La vue retrouvée

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Etait-ce par ce que je ne me sentais pas assez naturel que j’étais autant attiré par les animaux, moi qui portait en permanence sur le nez, à travers mes lunettes, la preuve que je n’aurais pas pu faire deux pas dans la vie sans l’assistance de la technologie humaine ? Peut-être. Mais en tout cas pour ce qui était de mes lunettes, heureusement, cela allait rapidement changer avec le collège, car dès l’année de la sixième je me mis à porter des lentilles.

Oh joie ! J’étais transfiguré. Transformé. Je me sentais presque devenu… normal. A l’époque c’était très rare de porter des lentilles à mon âge, mais ma myopie devenait vraiment préoccupante et l’ophtalmologiste avait appris que le port de lentilles rigides pouvait freiner sa progression, il me fit donc essayer. Alors certes, il s’agissait des lentilles les plus inconfortables qui soient : la moindre poussière me faisait souffrir le martyr, elles étaient parfois impossibles à enlever et d’autres fois elle me sautaient de l’œil au moindre battement de cil… car pour les enlever, il suffisait en théorie de tirer sur le coin de l’œil et de le refermer : mieux valait ne pas avoir les yeux bridés ! Mais comme je n’avais pas essayé les autres systèmes, je ne me rendais pas trop compte que cela aurait pu être beaucoup plus simple ; et puis cela marchait, ma myopie était freinée, même si elle bondit en avant d’un grand coup sitôt que, une fois au lycée, je finis par vraiment en avoir assez et adopter les lentilles souples… En tout cas à l’époque, j’étais ravi, et on peut le comprendre si on se souvient à quel point mes lunettes me stigmatisaient. Les premiers jours, je n’eus pas le droit de les porter très longtemps : il fallait s’habituer progressivement. Mais très vite j’en vins à les porter en permanence, et je ne mettais plus mes lunettes qu’à la maison. Seul un gros problème de conjonctivite me força un jour à remettre mes lunettes au collège et à me montrer ainsi, redevenu binoclard, à mes camarades ; certains ignoraient totalement jusqu’à ce jour que j’étais myope, et ne m’avaient du coup peut-être pas encore complètement étiqueté comme intello…

Enfin je suppose que la plupart n’étaient pas dupes. Pour preuve, j’en veux que pendant la cinquième je fus harassé dans ma classe même par toute une bande d’affreux, qui me jetaient des papiers ou se retournaient pour me donner des coup de règle dès que la professeure regardait ailleurs. Ou peut-être les voyait-elle, mais était elle-même tellement chahutée par cette bande de zouaves qu’elle ne pouvait me défendre tant qu’elle ne parvenait pas à assurer son cours… Chacun ses problèmes.

Cela dura une année, pendant laquelle rien ne les arrêta. L’année suivante, tous allèrent en section technologique, et moi et mes amis allâmes en classe « européenne », ce qui fit que je ne fus plus ennuyé qu’en dehors des cours et plus pendant. Ouf !

Heureusement qu’elle existait, cette classe européenne ! Même si par malheur mon ami Florian n’y fut pas admis, alors qu’il avait pour ambition de passer une année aux USA (ce qu’il finit par réussir après le bac, et avant cela il y passa plusieurs étés). Ainsi, grâce à la merveilleuse école égalitaire de notre république, les bons se retrouvèrent ensemble (il y avait même deux classes européennes, l’une constituée de super bons et l’autre de bons normaux : tout allait réellement à deux vitesses). Et les mauvais se retrouvèrent également ensemble, en classe technologique, et je ne sais pas qui ils se mirent à harceler mais je ne doute pas qu’ils aient trouvé quelqu’un (fallait-il espérer qu’il y ait des filles dans ce genre de classes, ou plaindre les rares qui auraient voulu s’y risquer ? Je pense que si elles avaient su à l’avance avec qui elles allaient se retrouver, beaucoup auraient abandonné toute velléité d’égalité par le bas. Mais de toute façon, il n’y en avait aucune assez mauvaise en classe pour pouvoir se comparer aux affreux qui se retrouvaient là*).

La classe européenne, cela consistait à avoir un peu plus d’heures d’anglais, ainsi que des cours d’histoire-géographie assurés en anglais. Pour ces derniers, il allait falloir repasser, car la professeure d’histoire-géographie avait un anglais très moyen, et guère l’habitude de l’utiliser à l’oral. Certes, son mari était professeur d’anglais, mais y avait-il un rapport ?

Notre professeur de langue anglaise, en revanche, c’était autre chose. Jusque-là je n’avais pas été vraiment attiré par l’anglais, ou plutôt j’avais du mal avec la façon dont il était enseigné, mais en quatrième et en troisième ce fut une jeune professeure issue de l’école normale qui nous fit cours, et elle sut nous intéresser avec des leçons variées et de qualité, sans manuel idiot (finis, les « Where is Brian ? In the kitchen. ») Nous avions notamment des exposés à réaliser ; nous les faisions parfois à quatre, c’est-à-dire Renaud, Fabrice, Adrien et moi. Adrien était un autre intello à avoir rejoint notre groupe. Il avait ceci de particulier qu’il avait sauté une classe, alors même qu’il était plutôt de petite taille pour son âge : un autre surdoué parmi nous ? En tout cas il nous disputait les meilleures notes. Mais je ne fus jamais aussi proche de lui que je l’étais de Renaud et de Fabrice, et je crois que j’étais assez mal à l’aise quand je me retrouvais seul avec lui. Si j’allais assez fréquemment dans sa maison, je pense que c’était la plupart du temps accompagné d’un autre camarade. Eh oui, notre groupe n’était pas si soudé que cela et de même que je me rapprochai de Florian et plus tard, au lycée, d’un autre camarade, Renaud et Fabrice développèrent également d’autres amitiés différentes des miennes ; et si nous restâmes sept années dans la même classe, nos rapports évoluèrent peu à peu vers plus de distance. Malheureusement, la séparation forcée occasionnées par les études supérieures nous fut fatale et je ne revis aucun d’entre eux après le Bac, tandis que Renaud et Fabrice, eux, continuèrent je pense à se voir, et continuent encore, du moins je l’espère.


* Ils n’étaient pas si affreux que ça, je le sais bien. Mais c’étaient des harceleurs et je n’ai aucune envie de leur pardonner. Leur harcèlement étant de toute façon minime par rapport à celui d’autres salauds, je ne perds rien je pense à les oublier. Le pardon m’apporterait peut-être la paix de l’esprit, mais il faut commencer par les vrais méchants, à côté ceux-là ne sont que du menu fretin.

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