La capuche

5 minutes de lecture

Mon premier souvenir remonte à l’année de mes quatre ans. Comme j’ai déménagé juste avant mon cinquième anniversaire, tous les souvenirs de ma petite enfance ont un aspect d’étrangeté, d’irréalité, et semblent concentrés dans un instant à la fois extrêmement ponctuel, comme observé à travers une longue-vue, et intemporel, comme si l’année de mes quatre ans avait duré une éternité pendant laquelle tous les futurs événements de ma vie avaient pris racine, les rendant un peu dérisoires, de simples imitations des bouleversements originels.

Peu de choses se sont passées à cette période, j’en ai peu de souvenirs ; en même temps, tout est arrivé.

Mon premier souvenir, donc, à l’âge de quatre ans, est celui d’une capuche* . Cette capuche est bleu clair et bordée de fausse (j’imagine) fourrure blanche, c’est donc vraisemblablement la capuche d’une doudoune, à laquelle elle était rattachée par des boutons-pression. Je dis "était", car dans mon souvenir elle ne l’est plus : elle est dans ma main. Et pourtant, ce n’était pas ma capuche, ni ma doudoune. Je l’avais arrachée à un autre enfant.

Quoi ? me direz-vous. Son premier souvenir, si jeune, est un acte de violence, par lequel il commence visiblement une vie de persécutions à l’encontre des faibles, et… Stop ! On arrête là. L’enfant à la capuche arrachée était mon premier ami, les persécutions j’en ai toujours été la victime et non l’instigateur, le faible c’était moi.

La capuche appartenait au petit Yanis, et il me semble me souvenir (avec une certaine difficulté, l’événement est tout de même lointain) que je l’avais arrachée par jeu. Mais je ne parviens pas vraiment à me rappeler quel était le jeu en question. La lui avais-je ensuite lancée, afin qu’il la raccroche et que je la prenne une seconde fois ? Devint-elle une sorte de témoin que nous nous serions relayé ? Un ballon ? Ou peut-être n’y eut-il pas véritablement de jeu mais une simple tentative d’attirer l’attention de quelqu’un par un moyen un peu gauche, un peu clownesque, un rien malicieux… Quoiqu’il en soit cette tentative fut couronnée de succès puisque Yanis, qui était le fils du gestionnaire de l’école, devint mon ami, et que je me souviens assez distinctement avoir joué avec lui sur les tapis et les trampolines du gymnase auquel son père nous fournit un accès privé à au moins une occasion. Mon premier souvenir est ainsi, en réalité, le souvenir d’une réussite, la première d’une longue suite inaugurant une succes story digne d’un film hollywoodien, une première étape vers une série de victoires qui allaient ancrer en mon être une confiance en moi indéfectible.

Sauf que, je ne crois pas l’avoir jamais perçu comme cela, du moins pas jusqu’à présent. Peut-être même avais-je un peu honte d’avoir arraché cette capuche… Cela ne se faisait pas, après tout, du moins ce n’était pas comme cela qu’on apprenait aux enfants à agir, il me semble. Mais je devais avoir un tel besoin de me rapprocher de quelqu’un, et en même temps une méconnaissance absolue de comment m’y prendre, qu’il fallut le passage par cette transgression originelle pour que j’y parvienne.

Mais où donc avais-je trouvé, à quatre ans, le courage d’agir ainsi ? Si je devais réitérer un tel acte, je ne suis pas sûr que je m’en sentirais capable. Enfin quoi, aller vers quelqu’un qui me plaît, lui parler, lui expliquer que je souhaiterais le ou la revoir, l’inviter à venir me rejoindre, à faire quelque chose avec moi, tout cela je n’y arrive pas, alors y aller "direct" en chipant un vêtement à cette personne, cela me semble carrément surréaliste. Non ?

Si. Mais tentons de voir les choses sous un angle plus positif. Je ne savais visiblement pas comment me faire des amis. Ma mère (attention attention, un nouveau personnage est introduit, nous verrons par la suite s’il a vocation à revêtir de l’importance ou non) m’a toujours dit que quand j’étais petit et qu’elle m’amenait au square, je restais assis par terre à regarder jouer les autres enfants, sans aller vers eux (était-ce parce que je ne le voulais pas ou que je ne le pouvais pas ? Elle ne m’a jamais donné l’impression de s’être posé la question). Donc arrivé à quatre ans dans une école maternelle où tous les enfants devaient jouer ensemble, me sentant exclu, peut-être parce que la maîtresse n’avait jamais prononcé correctement mon prénom malgré les interventions répétées de mes parents (un prénom tout ce qu’il y avait de plus français pourtant, simplement il ne se prononçait pas tout à fait comme il s’écrivait), voyant les autres enfants jouer autour de moi mais sans que je les intéresse, voyant les groupes se former sans savoir comment en faire partie, les choses n’étaient pas faciles. J’étais probablement désemparé. Je n’avais pas les compétences nécessaires, le savoir qui m’aurait permis de faire un pas vers les autres pour leur parler et leur demander la permission (certainement nécessaire de mon point de vue) de participer à leurs jeux. Allais-je continuer à les observer de loin, à souhaiter intérieurement les rejoindre mais sans jamais rien dire, comme cela allait à nouveau arriver quand j’entrerais en CP ?

Nous aborderons cet autre souvenir plus tard. Pour le moment, j’ai quatre ans et, croyez-le ou non, j’ai de la ressource. Si je ne suis pas capable, eh bien je fais autrement. Je ne sais pas parler aux autres pour leur demander de jouer, eh bien ce n’est pas grave ! J’agis sans parler, et je me passe de permission. Je crée une rupture, par un acte révolutionnaire qui force l’autre à ouvrir les yeux pour voir que j’existe, je suis là, et je suis joueur, je suis un fieffé coquin, il va se passer des choses ! Et donc, j’arrache une capuche.

Si je redescends sur Terre une minute, je pourrais aussi supposer que le petit Yanis était certainement le seul autre enfant à être tout seul. Il ne faisait rien, il tournait le dos aux autres – oui car de face, comment aurais-je eu accès à sa capuche ? Sans doute était-il tout autant désespéré que moi à l’idée de jamais réussir à se faire un ami et aurait-il accepté de jouer avec moi quelle qu’eût été mon entrée en matière. J’aurais tout aussi bien pu lui marcher sur le pied sans faire exprès. Ou, plutôt que d’arracher sa capuche, j’aurais pu lui tapoter gentiment l’épaule, il se serait retourné, ses yeux auraient plongé dans les miens, la solitude de son regard aurait rencontré la solitude du mien et sans un mot nous aurions compris que nos destins étaient liés. D’ailleurs, c’était sûrement ce que j’avais voulu faire, mais ma main s’était prise dans la capuche.

De Yanis, je garde comme souvenirs : cet épisode, des tapis de gymnastique, un squelette de baleine (sur une carte postale qu’il m’avait envoyée après mon départ) et un petit Tigrou (j’étais fan de Winnie l’Ourson à l’époque) que j’avais oublié chez lui et qui ne fut jamais retrouvé, même en retournant dans son appartement. Puis, plus rien, parce que j’avais changé de ville, mes parents avaient déménagé.

* Aujourd’hui, mon chat s’appelle Capuche. C’est un nom que je lui ai choisi comme cela, de façon spontanée, cela n’a évidemment rien à voir avec ce souvenir. Mais je vais quand même noter quelque part d’en parler à mon psy (ou à vous).

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Zotoro ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0