La console portable

3 minutes de lecture

La façon dont je me procurai une Game Boy vaut le coup d’être racontée, car au départ mes parents étaient farouchement opposés à ce que je puisse en acquérir une et ne m’en auraient acheté sous aucun prétexte, pas par mauvaise volonté je pense mais simplement par habitude, l’habitude de me refuser tout ce qui pouvait me faire réellement plaisir et ne se mangeait pas (il faudra que je réserve un paragraphe à toutes les saloperies sucrées qu’ils me laissèrent avaler, aggravant en cela mes maux de ventre mais leur permettant sans doute de me considérer comme suffisamment gâté pour me refuser les choses importantes). Ce fut chez Renaud que je découvris la petite console Nintendo. Renaud aimait bien sa console mais s’en était un peu lassé ; il était passé à la couleur chez Sega et avait maintenant une Game Gear (un gros machin noir avec un écran lumineux sur lequel on pouvait jouer à Sonic et qui avait tellement peu d’autonomie qu’il restait branché en permanence… mais passons). Il ne jouait plus avec la console monochrome et voulait bien me la vendre, mais il restait deux obstacles : le prix qu’il en demandait était très raisonnable mais je savais à l’avance que mes parents ne me laisseraient pas dépenser autant, même si j’avais assez d’argent de poche de côté sur mon livret d’épargne ; par ailleurs l’état de sa console laissait à désirer et des rayures étaient présentes sur l’écran, or je n’imaginais pas qu’un objet aussi merveilleux puisse ne pas être dans un état irréprochable.

Voici comment nous surmontâmes ces deux obstacles. Pour le prix, je mentis à mes parents, en leur expliquant que Renaud me vendait sa console pour un prix dérisoire. J’eus donc leur approbation ; et pour ne pas avoir à sortir l’argent réel de mon livret d’épargne, ce qui aurait nécessité leur accord, je me résolus à me séparer d’un de mes trésor, à savoir une pièce de cent francs[1] que la marraine de ma mère m’avait offert pour Noël une fois où nous étions venue la voir chez elle à Nantes. Je plaçais ce gros sous accompagné de quelques autres pièces de dix francs dans une coquille de jouet Kinder[2], et, en toute discrétion, sans me douter que ce mode de transport était sans doute déjà utilisé par les plus grands pour cacher de l’herbe, j’avais de quoi payer Renaud. Restait l’état de la console. C’était plus compliqué, mais pas insurmontable, et je pus m’apercevoir à cette occasion que les plus riches pouvaient avoir un rapport avec la légalité bien plus souple que leurs concitoyens moins aisés. Ainsi chez Renaud c’était Marie, l’aide familiale, qui faisait les courses, et à cette époque il était facile de rendre un produit au supermarché même s’il était déballé. Renaud avait ainsi en plusieurs occasions pu demander à Marie d’acheter un jeu d’ordinateur, pour le déballer et s’en servir un petit moment avant de lui demander de le rendre, éventuellement après en avoir fait une copie. Il avait par ce moyen dévoyé accès à un peu près ce qu’il voulait (disques, bandes dessinées, etc.) sans aucun frais. Nous résolûmes de procéder de la même façon avec la Game Boy : Marie allait en acheter une au supermarché, il allait ouvrir le paquet, et puis elle la rendrait. Sauf que le paquet qu’elle allait retourner contiendrait la vieille console de Renaud, tandis qu’il conserverait celle toute neuve pour me l’échanger contre mon œuf Kinder. Voilà quel était le plan, et il fonctionna comme prévu. Victoire !

J’étais désormais l’heureux propriétaire d’une console portable, avec plusieurs jeux. Ma Game Boy allait m’accompagner pendant tout le collège et sans doute aussi une partie du lycée. Je me souviens d’une foule de jeux, certains prêtés par des amis, d’autres achetés avec mes économies… Les boîtes cartonnées de ces jeux étaient magnifiques, et toujours accompagnées d’un livret que je lisais dans ses moindres détail avant d’insérer la cartouche grise dans la console. Et il y avait la cartouche qui n’était pas grise, mais dorée : Zelda. Le jeu magique, onirique, délicieux, mignon, que je terminai au moins une dizaine de fois tellement je l’adorais. Ce jeu allait me sauver de l’ennui en d’innombrables occasions, tels les trajets en voiture (même s’il n’était pas toujours facile de bien voir l’écran de la Game Boy dans ces conditions car il n’était pas rétro-éclairé : il fallait constamment rechercher le bon angle par rapport à la fenêtre, pour avoir suffisamment de lumière tout en évitant les reflets… c’était toute une gymnastique), ou les séjours chez mes grands-parents maternels.

* Pour les plus jeunes, c’est l’équivalent d’une pièces de dix euros, sauf que cela en valait sans doute plutôt vingt à l’époque, c’était le prix d’un double CD il me semble. Elles étaient très grosses et tout en argent.

** Pour les plus… non, pas de frontière générationnelle pour ce truc-là.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Zotoro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0