La différence

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Autorisons-nous une petite digression (je sais, jusqu’ici ce récit est déjà assez décousu mais la différence cette fois c’est que je préviens, vous n’avez donc rien à dire). Une digression sur les lunettes.

Je commençai à porter des lunettes au cours de l’année précédente, à la fin de la maternelle donc*. Il s’avéra que j’étais myope, j’avais donc besoin de verres correcteurs, et donc d’une monture, et à cette époque pour les enfants les lunettes rondes-qui-donnent-une-allure-d’intello-à-quelq’un-qui-n’en-a-pas-besoin-car-il-est-déjà-suffisamment-bizarre-comme-cela semblaient le seul modèle disponible, en blanc bien voyant avec un peu de bleu.

Quand chez mes parents je regarde les albums photo de mon enfance, je distingue deux types de photographies : celles où l’on voit un petit garçon insouciant, souriant, mignon, émerveillé par le monde, et celles où j’ai des lunettes. Oui, c’était à ce point, je passai de mignon à moche en un instant grâce à deux ronds de métal et du verre courbé. Alors certes, c’était prévisible : ma mère était très myope, et mon père suffisamment pour que ce soit gênant. Mais là où j’aurais pu sans trop me plaindre m’attendre à recevoir la moyenne des deux (ce qui aurait été déjà assez handicapant) je fus particulièrement gâté : on ne me donna ni la moyenne ni la médiane mais bien la somme de leurs myopies respectives, et ce ne fut qu’à l’âge de trente-six ans que je rencontrai pour la première fois de ma vie quelqu’un de plus myope que moi.

Vous allez peut-être me dire qu’être très myope c’est gênant mais que bon, il faut faire avec et qu’une fois la bonne correction trouvée, les lunettes permettent de voir tout à fait correctement, il suffit d’apprendre à les supporter. Oui, vous avez certainement raison, mais je pense que vous n’avez jamais été surnommé serpent-à-lunettes par une bande d’enfants violents (je dis enfants mais je pense garçons, les filles ne m’embêtèrent jamais qu’en restant inaccessibles et encore c’était sans doute juste moi qui les percevait ainsi), ravis de trouver un aussi beau moyen pour exprimer que vous n’étiez pas comme eux. Avant les lunettes, on devait me trouver bizarre mais cela restait difficile à exprimer, il aurait fallu réfléchir et dire précisément en quoi consistait cette bizarrerie, ce qui dans mon comportement exactement était dérangeant ou tout du moins différent ; alors qu’avec des lunettes, pas la peine de se creuser la tête, j’étais désigné coupable d’office.

Heureusement, je crois que ce surnom idiot ne me poursuivit pas à l’école (je n’y aurais sans doute pas survécu) : je n’étais harcelé qu’au centre aéré ; mais bon, j’y allais quand même tous les mercredis. Et je ne sais pas pourquoi, tout au long de mon enfance il y eut toujours un type qui trouvait drôle de liguer d’autres enfants contre moi pour se moquer de ma personne, cela ne cessa qu’au lycée. Au centre aéré, je ne me souviens plus du prénom de ce caïd qui devait certainement être quelqu’un de cultivé, puisqu’il savait qu’il existait plusieurs espèces de serpents et que l’une d’elle, effectivement, se distinguait par le port sur sa coiffe d’une marque ressemblant à des lunettes (j’aurais aimé, rétrospectivement, être encore plus savant que lui et pouvoir lui expliquer que cet animal était pourvu d’un venin parmi les plus dangereux pour l’homme et qu’il fallait donc le craindre plutôt que de le moquer, voire l’admirer, le respecter…). Je sais en revanche que quand je tombe sur son prénom au hasard d’une lecture, il n’y a rien à faire, je n’aime pas avoir de préjugés mais, en lisant ce nom alors je le reconnais et j’ai toujours comme une vague nausée...


Mais fermons la parenthèse et revenons à l’école. Oublions le centre aéré et le mercredi et retrouvons Antonio et Stéphane.

* Mais bien sûr ! Je comprends à présent pourquoi j’avais pu me faire plusieurs amis au début de la grande section : je n’avais pas encore de lunettes ! Tout s’explique.

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