Neuf

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À la fin de l’heure de sciences, à midi et demi, je vais rapidement déposer ma blouse et celle de Théa tandis qu’elle rejoint ses copines pour déjeuner. De toutes façons, j’attends Zoé pour aller manger, elle termine dans une demie-heure. Léonie mange avec ses amies qu’elle voit rarement, Martin et Perrine ne devraient pas tarder à me rejoindre, il faut d’ailleurs que je pense à leur envoyer un message pour leur dire que je les attends dans le forum. Je regarde autour de moi pour faciliter leur recherche. Je suis en face des casiers, dos aux grandes baies vitrées et presque accolée au poteau. Normalement, avec ça, ils devraient me trouver facilement !

À côté de moi, plusieurs personnes sont réunies en groupes plus ou moins importants, ils font plus ou moins de bruits et l’expression générale sur les visages est plus ou moins joyeuse. C’est un peu le problème de notre génération, je crois, toujours très entourée mais bien souvent le sentiment dominant reste la solitude. On préfère être mal accompagné que seul, de nos jours, et la jeune fille à ma droite en est la preuve. Elle est seule, probablement parce que, comme moi, ses amis sont en cours ou inexistants, mais plutôt que de l’assumer, elle fait semblant d’être au téléphone, elle acquiesce parfois, rigole doucement pour ne pas trop attirer l’attention. Pourtant, il n’y a personne au bout du fil, je le sais parce qu’elle tient son téléphone à l’envers et qu’il arrive que son téléphone se rallume et laisse apparaître son fond d’écran en noir et blanc.

Je l’observe encore quelques minutes en me revoyant au début de la seconde, j’étais pareille ! Deux mains se posent devant mes yeux et on me crie “Bouh !” à l’oreille. Qu’ils sont matures, mes copains ! Je lève les yeux au ciel tandis qu’ils s’installent à côté de moi. Perrine entame la conversation avec des banalités et nous répondons avec légèreté. Martin rigole de bon cœur à toutes les bêtises que nous raconte Perrine et je fais de même de temps à autres. Au loin, je vois Ethan avec Baptiste et Mathieu, ils semblent de bonne humeur et la complicité qui règne entre eux est très flagrante, comme toujours. Ethan ne m’a pas vu alors je m’autorise à le détailler quelques instants, en souvenir de la première fois où nous nous sommes vraiment découverts. Je sais que je ne devrais pas, ça ne se fait pas pour Mia et je m’en veux à l’instant où je tombe sur ses lèvres charnues, un peu abîmées par le froid et la cigarette.

La sonnerie annonçant la fin du dernier créneau de la matinée retentit dans le forum et les autres pièces du lycée. À cet instant, des dizaines de lycéens se ruent en dehors de leur salle de classe. Je peux même entendre certains professeurs donner les dernières consignes, que personne n’écoute et même s’ils le faisaient, personne ne les retiendrait. Zoé ne devrait pas tarder, je la vois à l’étage, essayant de se créer un chemin parmi les adolescents accoudés à la rambarde. Une fois qu’il y a plus de place, elle accélère et dévale les marches des escaliers une à une jusqu’en bas où elle jette son sac au pied des casiers. Nous la rejoignons rapidement avant que la file pour déjeuner ne soit trop longue. À cette heure, il y beaucoup moins de monde qu’à midi et demi mais la queue peut s’allonger rapidement avec le grand nombre de personnes qui sortent de cours.

Comme à son habitude, Zoé nous raconte les anecdotes de sa matinée dans sa classe de cas désespérés et elle nous fait tous rire, sans exceptions. Elle est à la fois agacée et hilare, c’est particulier, mais ça fait son charme. Derrière nous, j’entends résonner la voix de Baptiste, il a un grain de voix très particulier, à la fois éraillé, grave et douce. Martin, à côté de moi, l’entend aussi parce que son regard s’assombrit vite et me lance un sourire consolateur comme si je soufrais.

— Ça va, Martin, ne me regarde pas comme ça !

— Je sais que ça va, je te connais ! T’es plus forte que ça. Mais je sais aussi que tu as ton ego et que tu aurais voulu autre chose.

— Nan, je ne m’attendais à rien.

— Mais t’es quand même déçue.

Je rigole face à la référence incroyable qu’il vient de me donner, probablement pour pouvoir changer de sujet.

***

Comme Ethan me l’a rappelé ce matin, je n’ai pas cours de l’après-midi sauf une heure d’anglais, à quinze heures. À la sortie du self, Clément, un copain de classe, m’appelle pour rejoindre les autres en salle de permanence. Je traîne Martin et Perrine, qui souhaiteraient plutôt rester au calme dans un coin du forum, à me suivre en salle de travail avec les autres. Il n’y a pas un bruit, on peut entendre les mouches voler et le moindre bavardage est la prémisse d’un long et pesant “Chuuut !”.

Les garçons font les exercices de mathématiques que j’ai déjà résolus la veille. Léonie et Perrine discutent sur une feuille de papier en même temps qu’elles réfléchissent à la manière de répondre au problème 4 du manuel de SVT. Et moi, j’ai opté pour de l’anglais, ma matière préférée. Je dresse mon plan pour le devoir qui nous est proposé dans une semaine.

Je rédige la deuxième partie de mon argumentaire où je devrais jouer le rôle d’une avocate dans le cadre d’un procès pour une tuerie de masse. Je suis du côté des victimes, et je dois défendre leurs intérêts. C’est pour ce genre d’activité que j’aime autant ma professeur. Elle nous propose toujours des moyens d’évaluations originaux et ludiques. C’est bien simple, à chaque fois, tout le monde participe et le fait avec plaisir !

Une grande silhouette qui fait tourner quelques têtes rentre dans la salle. Je sais déjà de qui il s’agit, mais je reste la tête baissée espérant qu’il ne me voit pas et cherche autre part. Il m’a déjà envoyé trois messages depuis le début de l’heure pour me convaincre d’accepter ses explications. Mais j’ignore chaque message, me re-concentre vivement et tâche d’oublier toute cette histoire. C’est ce qu’il y a de mieux à faire. Mais il n’est pas de cet avis et s’avance vers les deux tables que nous avons collées avec mes amis. Il s’arrête à quelques pas de ma chaise et je fais semblant de ne pas le voir alors il tend sa main vers mon épaule et la tapote pour attirer mon attention. Je la dégage rapidement et la dirige vers la table pour lui montrer mon refus.

— S’il te plaît, Raphaëlle, ne fait pas l’enfant, murmure-t-il.

— Chuuut ! crie l’ensemble des personnes en étude.

Je souris. Pour une fois que cette incessante réplique m’arrange. Il s’agenouille à ma droite et me supplie du regard de le suivre. Je refuse catégoriquement, mais mon refus n’est pas entendu, il n’accepte pas les réponses négatives, et plus je m’entête à lui tenir tête, plus je sens ma volonté faiblir. Je suis ridicule. Alors au bout de quelques minutes seulement, je me lève et lui emboîte le pas vers la sortie, mes affaires bien rangées. Je sais que si j’accepte, je ne pourrais pas uniquement me taire et écouter ce qu’il a à dire, je serais tentée de répondre et je succomberais sans grande surprise à la tentation.

— Bon, qu’est ce que tu veux ?

— Je veux t’expliquer, Raphaëlle. Je sais que Mia t’a envoyé un message et je voudrais avoir la chance de te donner mon point de vue.

— Ton point de vue ? Sérieusement, Ethan ? Ton point de vue il est sensé être assez simple : tu es avec une fille depuis un certain temps maintenant et ce que tu fais là, c’est mal, c’est irrespectueux et... c’est mal !

— Tu l’as déjà dit, que c’était mal.

— Je sais. Mais ça l’est vraiment, et tu ne sembles pas le comprendre.

— Si, je sais que ce que je fais c’est pas bien. Mais je ne l’aime plus, alors quoi ? Je devrais rester avec elle quand même parce que c’est ma copine et que, fut un temps, je l’ai aimée ?

— Non. C’est absolument pas ce que j’ai dis ! Mais tu ne peux pas faire ça, être...

Je ne trouve pas le mot correct pour décrire la situation alors je fais une pause dans mon idée, puis je poursuis une fois que les idées sont plus claires et ordonnées.

— Tu ne peux pas tenter de nouvelles expériences avec de nouvelles personnes quand les choses ne sont pas encore fixées avec ta copine.

— Tenter de nouvelles choses ? J’ai rien demander de plus avec toi que de l’amitié...

Je reste bouche-bée. C’est pas complètement faux, il n’a jamais fait un pas en avant pour aller au-delà d'une relation amicale. Mais en même temps, Ethan a sa réputation. Il ne fait jamais rien sans arrière-pensée. Il a toujours une idée derrière la tête. Mais en même temps, ce n’est qu’une réputation, tout le monde en a une et ça se saurait si c’était toujours la vérité. Et je me sens bête d’avoir pu croire, ne serait-ce qu’un instant, qu’une fille comme moi pourrait l’intéresser.

— Je suis désolé, Raphaëlle, ce n’est pas ce que je voulais dire.

— Ah, vraiment ? Alors tu voulais dire quoi ?

— Je voulais simplement te dire que je suis pas ce genre de personne. Et je pensais que tu l’avais compris. Mais visiblement tu préfères croire toutes les conneries qu’on raconte sur moi.

— Tu veux vraiment me faire passer pour la fautive ? Celle qui déçoit ? Parce que si c’est ça alors c’est mieux que je parte dès maintenant.

Je commence à tourner les talons et à partir vers le couloir où mon prochain cour débutera dans une vingtaine de minutes. Mais Ethan me rappelle et me retient.

— Nan, nan, désolé ! Reviens.

Je m’arrête mais reste le dos à lui. Ça me rappelle...

— La première fois qu’on s’est parlé au foyer. Tu avais fait ça déjà.

— C’est ce à quoi je pensais aussi... Et tu avais été blessant, un peu comme là.

— Je sais... je te présente mes excuses. Je suis juste blessé que tu crois à ce qu’on raconte sur moi.

— C’est pas que j’y crois ou non. Je ne crois que ce que je vois.

— Mais tu te fais quand même influencée par ce qu’on peut dire.

— Comme tout le monde, non ?

— Non, pas moi. Regardes, je vois au-delà de ce qu’on dit sur toi.

— Qu’est ce qu’on dit sur moi ?

— Bon, en réalité on dit rien de mal sur toi. Mais quand même !

Je rigole. C’est sa mauvaise foi, je la reconnais et je me rappelle des deux fois où nous avons passé du temps ensemble, c’était agréable. Mais je ne dois pas me laisser avoir.

— Je suis navrée Ethan. C’était sympa ces moments passés ensemble, mais ça n’arrivera plus.

— Ne sois pas si catégorique je t’en supplie ! Attends, je sais. Je règle mes problèmes avec Mia, tu restes en dehors de tout ça et je te promet que ça n’aura rien à voir avec toi. Je règle tout et on reprendra où on s’est arrêté. C’est pas mal, comme plan, nan ?

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