La solitude

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Si je ne parviens pas à retrouver le traumatisme qui m’a noué le ventre, en revanche je m’explique très bien pourquoi les choses ne se sont pas arrangées l’année d’après, mais sont allées en empirant. Là, c’est facile.

En effet, j’ai mentionné que j’avais tout un groupe de copains, avec qui je me revois jouer dans la cour de l’école. Il y avait Cyril (un rouquin au cheveux bouclés que j’allais retrouver plus tard dans la photo d’un chaton lui ressemblant comme deux gouttes d’eau), Edouard (dont les dents de devant et la grande taille le faisait ressembler à Dingo, l’ami de Mickey), Benjamin (le voisin de derrière, chez qui une fois je passai la nuit), un enfant Yougoslave dont j’ai oublié le nom (c’était l’année de la partition du pays, il avait les cheveux courts avec une petite tresse comme une queue de souris), et peut-être un ou deux autres. Eh bien, à part Edouard, tous déménagèrent à la fin de l’année. Et Edouard, le seul à être resté, alla dans une autre école. Je me retrouvai donc sans aucun ami, tout seul, en rentrant en CP, un an seulement après avoir fait mon entrée dans une nouvelle ville et une nouvelle école où déjà, je ne connaissais personne.

Je ne sais pas si pour un enfant « normal » (si si, cela doit bien exister, un enfant normal) cette situation était banale ou en tout cas un peu moins traumatisante. Je sais que pour moi qui déjà étais plié en deux à l’idée d’aller à l’école, qui ne savais pas trop comment interagir avec les autres enfants* et pas du tout avec les adultes, qui cherchais à disparaître à l’intérieur de moi-même (et même cela, je n’y arrivais pas) c’était une tragédie.

Et voilà comment je me souviens avoir passé mon année de CP : assis sur un banc lors de la récréation, à regarder jouer les autres. (En plus, parfois ils jouaient à un jeu que sans me l’avouer je devais mourir d’envie d’essayer car il impliquait que les garçons embrassent les filles, ou l’inverse. Imaginez : j’aurais connu mon premier baiser avec presque quinze années d’avance !)

Alors certes, j’exagère un peu : je jouais beaucoup aux billes, et pour cela il fallait être deux ; et je me souviens que le soir à l’heure de la garderie je faisais la course avec d’autres enfants, surtout des plus grands. Je n’étais donc pas si seul que cela. Mais tout de même, je suis resté très longtemps sur mon banc, et je n’avais plus d’amis.

Ce qui me sidère en y repensant, c’est que mes parents, qui connaissaient la situation, n’aient pas consulté à ce moment-là. Oui, quand je dis consulter, je parle bien d’aller voir un psychologue. Mais non, a priori si j’étais aussi isolé et coupé des autres on ne pouvait rien y faire. Il fallut attendre que mon deuxième frère (il allait naître un peu plus tard) soit relativement grand et qu’il fasse des crises de rage à n’en plus finir, qu’il rende la vie impossible à mes parents, pour que ceux-ci franchissent enfin la porte d’un thérapeute. Thérapeute qui n’eut d’ailleurs pas beaucoup de succès car il semble qu’il ait osé suggérer que pour qu’un enfant aille mieux, il fallait que les parents se remettent en question et modifient leur comportement à eux. Rendez-vous compte : cette dame se disait spécialiste et elle ne savait pas où était le bouton pour moduler les réactions d’un enfant ! S’il fallait tout faire soi-même, autant économiser ses sous, encore que je les soupçonne d’avoir réussi à obtenir un suivi psychologique gratuit à travers des structures d’aide publique et d’y avoir renoncé sans se rendre compte de la chance qu’ils avaient eu de l’obtenir, tout ça pour s’éviter de se regarder en face.


Mais rassurez-vous, ce désert sentimental ne dura pas éternellement (sauf dans ma tête : quand j’y repense, cela semblait vraiment avoir duré une éternité). Quelques mois après, deux nouveaux garçons arrivèrent dans la classe ; comme ils ne connaissaient personne, ils se tournèrent vers le seul enfant qui n’avait pas encore d’amis, et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes ensemble.

Je ne me souviens plus dans quel ordre ils apparurent, peut-être même n’était-ils pas arrivés la même année, l’un d’eux aurait pu entrer dans mon école en CE1 plutôt qu’en CP. Je suis sûr en revanche qu’ils n’arrivèrent pas en même temps, car je ne vois pas comment je serais parvenu à gérer la construction de deux relations amicales au même moment, cela m’aurait demandé trop d’efforts. Ne riez pas, je suis sérieux : quand je socialise (généralement à mon corps défendant, disons plutôt quand je me retrouve dans des situations où il semble qu’il soit attendu de moi que je fasse des efforts pour socialiser, ou plutôt où l’on s’attend à ce que je socialise naturellement sans aucun effort) les caractéristiques multiples qui composent les personnes autour de moi, les mots qu’ils prononcent, qu’ils échangent avec moi ou avec d’autres personnes à proximité, les mouvements de leurs corps, leurs émotions (surtout leurs émotions) tout cela constitue un flot de données qui s’infiltre dans mon cerveau jusqu’au trop-plein, sans d’ailleurs pouvoir véritablement être analysé ou même réellement perçu mais simplement cela s’agglutine, cela fait pression dans ma tête et cela me fatigue terriblement. Cela pour des relations où je ne cherche pas vraiment à m’investir. Alors s’il y a une amitié à construire, une à la fois, je pense que c’est ma limite.

Quoi qu’il en soit, l’un après l’autre, ils finirent par arriver et me sauver : Antonio et Stéphane. Antonio était un petit garçon dont la famille venait d’arriver du Portugal, et qui ne parlait pas un mot de français en arrivant à l’école. Ce qui était une chance pour moi, puisque les autres enfants, ne parvenant pas à communiquer, se désintéressèrent très vite de lui, le laissant suffisamment seul pour que je puisse me risquer à m’approcher. Quant à Stéphane, il avait des cheveux en brosse et des lunettes, mais je ne crois pas que cela l’ait rendu différent, et il était plus costaud qu'Antonio et moi qui étions plutôt maigrichons. D’ailleurs avait-il vraiment des lunettes, ou est-ce que je me dis que pour avoir été mon ami il fallait forcément être rejeté par les autres, et quel meilleur motif de rejet à cet âge que le fait de porter des lunettes ?

* Je ne me rappelle pas du tout comment je me fis tous ces amis l’année d’avant, sans doute y eut-il l’intervention d’une puissance divine quelconque, ce qui expliquerait que je ne m’en rappelle pas puisque je n’y étais pour rien.

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