La musique

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Il me semble d’ailleurs que presque tout dans ces années de lycée était positif : bien sûr il y avait beaucoup d’ennui en classe, mais je parvenais à m’occuper, et même à écouter discrètement mon walkman. C’était probablement le contraste avec les années de collèges, si ennuyeuses et si marquées par le harcèlement, qui donna aux années de lycée cette coloration si lumineuse. Et cela affecte ma mémoire et la façon dont j’organise mes souvenirs. Ainsi le piano, que je pratiquais beaucoup à l’époque, reste immanquablement associé au lycée ; pourtant je recommençai à prendre des cours alors que j’étais encore au collège. Mais j’ai beau me triturer l’esprit, je ne parviens pas à me souvenir des cours de piano avant cette époque, seulement de quelques bribes liées à l’instrument…

Voici ce qu’il en était : on se souviendra que j’avais abandonné le piano en sixième, à cause d’un professeur qui ne me donnait à faire que des exercices au métronome. Je n’aimais pas les exercices, et je ne savais pas jouer avec le métronome*. En plus, j’avais trop de devoirs (je n’avais sans doute pas besoin de les faire mais c’était obligatoire, et je devais probablement y passer plus de temps que nécessaire précisément parce que je les trouvais inutiles). M’arrêter me fis du bien : j’avais l’impression de prendre une décision positive, de me donner du temps, de laisser de côté un élément pénible de mon existence, de parvenir à lâcher prise sur quelque chose qui était peut-être important mais pas indispensable.

L’envie revint grâce à mon ami Florian, et aussi grâce à Star Wars. Comme j’étais absolument fan de la musique de Star Wars, vint un moment où j’essayai de la reproduire sur le petit orgue électronique que j’avais dans ma chambre**. Florian m’aida à trouver les mélodies, et quand nous eûmes retrouvé quelques thèmes, il les joua en cours de musique pour gagner une bonne note… Pour ma part je n’osai pas. Mais surtout, Florian avait commencé à prendre des cours de piano de son côté, il m’en parla et amena des partitions à la maison.

J’avais gardé suffisamment de technique pour jouer très facilement ces morceaux. Il y en avait deux : Take My Breath Away (la BO de Top Gun je crois, mais je ne connaissais pas le film) et We Are The Champions(nous allions devenir tous deux d’irrattrapables fans de Queen). Et je n’en revenais pas : ces morceaux étaient agréables à jouer, ils me plaisaient, j’étais motivé ! En plus, je découvrais qu’on pouvait prendre plaisir à faire de la musique à plusieurs, qu’il n’y avait pas besoin d’être tout seul dans son coin pour déchiffrer un morceau… Et je me trouvais doué, car je voyais que j’arrivais facilement à les jouer, et que j’impressionnais Florian par cette facilité. Par ailleurs, ce qu’il me racontait de ses cours me plaisait beaucoup : le prof était sympa, drôle, il avait un nom étrange (Riwal) et les cours étaient collectifs.

Assez rapidement je décidai de le rejoindre et d’essayer. Les cours se déroulaient dans une petite pièce sans fenêtre au fond d’un atelier de réparation de pianos. La salle comprenait un piano droit plus ou moins bien accordé selon la façon dont les élèves le maltraitaient, et trois pianos électriques. Pendant que Riwal faisait travailler un élève sur le « vrai » piano, les autres déchiffraient leur morceau sur les claviers électriques, avec un casque sur les oreilles, et nous alternions régulièrement, ce qui permettait de tout de suite montrer les résultats de notre travail. Bien sûr, les casques n’étaient pas parfaitement isolants, et il était parfois tentant d’écouter le cours qui se déroulait sur le vrai piano, ou de suivre la conversation de Riwal car ce dernier tissait facilement des liens personnels avec ses élèves et était plutôt bavard et très extraverti. Mais si nous étions motivés (et le choix judicieux des morceaux y aidait beaucoup) nous pouvions avec cette méthode progresser très rapidement, nous rendre compte que nous progressions, et prendre plaisir à jouer et à apprendre de nouveaux morceaux ! Je restai fidèle à Riwal jusqu’à ce que je quitte le domicile de mes parents, un an après la fin du lycée.

Il est possible aussi que je ne parvienne pas vraiment à me rappeler que j’étais encore au collège quand je débutai les cours avec Riwal, car ce fut au lycée qu’ils commencèrent à prendre une autre dimension : Riwal organisait des soirées chez lui où il invitait beaucoup de ses élèves les plus âgés, et j’en faisait partie. Il y avait ainsi toute une bande autour de lui, dont plusieurs amis avec qui il allait bientôt ouvrir un magasin de musique. Je découvris ainsi un autre monde, peuplé de jeunes gens qui ne semblaient pas vraiment se comporter en adultes : grâce à Riwal la frontière qui délimitait la fin de l’enfance semblait soudain beaucoup plus floue, moins importante, presque artificielle.

Et les études semblaient moins indispensable également : Riwal avait travaillé dans l’assurance avant d’être professeur de piano, et son ami qui tiendrait le magasin de musique avait un diplôme d’ingénieur qu’il n’utilisa jamais, ayant après coup passé un simple CAP de vente pour les besoins de la boutique. Je côtoyais des gens qui parvenaient à vivre de leur passion, et qui montraient combien on était plus heureux en exerçant un métier correspondant à sa nature, à ses intérêts. Peut-être alors était-ce sous leur influence que pour les études supérieures je délaissai la filière scientifique, qui était la voie toute tracée pour les bons élèves du bon lycée dans lequel j’étais ? C’est bien possible, pourtant je me retrouvai quelques années plus tard à faire des études qui ne me correspondaient aucunement : j’aurais dû rester proche d’eux, rester sous leur influence ou du moins garder leur exemple plus près du cœur.

Sinon la musique marqua mes années de lycée d’une autre façon : j’en écoutais de plus en plus.

Tout d’abord je me passionnai pour Queen, groupe grâce auquel j’appris l’anglais en cherchant la signification de toutes les paroles du fameux Best Of en deux volumes, avec l’aide d’un dictionnaire. Puis mon cousin me fit découvrir The Clash, et je repérai aussi les Pink Floyd dans la discothèque de mon père. Je me souviens que je connaissais les paroles de The Wall absolument par cœur, et que je les écrivais en cours pour combler l’ennui, soit sur une feuille soit directement sur la table car oui, il fut une période où nous écrivions beaucoup sur les tables (je ne faisais d’ailleurs pas qu’écrire : je dessinais aussi un mouton jaune avec des cornes violettes, le petit eSheep qui courait sur les fenêtres de mon ordinateur).

Au lycée j’eus droit à un nouveau Walkman (il était temps !) que je me fis offrir pour Noël. Il était doré, et avait des écouteurs qui entraient partiellement dans les oreilles, ce qui me permettait de bien entendre sans me bousiller les tympans, car j’avais les oreilles très sensibles. Je copiai alors beaucoup de disques pour pouvoir les écouter un peu partout : sur le chemin du lycée, en attendant le bus, en cours, au CDI… bref dès que j’avais un moment à moi. Même sans moment à moi d’ailleurs, puisqu’il m’arrivait de faire mon asocial au point d’écouter de la musique quand j’étais avec mes amis. J’avais toutefois la décence de ne m’enfoncer qu’un seul écouteur dans les oreilles, laissant la seconde libre pour qu’on puisse me parler.

Mes goûts étaient de plus en plus éclectiques : je me souviens ainsi que sur mes cassettes on trouvait aussi bien la musique de Star Wars que Björk (la meilleure chanteuse du monde), Loreena McKennit que le Dave Brubeck Quartet (que je découvris quand Riwal me fit jouer Take Five et surtout Blue Rondo à la Turc, et qui reste encore aujourd’hui ma formation de jazz préférée), la BO de Blade Runner que l’album Americanades Offspring, ou encore Marylin Manson. Manson et les Offspring tranchaient avec le reste en ce que ces deux formations géniales étaient plus hard que tout ce que j’écoutais alors ; je les découvris grâce aux stages d’escrime que je faisais chaque été dans le nord, à Berck-Sur-Mer, où nous partions avec mon club. Ces stages furent des expériences inoubliables.

* Note aux apprentis musiciens : la pratique au métronome est indispensable ! Et les exercices techniques également… simplement, il ne faut pas faire QUE ça. Il faut aussi jouer pour le plaisir, et si ça sonne comme une évidence, ce n’est en fait pas si simple.

** Un Casiotone 701. On ne peut pas faire plus vintage ; il me manque.

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