon de mon stylo, qu’elle tenait, partait régulièrement dans les airs sans que je parvienne à le retenir.

J’étais tellement stressé par l’ambiance glaciale qui régnait chez moi que pendant tout le premier mois de la prépa j’angoissait complètement à l’idée que mon anniversaire arrivait. J’allais avoir dix-huit ans, et je pensais réellement que mes parents risquaient de me mettre dehors, puisque je ne voyais rien de positif dans les rapports qu’ils avaient avec moi. Quand j’en parlais aux autres, on tentait de me rassurer, mais je ne l’étais absolument pas.

Heureusement donc, je parvenais à en parler. Il y avait une atmosphère assez fantastique dans cette classe, en partie grâce aux professeurs qui prenaient jalousement soin à ce que ce climat particulier perdure d’année en année, comme une tradition : ils veillaient notamment à ce que les soirées organisées entre première et deuxième année (hypokhâgneux et khâgneux) se déroulent de façon régulière, et le fait qu’elles soient copieusement arrosées ne semblaient pas les gêner tant qu’elles apportaient l’exutoire nécessaire. Je pense qu’ils savaient parfaitement sur quoi ils fermaient les yeux...

Certains de ces professeurs étaient extraordinaires, même si je ne parvins pas à m’investir suffisamment dans les cours pour réussir. Je pourrais même dire qu’ils étaient tous excellents, à l’exception du professeur d’économie et de sociologie, qui était d’une lenteur telle qu’on le soupçonnait victime d’un accident vasculaire cérébral qui aurait laissé d’importantes séquelles. C’était le seul professeur dont les cours étaient fréquemment séchés, et quand nous étions présents nous faisions souvent autre chose ; certains portaient même des bouchons d’oreille pour mieux se concentrer sur la lecture d’un livre d’une autre matière…

Mais les autres professeurs faisaient tout pour nous aider, et grâce à cette ambiance magique, tout le monde parlait à tout le monde. Il y avait bien sûr des groupes qui se formaient, mais ils n’étaient pas figés et surtout ils n’étaient pas exclusifs, on pouvait se trouver majoritairement au sein d’un groupe et en côtoyer d’autres de temps à autre. Je pouvais donc continuer à m’entretenir avec mes semblables comme j’avais commencé à le faire au Mexique, et à cette époque je n’avais aucun problème pour le faire, je parlais tout le temps avec un nombre incroyable de personnes, y compris à d’anciennes connaissances du lycée que je pouvais croiser dans le RER*.


* Cette aisance s’arrêta deux ans plus tard quand je commençai à ne plus supporter mes lentilles et que je dus porter à nouveau mes culs de bouteille, qui réduisaient la taille de mes yeux de moitié et faisaient apparaître des portions de ciel en plein milieu de mon visage, tout en m’obligeant à tourner la tête pour regarder autour de moi car malgré toute cette correction je ne voyais bien qu’en regardant au centre exact des verres…

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