Le supermarché

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Voilà pourquoi le soulagement fut ce qui marqua mon arrivée au lycée. J’ai terminé l’évocation de mes années de collège en racontant le harcèlement et l’injustice : eh bien au lycée, les adultes n’allaient certainement pas cesser d’être injustes, mais tous les harceleurs étaient partis ! De tous ceux qui m’avaient un jour ou l’autre ennuyé au collège, pas un seul ne se retrouva dans mon lycée.

Alors bien sûr, l’arrivée au lycée ne se fit pas complètement en douceur. J’avais sans doute trop en tête la façon dont j’avais vécu l’entrée au collège pour être totalement rassuré ; il s’agissait tout de même d’intégrer un établissement complètement nouveau, avec des enfants plus grands, presque adultes, alors que je me sentais tout petit à côté d’eux. Tout allait être à découvrir, et comme je n’avais pas de réelle motivation à fréquenter le lycée (l’idée que je pus tirer quoi que ce soit des enseignements que j’y suivrais ne me traversa jamais l’esprit) j’y allai comme souvent je vais, à reculons, à contrecœur, en ne pensant qu’aux mauvaises choses qui pourraient arriver sans croire qu’il puisse aussi y en avoir de bonnes. Et au début, je fus plutôt confirmé dans mes appréhensions : on me fit faire la rentrée dans la mauvaise classe ! A cause d’une option que j’avais choisie qui n’était pas compatible avec la classe européenne dans laquelle je devais me retrouver, je fus séparé de tous mes camarades et dus faire le premier jour de la rentrée au milieu d’inconnus, tout en sachant que je ne resterais sans doute pas avec eux, donc sans avoir de réelle raison de tenter de m’intégrer…

Heureusement, dès le lendemain je rejoignis mes amis dans la bonne classe. La plupart des élèves venaient des deux classes européennes de mon collège, et les autres d’une classe européenne d’un autre collège ; ces derniers formaient un petit groupe soudé, ils se sentaient un peu différents car il leur semblait que leur niveau était moins bon. Mais il me semble qu’il y avait beaucoup de fortes personnalités parmi eux, et que s’ils étaient peut-être moins « scolaires » c’était plutôt une bonne chose, même s’ils allaient avoir plus de mal à obtenir de bonnes notes (mais l’important était-il là ?). En tout cas, je me retrouvai assez vite en terrain relativement connu, avec des amis, et des inconnus certes mais qui étaient sympathiques.

Restait une ombre au tableau : j’étais le seul, parmi tous les élèves du lycée, à être venu avec un stupide cartable. Tous les autres avaient des sacs à dos ; je me sentais donc assez ridicule, et on ne se privait pas de me le faire remarquer. Je parvins à convaincre mes parents que malgré tout le bien qu’ils pensaient de mon joli cartable bleu, je ne pouvais pas me faire remarquer à ce point d’une façon qui m’identifiait comme un « petit » égaré du collège ; et au bout de quelques jours (c’était long !) je pus heureusement troquer mon cartable pour autre chose. Alors certes, je n’eus pas le droit à un sac à dos classique mais à un énorme sac de randonnée carré, aussi encombrant que bizarre. Je restais donc équipé de façon marginale, mais tout de même d’une façon tolérée et plus si ridicule. C’était toujours cela (et à la rentrée d’après j’allais, enfin, avoir un sac normal).

Florian n’était toujours pas dans ma classe, mais Fabrice et Renaud étaient là, Julien également, et surtout j’allais très vite me faire un nouvel ami avec qui j’allais devenir extrêmement proche : Rémi. Je l’avais déjà croisé au collège, mais sans lui avoir jamais parlé ; nous ne partagions que les cours d’espagnol, où il s’asseyait de l’autre côté de la classe, à l’opposé de moi (du coup je voyais bien sa tête). Je me souvenais nettement d’une fois où la prof d’espagnol avait couru vers lui à bras ouverts comme si elle voulait l’embrasser, pour se moquer gentiment de lui qui s’était trompé dans sa conjugaison et l’avait tutoyée au lieu de la vouvoyer : j’avais été marqué par son sourire, il semblait réellement amusé de l’incident là où moi j’aurais eu trop peur d’être au centre de l’attention pour apprécier le comique de la situation. La prof l’avait également félicité pour être intervenu à de nombreuses reprises, alors que d’habitude il ne prenait pas la parole aussi spontanément, le jour où elle nous avait demandé d’essayer d’être dynamiques pour que son inspection ait des chances d’être réussie.

J’avais donc une opinion plutôt positive de lui mais sans vraiment le connaître. Au lycée, nous nous retrouvâmes côte à côte lors d’un cours, et très vite nous nous découvrîmes une foule de points communs à travers tous les jeux vidéo que nous adorions. Il était notamment fan du jeu Lands of Lore, et hormis mon cousin je n’avais jamais trouvé personne avec qui partager cette passion. Cette première conversation avec Rémi fut électrique : sitôt que nous trouvions un point d’accroche, nous découvrions un autre intérêt commun ou nous nous émerveillions de partager une même façon de voir les choses.

Rémi était un garçon de ma taille mais beaucoup plus musclé : il faisait de la danse (non, il n’était pas homosexuel*) et de la capoeira. Son père était d’origine syrienne, et sa mère prof d’anglais. Il était extrêmement pâle malgré son excellente santé, avait toujours le sourire, les yeux pétillants et une voix amusée.

Nous devînmes très vite amis, et je passai de plus en plus de temps avec lui et d’autres garçons avec qui nous formions un groupe. En plus de Rémi, il y avait Michaël, un garçon qui au début avait les cheveux longs et pour qui tout semblait facile ; il était également très musclé même si cela ne se voyait pas forcément et qu’il n’avait pas fait grand-chose pour cela, car il n’aimait pas particulièrement l’effort et semblait réussir à se contenter d’être qui il était**. J’admirais cette nonchalance, et je me sentais assez proche de lui tout en regrettant de rarement pouvoir le côtoyer seul, car il était généralement accompagné d’autres garçons qui m’étaient très sympathiques mais avec qui je ne ressentais pas la même connexion. Ces deux garçons, deux amis inséparables, étaient William, un géant de presque deux mètres et de quatre-vingt-dix kilos qui pratiquait le Taekwondo, et Baptiste, un garçon d’origine portugaise qui contrastait avec son compagnon en étant tout petit et pas du tout sportif.

Ce groupe que nous constituions avait une occupation assez… particulière, à laquelle je ne prenais pas vraiment part, me contentant de regarder faire les autres sans prendre de risques. Cette occupation consistait, sur le temps du midi qui était généralement assez long, à se rendre dans un petit supermarché proche du lycée, ce qui prenait une dizaine de minutes à pied, pour y consulter les magazines consacrés à l’informatique et aux jeux vidéo.

Quoi de mal à cela ? Rien, du moins au début. Car rapidement ensuite, mes amis se mirent à s’intéresser aux magazines dans le but non plus de les lire mais de subtiliser les cédéroms de démonstration de logiciels qui étaient systématiquement offerts dans ces journaux. Et ce fut le début du crime organisé… Car pour acquérir ces précieux CDs, ils durent développer certaines techniques pour ne pas se faire prendre. Et ils eurent tôt fait d’appliquer ces mêmes techniques à d’autres produits.

Après les cédéroms de démonstration, ils passèrent ainsi aux magazines dans leur totalité, car pourquoi s’ennuyer à détacher le CD quand il était plus rapide de tout glisser sous le manteau ? Puis ce furent des cassettes vidéo, et des CDs musicaux…

Très rapidement la nourriture fut concernée, d’autant plus facilement que les barres chocolatées et autres confiseries n’étaient protégées par aucun système d’alarme : de nombreux goûters furent ainsi entièrement organisés aux frais du supermarché…

Pendant un moment ils en restèrent là : des films et de la nourriture. Surtout de la nourriture, en quantité impressionnante : il était incroyable de voir combien de paquets de gâteaux ils parvenaient à glisser dans leur pantalon, leurs chaussettes ou leurs manches… Puis certains passèrent encore à la vitesse supérieure : des bouteilles, des rasoirs électriques, des téléphones… ils n’avaient plus aucune limite !

Il semble que le supermarché était partiellement en faute : le portique de la sortie sans achat était défectueux, et il était possible de sortir sans payer avec du matériel extrêmement couteux sans risquer de déclencher aucune sonnerie ! Il n’y avait qu’à tromper la caméra et l’œil du vigile. C’était si simple que c’en était drôle.

Pour moi bien sûr c’était moins drôle, j’avais toujours eu une peur bleu de faire quelque chose d’interdit, alors dans ce supermarché j’avais toujours la boule au ventre, je craignais pour eux, même quand je n’avais moi-même rien à me reprocher. J’aurais préféré qu’ils n’y aillent pas, mais la tentation était trop forte pour eux et mes mots n’avaient pas de poids : il me fallait ou les suivre ou rester seul. Du coup, si je n’avais aucun autre ami avec qui passer le temps du midi, je les accompagnais… Et bien sûr, je profitais moi aussi de tous les gâteaux subtilisés ! Je peux les remercier d’avoir été compréhensifs et de ne pas trop m’avoir incité à participer à ce pillage organisé. Je ne me souviens avoir tenté le vol qu’une seule fois : un jour, je pris un livre et le mis dans mon pantalon, et je sortis sans payer. C’était un livre de Bernard Werber, L’encyclopédie du savoir relatif et absolu. Je crois qu’il ne m’intéressait même pas tant que ça, car il ne s’agissait pas d’un roman ; en tout cas je volai ce livre, et je trouvai le méfait tellement angoissant, la culpabilité tellement insupportable, que je décidai de ne jamais recommencer. J’avais trop peur d’être pris, tout simplement, trop peur de ce qu’on dirait de moi si cela arrivait, et de l’humiliation et de la honte que cela entrainerait.

Mais bon, dans l’ensemble, à les regarder faire, c’était plutôt rigolo, et j’en garde un souvenir positif.

* Je n’y aurais sans doute rien trouvé à redire, je précise juste pour que vous ne vous fassiez pas une image de lui différente de la réalité.

** Cela, j’en suis très loin !

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