Le chat miniature

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Au sein de ma famille, mon chat était apprécié mais j’étais le seul à avoir une vraie connexion avec lui, et à montrer un intérêt particulier pour les animaux en général. J’avais certainement un « truc » avec les bêtes, et les chats en particulier. Ainsi, quand nous nous rendîmes un été dans une maison de vacances dans le jardin de laquelle se cachait un petit chaton entièrement sauvage, je fus le seul à réussir à l’approcher. Cela me prit plusieurs semaines d’efforts, mais plus que ma persévérance ce fut ma motivation qui fut récompensée : je sentais que je devais apprivoiser ce chaton, et donc, puisque je devais y arriver il existait nécessairement une façon d’y parvenir. Ne restait plus qu’à tenter tout ce qui me passerait par la tête, et je parviendrais à mes fins.

Quand nous arrivâmes dans cette maison, le propriétaire indiqua à mes parents qu’il y avait un chaton abandonné, presque un chat sauvage, qui se réfugiait sous la réserve de bois derrière à côté du garage. Le propriétaire lui laissait de la nourriture mais n’avait jamais pu approcher l’animal et c’est à peine s’il était parvenu à l’entrevoir.

Effectivement, les croquettes qui étaient laissées près du bois étaient consommées, même si nous ne savions pas quand. Mes frères et moi passâmes un certain temps à genoux sur le dur sol bétonné du garage dans l’espoir d’apercevoir le chaton, mais notre patience ne fut pas récompensée. Jusqu’à ce que je finisse par apercevoir vaguement une paire d’yeux verts dans la pénombre, et les contours de ce qui apparut être un chat minuscule. Il ressemblait en effet plus à un chat en miniature qu’à un chaton, car il avait le ventre gonflé et était assez trapu ; il fut donc surnommé « Mini-chat »… Mais tant que nous étions là, il ne voulait pas sortir de sa cachette. Comment s’y prendre ?

Je commençai par tenter de l’attirer avec des croquettes, mais il avait trop peur, ou alors sa faim n’était pas assez grande. Il fallait donc qu’il ne me voie pas. J’imaginai alors de laisser toute une file de croquettes par terre pour aller jusqu’à sa gamelle, et cela fonctionna : je le vis sortir ! Il était gris-bleu avec des rayures de la même teinte et un ventre plus clair. Mais dès qu’il m’aperçut il retourna vite se cacher. Pour autant, je ne m’avouai pas vaincu : les jours suivants, je fis d’autres tentatives avec des chemins de croquettes de plus en plus longs, jusqu’à l’attirer à l’intérieur du garage. Et quand il atteignit sa gamelle et commença à manger derrière la porte, je pus m’approcher discrètement de son refuge sous le tas de bois : sa route était coupée ! J’avais réussi à le voir nettement et je pus tendre la main vers lui.

Bien sûr, je ne réussis qu’à l’effrayer davantage : il ne se laissa nullement caresser et eut vite fait de réussir à me contourner pour rentrer dans sa tanière, me laissant sur place avec la désagréable impression d’avoir cherché à le prendre en traître. Non, je ne pouvais pas l’attraper de force : il fallait chercher une autre méthode.

De son côté, mon chat, lui, se faisait approcher sans problème par Mini-chat. Sauf qu’il ne cherchait pas du tout ce contact, au contraire, il était fort ennuyé de ce petit animal qui le pourchassait partout comme s’il le prenait pour son père adoptif ! Car c’était bien ainsi que le minus se comportait : dès qu’il apercevait Indiana, il se mettait à le suivre en levant bien droit la queue comme l’un des personnages des Aristochats. Et il le collait comme son ombre. Alors mon chat, s’énervant, se retournait, montrait les dents et menaçait de lui appliquer un coup de patte sur le museau : aussitôt Mini-chat se mettait sur le dos en signe de soumission. Mais dès que mon chat se détournait, hop ! il se relevait et s’élançait à sa suite comme si de rien n’était.

Ce fut Indiana qui me fit penser à une nouvelle technique d’approche : lui ne jouait plus beaucoup, mais je me souvins des jeux que je lui bricolais en attachant une coquille d’œuf Kinder à une ficelle pour le faire sauter à droite à gauche. Ce jouet était particulièrement efficace car la coquille en plastique jaune n’offrait pas de prise et lui glissait immanquablement entre les griffes. Je n’avais pas d’œuf Kinder, mais il y avait des noix (nous étions en Dordogne). C’était différent, mais dans les deux cas il s’agissait de coquilles, cela pouvait donc marcher. Je pris deux coquilles de noix dans lesquelles je perçai deux petits trous au moyen de mon canif, avant de les accrocher au bout d’une longue ficelle. C’était parfait : les deux coquilles, en remuant, s’entrechoquaient en créant un bruit qui ne manquerait pas d’attirer l’attention du chaton.

Là encore, il fallut plusieurs jours avant que ma stratégie ne porte ses fruits. Mais ce qui devait arriver arriva : il finit par se prendre au jeu et sauta vers la noix bondissante. Il était incroyablement vif et se mit à sauter dans tous les sens pour tenter de l’attraper. Mais là encore, la noix, pourtant plus rugueuse qu’une coque en plastique, n’offrait guère de prise et lui filait toujours entre les pattes. Pourtant cela ne l’énervait nullement : je voyais bien qu’il savait pertinemment qu’il s’agissait d’un jeu, qu’il avait compris que la noix ne se mangeait même pas et qu’il n’aurait aucune récompense quand il finirait par l’attraper, mais qu’il pouvait se donner à cœur joie dans le plaisir simple de la poursuite, et qu’il était bien bon de faire bouger de tous côté son petit corps de chaton ! Et puis vint l’instant magique, celui où il fut complètement épuisé, mais tellement content d’avoir joué qu’il oublia toute crainte et s’abandonna totalement : il se laissa tomber sur le dos et se mit à ronronner avec une force surprenante pour un animal de sa taille. J’avançai la main vers lui, il ne bougea pas ; je le pris dans mes bras, et il continua à ronronner. J’avais gagné, il était devenu en un instant totalement apprivoisé.

Dès lors il ne me quitta plus, et je fus le seul à qui il faisait confiance. Il se laissa enlever ses tiques (il en était couvert !) et nous jouions ensemble dès que nous en avions l’occasion. Le soir, quand je lisais dans ma chambre, à l’étage, il venait même me rendre visite en passant par la fenêtre, en se faisant annoncer par les tapotement de ses petites pattes qui couraient sur les tuiles du toit.

Mais son apprivoisement avait pris du temps, et les vacances touchaient déjà à leur fin : il fallait rentrer. Et j’eus beau insister, mes parents ne voulaient pas d’un deuxième chat, nous ne pouvions le ramener. Alors je le gardai dans les bras jusqu’au dernier moment, car le départ était retardé justement à cause de mon chat qui lui ne se montrait pas : au bout d’une heure nous le cherchions toujours. Ce fut Mini-chat qui me guida jusqu’à lui : à un moment il sauta de mes bras, fila vers la forêt et revint avec Indiana. Sa place était ici, celle de mon chat avec moi : il ne serait, ce si petit être, qu’un compagnon passager de ma vie. Mais un compagnon que je n’oublierais jamais.

Que retenir de l’histoire du zèbre qui apprivoisa le chaton ? Eh bien déjà que quand quelque chose me tient à cœur je ne ménage pas mes peines. Mieux, je n’ai même pas conscience de faire des efforts, pourtant je réfléchis dans tous les sens, je cogite sans jamais laisser tomber, mais cela me semble si naturel quand la motivation me tient ! Je peux aussi en conclure que je ne réussirai rien de bon en m’opposant aux autre, comme quand j’avais voulu bloquer la retraite de Mini-chat ; alors que quand je prends les choses comme un jeu, tout se passe pour le mieux.

Bon, c’est plus facile à dire qu’à faire. Si je comprends bien, en plus de me reconnecter à mes sentiments, il faudrait que je retrouve mon innocence perdue, que je sauve mon enfant intérieur… Tout un programme ! Et par-dessus, je devrais fuir tout ce qui pour moi ressemble à du travail pour ne m’adonner qu’à des tâches qui me semblent couler de source, ne faire des efforts que quand j’ai l’impression de ne pas en faire… Oui, je comprends bien : devenir moi-même et agir en cohérence avec mon être profond. Pour le moment toutefois, la société actuelle semble vouloir autre chose de moi. Fuck la société.

Revenons à nos moutons. Enfin à nos chats : juste un dernier mot pour dire que si les vacances que je viens de décrire avaient pu sembler magiques grâce à Mini-chat, d’autres au contraire avaient pu être très angoissantes. Ainsi une fois Indiana se sauva et resta à Chevreuse ! Juste avant le départ, je voulus le promener un peu pour qu’il se dégourdisse les pattes et fasse ses besoins avant de se retrouver enfermé plusieurs heures dans la voiture. Dans ces cas-là je le promenais avec une petite laisse (oui, une laisse pour chat !). Mais comme si une mouche l’avait piquée il tira si fort sur la laisse qu’elle m’échappa des mains, et il partit en courant le long de la route… Je m’élançai à ses trousses aussi vite que je pus, mais il fut plus rapide ; nous remontâmes toute la rue, mais en haut il vira à gauche et s’engouffra sous le portail d’une maison. Cette dernière était sans doute vide avec les vacances, mais je n’osai pas sauter le portail pour aller le chercher dans le jardin : même dans les cas urgents, le poids des règles à respecter pesait toujours sur moi et il m’était toujours extrêmement difficile de faire quelque chose d’interdit ou qu’on aurait pu me reprocher. Et de toute façon il allait passer d’un jardin à l’autre, il allait être impossible de le retrouver.

Nous finîmes par partir sans lui. En plus il avait toujours sa laisse au cou, je craignais qu’il ne la coince dans un grillage et se retrouve prisonnier, sans plus pouvoir se nourrir ou boire. Heureusement, mes craintes se révélèrent infondées. Quand nous rentrâmes après un mois de vacances, dès le lendemain du retour il se montra, sans blessure et pas plus maigrichon qu’auparavant. Mais pendant tout le séjour je m’étais fait un sang d’encre à son sujet ! De l’imaginer tout seul, tout perdu… Je crois qu’à cette époque je ne savais pas encore qu’il nichait dans toutes les maisons du quartier, et que s’il ne rentrait pas toujours à la maison c’était parce que d’autres personnes lui donnaient à manger ! J’appris même qu’un autre enfant le faisait entrer dans sa chambre et l’installait sur son lit… C’était de la trahison ! Pas de la part de mon chat qui avait raison de profiter de ce qu’on lui offrait, mais de la part des gens qui savaient bien que mon chat appartenait à quelqu’un d’autre, puisqu’il avait un collier, il avait même une petite capsule avec mon nom et mon adresse. Et à l’oreille, son tatouage, BMF948, dont je me souviendrais toute ma vie pour l’avoir souvent utilisé comme mot de passe*…


* Du coup, maintenant que je l’ai dévoilé, il faut que je change tous mes mots de passe… Le plus simple serait d’écrire dans ce livre un numéro de tatouage fictif, mais j’aurais le sentiment de mentir.

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