La fin d'une époque

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Mais pas de psychologie de bas étage pour le moment ! Laissons de côté cette première période de ma vie et bougeons, changeons d’air avec toute la famille puisque ça y est, c’est le déménagement. Toute la famille ? Mon père, ma mère, moi, et… mon frère : oui, j’ai un frère (j’en aurai un deuxième plus tard) et je n’en ai pas encore parlé. De presque trois ans mon cadet, il avait deux ans au moment du départ. Pourtant étrangement, je n’ai aucun souvenir, même en cherchant bien, d’avoir vécu avec lui avant le déménagement.

Après cette date, oui, les souvenirs sont là, pas de souci ; mais avant, c’est le flou. Je ne vois pas de bébé dans les bras de ma mère, pas de nourrisson tétant le sein ou de poupon dans une poussette : pour moi, je suis seul.

Nous tenterons d’élucider ce mystère plus tard ; pour le moment, je ne l’ai cité que pour montrer que je ne vous avais en fait pas dit grand-chose sur moi. Je veux dire oui, je sais, je vous raconte ma vie, mais ce sont surtout des souvenirs précis que j’ai racontés pour le moment, des images et des visions, tandis que je ne me suis pas réellement présenté.

Je vous ai dit que ce récit était une quête à la poursuite de mes émotions. Mais si tout être humain se devrait de tenter de partir à la recherche de lui-même, pourquoi maintenant, que se passe-t-il, pourquoi ce livre ? Eh bien, il semble que je sois arrivé à une sorte d’impasse dans ma vie, face à un mur qui me force à amener un changement radical. Mais ce changement ne peut pas arriver tant que je ne serai pas redevenu un être entier, relié à lui-même.

Il semblerait que j’aie tout pour réussir : une femme que j’aime depuis plus de quinze ans, deux enfants adorables (ils nous épuisent tous les deux, mais n’est-ce pas le lot de notre génération que d’être épuisés par nos enfants ?), un travail de cadre de la fonction publique, bien payé avec des horaires confortables, je fais du sport, de la musique. J’ai toujours eu des facilités, j’ai traversé l’école sans faire de réel effort jusqu’au bac, j’ai pu voyager…

Pourtant malgré tous ces avantages, j’ai l’impression d’avoir toujours vécu à côté de ma vie, en la regardant passer voire en la subissant. Je ne me trouvais jamais assez bon, jamais assez doué, ma confiance en moi était minuscule. Mon mal de vivre était d’autant plus insupportable qu’il semblait incommunicable, impossible à faire comprendre aux autres puisque pour eux j’étais doué et chanceux.

Et aujourd’hui, j’en suis à un point où je ne sais plus ce que je veux faire de ma vie, alors même que je n’arrive plus du tout à me motiver pour tout ce qui ne me tient pas complètement à cœur. Dans mon travail, je m’ennuie à mourir, mais je ne trouve pas ce que je pourrais faire d’autre… Bref, je suis dans une impasse. Et pour en sortir, il me faut comprendre qui je suis vraiment, trouver ou retrouver ce qui me fait vibrer. Mais pour cela, il faut d’abord que je puisse ressentir les vibrations…. Et donc, me reconnecter avec mes sensations, mes émotions, pour redécouvrir mon vrai moi. Voilà, vous en savez un petit peu plus. Vous en découvrirez davantage très vite puisque nous arrivons à la deuxième étape de ma vie, celle qui se déroule dans la maison de mes parents à Chevreuse, dans les Yvelines, où j’ai vécu pendant quatorze années.

Mais avant, un tout dernier retour en arrière sur la première période. Je pense avoir raconté mes principaux souvenirs ; il n’y en a peut-être pas tant que ça, mais c’est sans doute normal à cet âge. Bien sûr je me souviens de quelques autres détails que je n’ai pas mentionnés, de quelques scènes supplémentaires (que l’on pourra rajouter dans la version longue), mais l’essentiel y est. Enfin, l’essentiel de mes souvenirs… Parce qu’en y réfléchissant, est-ce vraiment là l’essentiel de ce qui faisait ma vie à cette époque ? Il y a, vous en conviendrez, d’énormes trous.

Tout d’abord, nous avons commencé par une scène (celle de la capuche) qui se déroulait dans une cour de récréation. Est-ce normal que je n’aie aucun souvenir se déroulant à l’intérieur de l’école ? Que je ne me souvienne ni de la maîtresse, ni d’aucun autre camarade ? Que je ne revoie pas la salle de classe ? Si la maîtresse ne prononçait pas mon nom correctement, est-ce que cela a fait que c’était en réalité un autre enfant qui était présent, et non moi, et est-ce que cela expliquerait que je ne me souvienne de rien ? Aucune idée.

La deuxième bizarrerie, plus importante encore, je l’ai déjà mentionnée : mon frère est né alors que j’avais presque trois ans, et j’ai vécu à ses côtés dans cet appartement jusqu’à en avoir presque cinq. Et pourtant je n’ai aucun souvenir de lui à Versailles, absolument aucun. Y aurait-il eu un traumatisme causé par sa naissance, qui aurait masqué mes souvenirs de lui ? Ai-je été tellement jaloux de son arrivée, de l’amour que mes parents lui ont porté que je l’ai entièrement effacé de ma tête ? Cela me semble peu probable. Certes, son arrivée fut sûrement problématique : mes parents m’ont toujours dit qu’il me mordait et qu’eux-mêmes m’encourageaient (a priori sans succès) à le taper pour me défendre. Mais au tout début, à ce que je sache il ne pouvait pas déjà avoir des dents, si ?

Enfin, dernier point troublant, je n’ai aucun souvenir du visage de mes parents. Ni même en fait d’aucun moment de bonheur passé avec eux. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas eu, je suis convaincu du contraire, c’est impossible qu’il n’y en ait pas eu. J’ai même connaissance d’une photo de cette époque où mon père me fait sauter sur ses genoux, il a l’air tout gaga et moi tout content. Pourtant, la seule interaction dont je me souvienne, c’est d’avoir fait pleurer ma mère parce que je refusais de manger ce qu’il y avait dans mon assiette (oui, c’est sûrement un souvenir important, mais il vient juste de me revenir, que voulez-vous, ces choses-là ne se contrôlent pas).

Allez, avançons, les souvenirs joyeux sont dans l’étape d’après, voilà tout !

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