Les nouveaux amis

5 minutes de lecture

Une fois en classe, j’allais cependant pouvoir connaître un certain répit, puisqu’assez rapidement je me fis deux très bons amis, qui allaient rester avec moi de la sixième à la terminale. Oui, sept ans ensemble  dans la même classe ! Il y eut d’abord Renaud, un garçon à qui tout semblait réussir car il gardait le sourire en toutes circonstance, même si un professeur ou un surveillant lui faisait une remarque. Il était assez grand, faisant à peu près la même taille que moi (je fais 1m80), mais plus solidement bâti grâce au judo qu’il pratiquait. Et il y eut ensuite très vite Fabrice, un garçon de mère japonaise, plutôt petit (même s’il allait finir par nous rattraper après une poussée aussi tardive que spectaculaire), lui aussi assez souriant mais différemment, il était plus facétieux et mystérieux… à moins que ce ne soient principalement ses yeux bridés qui lui donnaient cette impression.

Pendant tout le collège, nous allions passer beaucoup de temps ensemble, toujours chez l’un ou chez l’autre. Fabrice et Renaud habitaient tous les deux à Saint-Rémy-lès-Chevreuse*, la ville située de l’autre côté du collège. Ce dernier était à la limite entre les deux villes, qui étaient séparées par quelques champs avec quelques vaches, et reliées par une route elle-même longée par une piste cyclable. Nous pouvions, grâce à cette piste, en un petit quart d’heure aller assez facilement les uns chez les autres à vélo.

Fabrice habitait le plus près : il fallait pour aller chez lui quitter la piste cyclable un peu avant la fin. Il avait une maison de taille moyenne, avec un grand jardin tout en longueur au fond duquel il y avait une grande balançoire, de laquelle nous nous amusions à sauter dans les airs une fois atteint le point de balancement le plus haut. Le salon semblait assez petit mais c’était surtout car il était très rempli : il abritait un piano à queue. Seulement un quart de queue certes, le modèle le moins encombrant, mais un piano à queue cela prenait fatalement de la place ! C’était son père qui en jouait, Fabrice faisant quant à lui du violoncelle. Malheureusement nous ne jouâmes jamais ensemble car à cette époque je crois que je ne savais même pas qu’il était possible d’accompagner au piano un autre instrument. Fabrice était pour sa part au conservatoire et suivait donc des études musicales très rigoureuses. Il fréquentait également pendant les vacances une école japonaise pour apprendre la langue de sa mère, qu’il pouvait parler, lire et écrire. Je savais qu’il écrivait le japonais car il dessinait des mangas, qu’il nous montrait mais que nous ne pouvions pas lire ! Il dessinait très bien.

Il me semble toutefois que nous allions un peu moins souvent chez lui, ses parents étant peut-être plus difficiles à convaincre quand il s’agissait d’inviter des amis ; peut-être sa grande sœur ne devait-elle pas être dérangée dans ses études, ni son petit frère… Les Japonais ont un rapport assez différent du nôtre à l’éducation, qui fait qu’ils sont amenés à travailler énormément à la maison. Je pensais que Fabrice n’avait pas besoin de beaucoup travailler, mais il était tout de même astreint à une sévère discipline. Ou alors, j’imaginais cela car je pensais que tout le monde avait les mêmes facilités que moi, et je me trompais complètement : peut-être était-il parmi les meilleurs de la classe précisément parce qu’il travaillait beaucoup ?


Quant à Renaud, il habitait un tout petit peu plus loin, après la gare. Je l’ai si souvent appelé pour aller chez lui, qu’aujourd’hui encore je me souviens de son numéro de téléphone (c’est pareil pour celui de Fabrice, même si j’ai un doute sur le dernier chiffre). Sa maison était très grande, ses parents devaient être très riches. Son père possédait une collection d’épées anciennes exposées un peu partout sur les murs et aux quatre coins du salon ; ils avaient une « aide familiale » à domicile en permanence pour le ménage et pour s’occuper de son petit frère qui avait un retard mental (ce qu’il avait exactement je ne le savais pas, je n’avais jamais entendu Renaud en parler et je n’avais sans doute jamais osé lui demander) ; à l’étage il allait bientôt y avoir un billard, un vrai ; et dans sa cuisine il y avait une réserve inépuisable de snacks, qu’il ramenait à l’école, et nous passions d’ailleurs nos récréations à lui quémander des barres chocolatées : il en amenait toujours trop pour lui, mais pas non plus suffisamment pour satisfaire tout le monde...

Et dans le bureau de son père, il y avait un ordinateur récent avec plein de supers jeux dont beaucoup, tels les Lemmings, ou plus tard Atomic Bomberman, étaient jouables à plusieurs. Une fois passée la surprise de devoir utiliser l’étrange siège ergonomique faisant face à l’écran (ce genre de siège sans dossier où le poids du corps reposait sur les genoux, qui étaient en contact avec de gros rondins de mousse), les parties pouvaient commencer. Parfois même elles se prolongeaient à distance : je me souviens ainsi avoir passé une heure au téléphone avec lui pour comprendre comment réussir à aller plus loin dans un jeu d’Indiana Jones**. Enfin, sur le moment je ne réalisai pas qu’une heure s’était écoulée tellement nous étions pris par le jeu et la nécessité de résoudre l’énigme. Ce ne fut qu’en reposant le combiné que ma mère m’informa de la durée de la conversation, sur un ton qui laissait entendre qu’il ne fallait pas passer autant de temps au téléphone, qui coûtait cher… avant de m’expliquer que pour cette fois ça irait vu que leur abonnement faisait que pour les communications courte distance seules les cinq premières minutes étaient facturées ! Tout l’art d’inquiéter pour rien en mettant l’accent sur les interdictions, alors qu’on aurait pu m’encourager à profiter de cet outil de communication puisqu’il était quasiment gratuit, tandis qu’aujourd’hui alors que les communications ne coûtent réellement rien je n’ose plus appeler personne.

Et donc, les mercredis après-midi ou les week-ends nous prenions nos vélos et allions les uns chez les autres à chaque fois que nos parents le permettaient. Il me semble que les miens étaient plutôt permissifs, ce que je comprends aisément : avec un ami je ne m’ennuyais pas, il n’y avait donc plus de risque que je les sollicite en leur demandant quoi faire (« Je ne sais pas quoi faire » avait réellement été le refrain de mon enfance). Encore que, j’allais découvrir une source inépuisable de joie qui allait faire que même seul je m’ennuierais beaucoup moins. Cette source de tous les plaisirs était grise, assez lourde ; elle possédait une petite fenêtre verte, deux boutons rouges, une croix directionnelle et avait un nom mythique : la Game Boy.


* Le terminus de la ligne B du RER, pour les parisiens.

** Le point-and-click de Lucasart pour les connaisseurs, les meilleurs jeu de cette époque avec l’inénarrable Sam & Max.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Zotoro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0