México

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Je dois reconnaître que mon père fit une bonne action en me forçant à accepter de partir en voyage à l’étranger. Grâce au comité d’entreprise de son travail, j’avais la possibilité de pouvoir partir trois semaines au Mexique avec des jeunes de mon âge. J’hésitai longtemps car l’idée de partir me faisait peur, mais au final j’acceptai et j’eus raison : ce voyage me fit beaucoup de bien.

Il eut lieu pendant l’été après le bac, marquant ainsi une sorte de transition dans mon passage vers l’âge adulte, puisque j’allais avoir dix-huit ans à peine plus d’un mois après le retour. Pendant ces trois semaines nous voyageâmes dans le sud du Mexique, en ne restant que quelques jours au même endroit. Nous étions un groupe d’une quinzaine de jeunes ; j’étais parmi les plus âgés, puisqu’un autre groupe, voyageant parallèlement au nôtre, était formé par les jeunes qui étaient déjà majeurs. Certains de mes compagnons se connaissaient pour avoir l’année précédente effectué ensemble un voyage avec le même organisme ; pour nous accompagner il y avait deux moniteurs, un homme et une femme qui apparemment étaient en couple même s’ils ne souhaitaient pas le montrer (et certains jeunes leur reprochaient de chercher à passer du temps ensemble plutôt que de s’occuper de nous…).

Je ne vais pas être en mesure de donner beaucoup de détail sur notre itinéraire car je ne m’en souviens absolument pas. En fait, nous avions rédigé collectivement une sorte de journal de bord pour indiquer toutes les étapes ; l’organisme devait nous en envoyer un exemplaire à chacun après la fin du voyage mais je ne reçus jamais rien, et je m’étais totalement appuyé sur ce support et n’avais pris aucune autre note de mon côté… J’avais bien des photos, mais uniquement des monuments, et plus aucune légende à leur accoler. Or une fois que je compris que je ne recevrais jamais ce journal, il était déjà trop tard et je ne parvenais plus à me souvenir des noms des lieux…

Je me souviens en revanche de mes camarades. La fille la plus haute en couleurs s’appelait Astrid, elle faisait du rugby, écoutait Marylin Manson, avait le teint très blanc et avait plein d’allergies alimentaires en plus d’une allergie au soleil, ce qui n’était pas commode pour elle avec toute la lumière qui nous envahissait en permanence. Elle s’habillait d’ordinaire en gothique, mais cela ne se voyait pas car pour le voyage elle avait laissé au pays les habits noirs et le maquillage. Elle était marginale, et cela m’attirait chez elle mais en même temps elle avait trop d’assurance pour que je me sente à l’aise ; par ailleurs elle faisait partie du groupe qui se connaissait déjà et parlait donc surtout aux autres jeunes, alors même que je sentais bien que ces derniers n’acceptaient pas vraiment son originalité.

Il y avait un couple de vraies jumelles ; il était assez facile de les différencier car l’une était un peu plus affirmée et avait le visage un peu plus anguleux que sa sœur. Par ailleurs leurs lunettes n’étaient pas les mêmes et l’une avait un grain de beauté supplémentaire. Enfin, je dis que c’était facile mais a priori j’étais bien le seul de la colo à parvenir à les différencier, car tous les autres les appelaient indifféremment par une contraction de leurs deux prénoms. A l’époque je ne me dis pas que j’étais plus observateur, simplement que j’étais le seul à avoir fait l’effort de chercher à les reconnaître. Elles étaient sympathiques, mais avaient tendance à surtout parler entre elles (comment leur en vouloir puisque les autres se désintéressaient d’elles ?) et à rester assez superficielles, ou réservées, dans ce qu’elles communiquaient aux autres.

Il y avait Samantha, une fille très bronzée qui coucha avec un garçon de la colo, puis avec un garçon de l’autre colo. Elle parlait trop et cherchait à ce que tout le monde gravite autour d’elle, ce qui me fatiguait et m’énervait car je ne lui trouvait rien d’intéressant. Je trouvais sans doute assez ridicule la haute opinion quelle se faisait d’elle-même.

Je me souviens de deux garçons, l’un blond et assez puéril qui était gentil mais avec qui je n’avais aucune accroche, l’autre châtain et avec un fort accent du sud, également sympathique mais avec qui je ne sentais qu’un tout petit peu plus d’affinité.

Il n’y avait en fait qu’un seul autre garçon avec qui je me sentais à l’aise : Adrien, qui avait quasiment le même âge que moi, puisque lui aussi allait atteindre la majorité prochainement. Il était assez simple, je veux dire par là pas très intellectuel, et parlait en cherchant un peu ses mots ; avec lui j’étais plus détendu, je ressentais une connexion. Il avait aussi le bon goût de ne pas chercher absolument à intégrer le groupe des autres, et comme moi semblait aimer le calme, et ne pas être attiré par les personnalités trop extraverties.

Enfin il y avait Rachel, la personne dans le groupe avec laquelle j’étais le plus proche. Nous partagions souvent les écouteurs de mon Walkman dans le bus pour écouter Deep Purple ou Rainbow (Oui, une fille qui appréciait le hard rock ! Nous passions beaucoup de temps dans les bus puisque nous bougions beaucoup.) Nous marchions très souvent ensemble, je crois même que nous nous donnions le bras, et parlions de tout et de rien avec une facilité assez déconcertante.

Je ne songeais par réellement à sortir avec elle, du moins pas au début, sans doute parce que je croyais que pour sortir avec une fille il fallait faire énormément d’efforts, vaincre sa résistance, ou la convaincre de mon importance. Or avec elle je ne ressentais aucunement le besoin de faire tout cela, je me contentais d’aimer lui parler et d’aimer être avec elle. Sans doute aurions-nous naturellement fini par sortir ensemble. Sauf que.

Nous nous arrangions quasiment à chaque fois pour nous retrouver côte à côte dans le bus. Mais une fois, juste une fois, il dut y avoir une certaine précipitation pour s’installer, peut-être notre groupe était-il en retard, et elle se retrouva à côté de Adrien. Adrien ne lui avait jamais particulièrement parlé, je n’avais remarqué aucune proximité entre eux. Simplement, le voyage était assez long, elle s’endormit et ce grand nigaud ne trouva rien de mieux à faire que de l’embrasser pour la réveiller. Du coup, elle sortit avec lui pendant le reste du voyage.

Pouvais-je en vouloir à Adrien ? Bien sûr. Seulement, il était le seul garçon avec qui je pouvais parler, alors si je me mettais à le voir en rival j’allais me retrouver bien seul. Je crois que ce que je regrettai le plus c’était surtout d’avoir après cet épisode moins d’occasion de parler avec Rachel, puisqu’elle passait du temps avec Adrien. Je trouvai aussi assez bête que cela se passe ainsi, car Adrien habitait dans le Sud de la France et ne la reverrait pas après la colo, alors qu’elle habitait en région parisienne et que nous aurions donc pu maintenir le contact… Mais je ne cherchai pas à la revoir (soit que je n’osai pas, soit que je ne réussis pas : je crois bien que les coordonnées de tout le monde devaient nous être fournies avec le journal de bord qui n’arriva jamais).


De ce voyage je me souviens surtout de quelques pyramides, et du marché de San Cristobal de las Casas dans le Chiapas (vous savez, la ville du subcomandante Marcos, le leader de l’Armée zapatiste de libération nationale) où j’achetai en souvenir un grand T-shirt gris du Che Guevara, que je portai très souvent les années suivantes. Je ramenai également du voyage deux autres souvenirs qui sont toujours avec moi (le T-shirt n’ayant lui pas survécu) : un grand masque totémique en bois, et une peinture aux couleurs incroyables représentant deux guerriers aztèques.

Je me souviens également d’un événement un peu particulier : sur le retour, nous nous arrêtâmes sur la côte, à Cancún. Nous dormions dans un camping, dans des bungalows. Un soir, je me couchai tôt, et fus surpris de ne trouver personne à mon réveil. J’appris assez rapidement que presque tout le reste de la colo était au poste de police ! Ils étaient partis fumer des joints sur la plage et s’étaient fait arrêter par des policiers mexicains. Ces derniers pouvaient se montrer très brutaux avec les fumeurs d’herbe ; nous avions appris quelques jours auparavant qu’un moniteur de colo s’était fait tabasser parce qu’il avait roulé une cigarette, les roulées faites seulement de tabac n’étant a priori pas d’usage là-bas… Pour ce qui en était de mes compagnons, je crois que les gars se firent un peu molester et que les filles furent assez terrorisées. Tout le monde fut privé de sortie à partir de là, sauf moi et les jumelles qui étions restés au camping…

J’avais eu beaucoup de chance, car même si je ne fumais pas j’aurais très bien pu les accompagner. Mais peut-être aussi avais-je conscience du risque, et connaissant la réputation des policiers j’avais préféré ne prendre part à aucune activité illégale. Après tout, nous n’étions pas chez nous. Le mal du pays commençait d’ailleurs à poindre son nez, surtout à cause de la nourriture : nous mangions assez mal, toujours la même chose, et quand quelqu’un commença à faire la liste de tout ce qu’il aimait manger chez lui, il fut difficile de ne pas ressentir un pincement à l’estomac… Je me souviens assez nettement qu’à cette occasion je me remémorai les Apfelstrudels, ces fourrés autrichiens à la pomme et aux raisins que mes parents achetaient souvent au supermarché et que nous mangions brûlants à la sortie du four. Mais nous finîmes par avoir l’occasion de mieux dormir et de beaucoup mieux manger : à l’heure du départ, notre avion fut retardé de vingt-quatre heures et nous fûmes logés par la compagnie aérienne dans un hôtel de luxe, avec buffet à volonté et chambres hyper modernes. Le contraste avec le reste du voyage fut saisissant ! Mais ce retard ne me plaisait pas du tout, car je devais dès mon arrivée en France repartir aussitôt pour aller à Berck-sur-Mer faire mon stage d’escrime : je craignais de louper complètement ce stage, qui allait être particulier car ce serait sans doute le dernier avec mes camarades, puisqu’avec les études supérieures beaucoup ne pourraient plus venir aux leçons. Heureusement, je pus tout de même les rejoindre, avec un jour de retard. Je me souviens avoir fait le dernier bout de trajet à pied, avec mon lecteur de CDs mp3 pour seule compagnie, mon lourd sac d’escrime tout en longueur sur l’épaule… Je n’aurais loupé le stage pour rien au monde.

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