Les images

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Un des souvenirs qui me reste de cet épisode est un petit morceau de carton que j’avais offert à Tatiana. Enfin, ce n’était pas vraiment un morceau de carton, plutôt une image que j’avais imprimée et cartonnée. Je l’avais réalisée moi-même sur mon ordinateur : à cette époque j’adorais retoucher des images, avec PaintShop Pro ou Photoshop. Aux débuts de l’informatique, les choses étaient plus simples et les possibilités me paraissaient plus nombreuses paradoxalement ; ou alors, parce qu’elles étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui, elles me paraissaient plus accessibles alors qu’en réalité tout demandait plus d’efforts. Par exemple je m’amusais beaucoup à créer des icônes pour les dossiers de mon ordinateur, en retouchant pixel par pixel de petites images de 32 carrés de côté, avec une palette de couleur très limitée. Aujourd’hui on appelle cela du Pixel Art, à l’époque il n’y avait simplement pas moyen de faire autrement ! J’adorais personnaliser tous les éléments de l’ordinateur, par exemple les différents pointeurs de la souris (j’ai l’impression que maintenant cela ne vient plus à l’idée de personne), ou mettre un arrière-plan approprié à la fenêtre de chaque dossier, sans parler de tous les sons que je pouvais personnifier.

Je passais aussi énormément de temps à choisir le fond d’écran principal du bureau, et quand l’image n’était pas aux dimensions appropriées, il fallait la modifier : c’est ainsi que j’en vins à faire de la retouche d’image. Par exemple, souvent cette image pouvait avoir un format carré, et pour en faire un fond d’écran je m’amusais à la prolonger pour en faire un rectangle, en recopiant des portions de zones intérieures à l’extérieur, avant de chercher à estomper au possible les transitions. C’était extrêmement minutieux, je devais procéder millimètre par millimètre. Et le résultat ne servait qu’à me faire plaisir le temps d’afficher une image sur mon bureau, mais peu m’importait, cela me plaisait. Je finis par réaliser des images plus complexes, en utilisant les calques, les filtres, les ombres... Les possibilités offertes par les logiciels (que mon père, en bon informaticien de l’époque, piratait allégrement) étaient très nombreuses.

Mais un jour, avec ma classe du lycée nous allâmes dans une sorte de forum d’orientation, et je me renseignai sur les possibilités de travailler dans le design numérique. Je parlai à une personne, une femme ; quand je lui dis que j’étais daltonien elle m’annonça que ce ne serait pas possible et me découragea de songer davantage à cette voie. Peut-être avait-elle raison. Mais peut-être pas ; en tout cas, je n’aurais sans doute pas dû me contenter d’une seule opinion. Mais à l’époque il n’en fallait pas plus pour ébranler mes fragiles convictions, et instantanément, de doué je me pensai inapte. Quel gâchis ! Je pense que cela m’aurais vraiment plu de travailler à la retouche d’image, c’était quelque chose qui m’apaisait (j’imagine que ceux qui font du coloriage pour adultes ressentent un peu la même chose) et qui me permettait d’utiliser un grand nombre de compétences. Et c’était la première fois que j’avais envisagé sérieusement une certaine orientation, un possible métier. Malheureusement, je ne restai pas longtemps à la page, et après avoir vu des amis réaliser des designs qui me paraissaient inaccessibles, au lieu de chercher à savoir comment ils avaient procédé je finis par me désintéresser de la chose. Aujourd’hui je n’ai même plus de logiciel de retouche d’image installé sur mon ordinateur, et ma dernière création dans ce domaine remonte à plus de treize ans.


L’image que je fis pour Tatiana était certainement d’un grand ridicule : il s’agissait de son prénom écris en lettre noires détourées de jaune, dans l’espace, devant la planète Mars sur le sol de laquelle j’avais gravé un gigantesque cœur. Une partie (son prénom, la planète, ou le fond, je ne me souviens plus) était recouverte d’une texture à effet briques, et le contour était celui d’une fenêtre Windows mais avec un thème particulier. Quelque part dans l’image traînait certainement un mouton eSheep (à moins que pour cette occasion j’étais parvenu à me refreiner ? J’en doute).

Cette création revêtait une importante valeur symbolique. Un jour, quand je compris que mon état était maladif et qu’il me fallait absolument me sortir de cette obsession, je parvins à supprimer cette image de mon ordinateur. J’effaçai les fichiers finaux, le fichier source. Je vidai la corbeille. Je vidai la corbeille de sécurité (oui, à l’époque j’en avais une). Et enfin une page était tournée, j’allais pouvoir tenter de passer à autre chose.

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