L'escrime

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J’avais enfin trouvé un sport qui me convenait ! Il me semble que j’avais toujours voulu pratiquer l’escrime, depuis la première fois où je m’étais taillé une épée avec un couteau et un bout de bois ; j’en garde d’ailleurs encore la trace au poignet, une vilaine cicatrice là où le couteau dérapa… Malheureusement on m’avait dit qu’il n’y avait pas de club dans les environs. En fait il y en avait un, et pas si loin que cela, mais il fallut du temps pour le découvrir. C’était particulièrement dommage d’avoir dû attendre aussi longtemps, car je découvris dans le club un garçon qui avait été dans ma classe en sixième, Fabien, et qui pratiquait déjà à l’époque… mais nous ne nous parlions pas alors.

Très vite j’adorai l’escrime, tout semblait me correspondre. D’abord il y avait l’ambiance du club, une ambiance que je ne devais jamais retrouver ailleurs, facilitée par le fait que même si je rejoignais les autres sur le tard, nous étions presque tous de la même année ; quoique de toute façon les différences d’âge semblaient quasiment inopérantes. A l’escrime il fallait toujours se serrer la main, avant et après un match, en arrivant et en partant de l’entraînement : je fus donc automatiquement intégré, que je le veuille ou non, on ne me laissa pas me mettre en retrait. Puis il y avait les entraînements, où nous nous défoulions sur du foot en salle, avant de passer aux séries d’exercices qui me mettaient dans un état second par la répétition inlassable des mouvements spécifiques de l’escrimeur : les « marche et fente », les retraites, les « parade-riposte »… Enfin il y avait les matches eux-mêmes, et ils étaient incroyablement dynamiques. Oui, dynamiques, car nous ne pratiquions pas le fleuret comme vous l’avez peut-être pensé, mais bien le sabre. Et au sabre, sitôt le signal donné on s’élance vers l’adversaire, il n’y a aucun temps mort, aucune place pour l’hésitation : le cerveau doit prendre ses décisions tout seul, de façon autonome, et le corps doit suivre ; impossible de se perdre dans ses réflexions ! Alors certes ce n’était pas facile car les autres étaient presque tous meilleurs que moi (du moins au début), d’autant plus que la plupart faisaient beaucoup de compétition tandis que je n’en fis jamais*, mais j’adorais ce sport et j’étais extrêmement motivé. Je fis d’abord un entraînement par semaine, puis deux, puis finalement trois, le maximum, soit six heures par semaine ce qui n’était pas rien pour un enfant que ses parents jugeaient comme n’étant pas sportif. Mon maître d’arme, l’inénarrable Christian, eut d’ailleurs tôt fait de contredire cette idée et d’expliquer à mon père, qui venait me chercher en voiture aux entraînements, que j’avais au contraire beaucoup d’énergie et que je me donnais sans réserve. Mais fut-il cru ?

Je fis de l’escrime pendant quatre ans, soit durant tout le lycée et encore une année après, jusqu’à ce que je quitte la région. Ce qui était un peu dommage, c’était que je ne compris qu’à la fin que j’avais rapidement surmonté le fait de ne pas avoir commencé en même temps que les autres : en effet, habitué à toujours être soit complètement exclu, soit au mieux légèrement en retrait, je continuais à me voir moins intégré que les autres, que je pensais unis par des liens plus forts que ceux qui me reliaient à eux. Je fus donc incroyablement surpris d’entendre mon maître d’arme, un jour, s’étonner de la facilité avec laquelle, pour lui, je m’étais intégré au sein du club ! Et il me fit une magnifique surprise en insistant pour que je sois présent à une cérémonie de remise de prix, à laquelle je ne pouvais normalement pas assister à cause d’une répétition pour une audition de piano, et à laquelle je ne m’attendais pas à recevoir quoi que ce soit puisque je ne faisais pas de compétition. Or j’eus droit à une magnifique coupe me récompensant au titre de la meilleure progression de l’année : j’étais le tireur (c’est ainsi qu’on nomme les escrimeurs) qui avait le plus rapidement assimilé tous les aspects techniques et les gestes du sport, bref si je n’avais pas totalement rattrapé mon retard j’avais largement comblé le fossé, et progressé à une vitesse qui avait étonné, suffisamment pour qu’on me juge digne d’une récompense ! J’étais véritablement surpris, je ne m’y attendais absolument pas. Je me retrouvai aussitôt sur un petit nuage, et il me fallut un peu de temps pour admettre que oui, je pouvais être comme les autres… Enfin non, pas réellement comme les autres, mais plutôt qu’il n’y avait pas besoin d’être comme les autres pour partager les mêmes choses, pour être remarqué, apprécié, avoir de la valeur. Cette coupe était magique. Bien sûr, je l’ai toujours, je la garde précieusement.


Comme je le mentionnais un peu plus tôt, en plus de rythmer mes semaines de lycée et de rendre les cours du matin parfois très difficiles à suivre (les entraînements étaient le soir, je mangeais très tard en rentrant et dormais peu, pas assez pour récupérer suffisamment), il y avait chaque été un stage d’une semaine à Berck-sur-Mer. Nous dormions dans des dortoirs de quatre personnes, dans des lits superposés, et passions les soirées dans un bar à jeu, chose que je n’aurais jamais imaginé faire auparavant. Les journées étaient rudes : nous commencions par un footing dans le sable, pendant lequel il fallait gravir des dunes avant de les redescendre et de recommencer sans cesse… Là encore, cela m’aurait aidé de savoir qu’un jour je deviendrais marathonien ! Il fallait suivre malgré le souffle court et les ampoules aux pieds. Puis il y avait l’escrime à proprement parler, avec beaucoup de leçons particulières, infiniment précieuses pour le lien direct avec le maître d’arme, mais redoutables car exténuantes. Et enfin les soirées sur la plage avec djembés et guitares. Il y avait en particulier trois garçons, dont deux étaient d’ailleurs les meilleurs escrimeurs du club, qui étaient très investis dans la musique et qui jouaient tous les trois de la guitare électrique dans le même groupe de rock, influencé par Noir Désir et la Mano Negra (que je découvris grâce à eux).

L’un d’eux, Bruno, était dans mon lycée et se retrouva dans ma classe en troisième. Nous ne fûmes jamais très proches car son succès et son assurance m’intimidaient, mais il avait une personnalité magnétique qui forçait l’admiration. Je ne sais pourquoi, j’en vins à l’associer au personnage de Zappy Bibicy dans LeGuide du routard galactique. Pourtant il n’avait qu’une seule tête (une forte tête, certes. Mais une seule).

D’ailleurs la plupart des membres du club étaient hauts en couleur. Je pourrais certainement aller jusqu’à dire que chacun était bizarre à sa façon. Peut-être avais-je atterri au milieu d’un troupeau de zèbres et c’était pourquoi je m’y sentais aussi bien ? Ou alors c’était simplement que nous étions à un âge où nous étions tous encore proches de nous-mêmes, libérés et décomplexés (enfin, les autres, pas moi), tous bouillonnants de projets et de visions bien affirmées de la vie…

Malheureusement au moins deux entre eux furent ravagés par le cannabis, jusqu’à perdre toute énergie. Dont justement celui qui me fit découvrir Offspring et Manson : c’était un garçon super costaud, qui avait la chance incroyable d’être très apte physiquement sans avoir à faire aucun effort, mais qui du coup ne voyais pas du tout la nécessité d’en faire, des efforts… Devais-je regretter de le voir gâcher un tel potentiel, ou admirer la façon dont il parvenait à profiter de sa vie ? Son meilleur ami, escrimeur lui aussi, avait un caractère opposé : gêné par une respiration d’asthmatique qu’il avait compensée en développant une très large cage thoracique là où d’autres seraient restés rachitiques, il était de taille et de carrure quasi identiques à son ami mais d’une qualité de relâchement opposée, vif là où l’autre était mou, sérieux là où l’autre était je-m’en-foutiste…

Il y avait aussi un gars qui avait le même prénom qu’une fille dont il était amoureux, mais elle s’était amourachée d’un autre qui n’avait rien fait pour…


Cela me fait penser que je n’ai encore rien dit sur ma vie amoureuse. Il va être temps d’aborder le sujet… La transition était d’ailleurs déjà toute trouvée avec la musique, avant que je n’en vienne à parler de l’escrime.


* Enfin si, je me lançai une fois, mais la compétition était à domicile et personne ne vint de l’extérieur : je ne me rendis du coup pas vraiment compte qu’il y avait une différence. Puis je cassai mon matériel électrique, ce que je pris pour prétexte pour ne pas renouveler l’essai : une belle expérience manquée.

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