La littérature

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C’était avec la prof de Français de seconde que je m’amusais à écrire des bêtises sur mes copies : elle était petite et paraissait sensible à mon humour, je me sentais donc (quelle étrange impression !) en confiance. Quand je dis que j’écrivais des bêtises, ça ne volait pas très haut : par exemple, je pouvais écrire, au début de ma feuille : « Interrogation de vocabulaire. Tra la la la lère. » Ou n’importe quoi qui rimait. Je ne pouvais pas non plus me lâcher énormément dans le cadre d’une interro… Mais bon, c’était déjà ça. En classe de première en revanche, la prof ne m’inspirait rien du tout : elle était toute gonflée, assez repoussante physiquement et sans rien dans son attitude qui permette de passer outre son physique disgracieux*. Si la première parvenait à donner de l’intérêt à des révisions de vocabulaire, la seconde nous préparait aux dissertations du Bac et donc à des sujets plus élevés, mais elle ne me laissa aucune impression.

D’ailleurs en fait de dissertation, nous n’en fîmes en réalité qu’une seule, une unique dissertation pour nous préparer à l’épreuve du Bac. A l’époque nous avions le choix : c’était dissertation ou commentaire de texte ; je suppose qu’elle se disait que comme personne ne choisirait la dissertation, il n’était pas la peine d’en faire beaucoup. Sauf que lors de cette épreuve d’essai, je me lançai sur un texte concernant la télévision, dans lequel je me lâchai totalement.

J’eus une très bonne note (un 18 je crois) et surtout j’avais adoré écrire cette dissertation, j’avais l’impression que pour la première fois dans le cadre scolaire j’avais l’occasion de m’exprimer comme je le souhaitais et de dire des choses que je voulais réellement dire. Je ne sais plus exactement ce que j’écrivis, mais je crois que je mentionnai la façon dont mes frères regardaient l’écran de télévision et plus globalement l’abrutissement que pouvait causer selon moi le petit écran sur la société en général. C’était jouissif ! J’espère pouvoir retrouver ce texte dans les mémoires de mon ordinateur, malheureusement elles ne sont pas très bien organisées, et à force d’avoir changé de disque dur j’ai perdu beaucoup de choses… Mais je me souviens que je l’avais relu plusieurs années après l’avoir écrit et que j’en étais toujours content.

Du coup, quand vint le jour de l’épreuve du Bac, je choisis la dissertation, pensant maîtriser les attendus de l’épreuve. Je reçus un 5/20. Et encore, je crois que ma note fus rehaussée au vu de mon dossier. C’était une dissertation sur Zola, et moi j’étais parti très loin, je me souviens avoir mentionné la trilogie sur Mars de Kim Stanley Robinson (un pavé de Science-Fiction hyper-réaliste duquel j’avais tiré un pseudonyme que j’utilisais alors et que j’utilise encore, et qui signifie étoile de feu en japonais). Résultat : échec sur toute la ligne, hors sujet, je n’avais rien compris. L’épreuve orale me permit-elle de me rattraper ?

A l’oral, nous étions à peu près bien formés à comment aborder l’épreuve. Toutefois il y avait deux choses sur lesquelles je manquais de préparation. Tout d’abord, le texte même sur lequel je tombai : il me semblait bien que nous ne l’avions jamais abordé avec la professeure, à moins que ma mémoire se soit mise subitement à me faire totalement défaut. Deuxièmement, je n’avais absolument pas anticipé le fait de devoir préparer mon intervention dans la pièce où le candidat précédent se faisait interroger ! En tant que zèbre atteint, si vous vous en souvenez, du déficit de l’inhibition latente, il m’était totalement impossible de ne pas entendre chacun des mots de son intervention, ainsi que chacun des mots par lesquels l’examinatrice le massacra. Il expliqua très intelligemment et avec beaucoup d’arguments très pertinents pourquoi il n’aimait pas le texte (c’était une nouvelle fois Zola…), et il se fit totalement dézinguer. Alors, que pouvais-je attendre, moi qui ne pouvais prétendre arriver à la cheville de son éloquence, et qui de surcroît passais sur un texte inconnu, sans avoir trouvé la concentration nécessaire pour écrire au brouillon plus que quelques phrases de préparation ? Je perdis tous mes moyens, et j’obtins un 7/20**.

L’année suivante, fort de ces pitoyables résultats en Français, et continuant à réussir sans problème dans les matières scientifiques, je décidai contre toute attende de choisir une classe préparatoire littéraire. Je me disais que si je parvenais à y entrer malgré de telles notes, j’aurais pris ma revanche. Et puis je n’avais vraiment pas envie de faire une classe préparatoire scientifique, d’une part parce que mon père était ingénieur et que je ne trouvais rien d’attirant là-dedans, et d’autre part parce que je commençais à me demander s’il était normal qu’au prétexte que j’étais un bon élève on me trace devant moi une voie toute choisie, sans que j’aie rien à y redire. En effet, tous mes amis qui avaient de bons résultats scolaires étaient encouragés à faire des études scientifiques, et pour la plupart cela signifiait une classe préparatoire.

Mais moi, de mon côté, d’une part je ne voulais pas d’un chemin tout tracé, et puis j’avais commencé, grâce à mon ami Florian, à écrire un roman. J’y avais consacré toute l’année de terminale, il était quasiment fini lors du Bac et fut achevé peu de temps après. Quel fut le rôle de Florian là-dedans ? En fait ce fut lui qui lança l’idée. Il voulait écrire un roman de science-fiction, et comme nous passions notre temps à dessiner des vaisseaux de Star Wars grâce à notre maîtrise parfaite de la perspective et du point de fuite, il commença par imaginer les vaisseaux spatiaux qui peupleraient son monde imaginaire. Malheureusement, il en resta au stade des dessins ; moi par contre, j’avais été piqué par l’idée et j’avais profité des vacances d’été pour rédiger un premier chapitre, une histoire d’abeille électronique qui s’éveillait à la conscience et, tombant dans un ordinateur, bouleversait la vie d’un humain en lui révélant la date programmée de sa mort***.

Au retour des vacances, je montrai ce premier chapitre à Florian, après l’avoir tapé sur ordinateur, et avant d’écrire les suivants nous travaillions ensemble à la rédaction des plans de chaque partie. Nous réfléchissions ensemble, chez lui ou au lycée, puis une fois que nous avions quelques idées claires sur mon calepin à petits carreaux, je me mettais à l’ordinateur et écrivais le chapitre en question. Puis, armé d’une disquette 3,5 pouces, je transférais le texte sur l’ordinateur de Florian et nous passions à la relecture, tous les deux. C’était une merveilleuse façon d’écrire un livre, d’être ainsi épaulé, soutenu. Quelqu’un croyait en mes capacités et me sentait capable d’écrire un roman en entier ! Et grâce à lui je réussis.

Je ne parvins jamais à faire publier ce roman, qui était sans doute encore trop juvénile (après tout, je n’avais que dix-sept ans et c’était ma première expérience) mais il me donna le goût de l’écriture, et dès qu’il fut terminé je préparai les plans pour en écrire un second.

Voilà la vraie raison pour laquelle je voulais suivre des études littéraires.


Y avait-il une part de provocation dans cette orientation ? Sans doute, puisque j’indiquais clairement que je ne voulais pas faire comme mon père. Et qu’attendais-je de mes parents face à ce choix ? Qu’ils s’intéressent à mon avenir, qu’ils m’aident à trouver ce qui me correspondrait le mieux. Or, j’ai toujours eu l’impression que s’ils me laissèrent faire les études que j’avais envie de faire, c’était plus par désintérêt que par ce qu’ils auraient cru en moi. Je m’attendais à ce qu’ils résistent un minimum à mon choix et qu’au moins ils tentent de me faire voir les aspects positifs des études scientifiques, mais non. Le seul compromis fut que je choisis une prépa BL, c’est-à-dire une classe préparatoire littéraire qui conservait un programme assez important en mathématiques, ainsi que de l’économie et la sociologie. Mais c’était plus pour me rassurer moi-même. Et ensuite jamais ils ne montrèrent le moindre intérêt pour les matières que je suivais ou pour ce que j’apprenais ; je crois même que bien souvent ils n’avaient aucune idée des cours auxquels j’assistais.


* Moi qui avais toujours eu peur de me faire remarquer au point de développer un physique squelettique, tout en ayant un besoin vital de me distinguer, je n’avais jamais été très à l’aise avec les gens corpulents qui me paraissaient imposer leur présence. Etait-ce de la jalousie ?

** Peut-être avais-je eu le 5 à l’oral et le 7 à l’écrit, je suis sûr des deux notes mais je peux les avoir interverties.

*** Inutile de le lire, je viens de révéler la chute.

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