Le football

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Comment autant d’insouciance put accoucher d’autant d’indifférence ? Je vois deux coupables tout désignés : le petit frère, qui était plus intéressant que moi et sans doute aussi plus influençable, plus docile, plus facile à entraîner dans des jeux qui ne m’auraient pas intéressé… et le foot. Oui, le foot : mon frère en était passionné, tandis je l’ai toujours détesté. Alors oui, peut-être que je le détestais parce qu’il l’adorait. En partie. Mais je pense que cela allait plus loin, que ce sport cristallisait nos différences.

Qu’est-ce que je reprochais au football ? Qu’est-ce que je lui reproche encore maintenant ? Aujourd’hui j’aime faire du sport ; au lycée je faisais de l’escrime trois fois par semaine et plus récemment j’ai couru des marathons, je n’ai donc absolument rien contre le fait de chercher à se dépenser. J’ai également pratiqué des sports collectifs, même si dans une moindre mesure : ainsi, en première année de prépa je jouais au basket tous les midis, et je m’y adonnais avec un tel entrain que je passais souvent le premier cours de l’après-midi (de la philosophie, la plupart du temps) à chercher à attirer les courants d’air pour arrêter de suer à grosses gouttes au fond de la salle, en espérant que mon front rouge ne se remarque pas trop et que la dose de parfum ou de déo appliquée le matin soit suffisante pour que l’odeur de mes aisselles ne fasse froncer aucun nez. J’ai besoin de faire du sport et de me dépenser : j’aime le sport. Enfin, j’aime faire du sport. Parce que regarder du sport, à l’inverse, même s’il s’agit d’un sport que je pratique, je n’en ai jamais compris l’intérêt.

Je ne reprochais donc pas à mon frère le fait de courir derrière un ballon et de chercher à marquer des buts. En revanche, je ne voyais pas pourquoi cette activité impliquait de regarder des matches à la télévision, d’afficher des posters de joueurs aux murs de sa chambre, de parler des footballeurs comme s’il s’agissait de personnes ayant une incidence sur notre vie, ou de souhaiter la victoire d’une équipe plutôt qu’une autre au prétexte qu’elle était supposée représenter notre pays.

Je me souviens que ce qui m’énervait par-dessus tout chez mes frères, c’était leur manie de réciter à tout bout de champ des slogans publicitaires, y compris, voire surtout, lors des interminables trajets en voiture sur la route des vacances, quand j’étais coincé à côté d’eux sur mon coin de banquette. J’y voyais là le comble de la bêtise, de l’asservissement aux aspects les plus néfastes de notre société de consommation. Et pour moi le foot a toujours représenté quelque chose d’équivalent en termes de lavage de cerveau.

Ai-je besoin de développer ? Vraiment ? N’est-ce pas évident qu’il y a un problème à prendre pour modèle des types qu’on n’aperçoit qu’à travers la télévision ? Personne ne voit que ce n’est pas anodin si les supermarchés nous bombardent de cartes à collectionner avec des guignols en short ? Qui peut réellement supporter de regarder des matches qui nous assomment d’autant de publicités ? Suis-je le seul à mourir de honte en entendant parler les commentateurs sportifs ? Oui, je suis peut-être le seul, mais je n’ai jamais eu besoin d’être soutenu pour défendre une idée, cela ne me dérange pas d’avoir raison seul contre tous, j’y suis habitué. Et donc je vois le football comme un procédé insidieux par lequel la société cherche à canaliser les pulsions de chacun autour d’une activité futile, à infantiliser les individus en leur donnant un jeu comme principal sujet de préoccupation, et à me faire souffrir moi en particulier en m’excluant définitivement de tous les groupes constitués de plus d’un représentant de la partie mâle de l’espèce humaine*.

Et ainsi, petit à petit, mon frère passa d’un agréable compagnon de jeu à un agent double de la société commerciale capitaliste, qui pour effectuer son démarchage venait me persécuter jusque chez moi (et quand je dis jusque chez moi, cela veut dire jusque dans l’intimité de ma chambre puisqu’un de ses jeux favoris était de se cacher derrière la porte de cette dernière pour tenter de me faire peur. J’avais beau ouvrir cette porte le plus fort possible pour le ratatiner contre le mur dès que je soupçonnais sa présence, rien n’y faisait). Finalement, ce n’est peut-être pas de l’indifférence, tout ça… Changeons de sujet.


* Sans doute mon plus grand malheur était-il d’être beaucoup plus à l’aise dans les conversations des filles, du moins de celles ne concernant ni les poneys, ni les vêtements, ni les cosmétiques ni les méthodes de contraception, mais d’être trop timide pour les aborder.

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