Dix

7 minutes de lecture

— Non. Je refuse, Ethan. Je suis sincèrement désolée, tu es quelqu’un de bien, c’est vrai, et tu ne ressembles pas au portrait qu’on dresse de toi ici. Mais ce n’est pas pour autant que je dois accepter d’être ton amie.

— Pourquoi pas ? Qu’est ce qui t’en empêche ?

— Mais je ne sais pas moi ! Je ne comprends pas, c’est quoi, ta motivation ? Pourquoi veux- tu à tout prix qu’on devienne amis ?

— Tu as toujours une raison pour être amie avec quelqu’un ? Par exemple, c’était quoi la motivation pour être amie avec Perrine ? Avec Martin ? Avec Zoé ? Et Léonie ? Tess ?

Si je ne l’arrête pas, je sais qu’il serait capable de me citer tous les prénoms de mon cercle d’amis, alors je le coupe rapidement.

— C’est bon, Ethan, c’est bon. J’ai une idée des personnes de qui tu parles. Je ne sais pas pourquoi je suis devenue amie avec eux, on était dans la même classe, on a parlé une fois, puis deux et ça s’est fait naturellement ! C’est tout.

— Et bien voilà, moi je suis venue te demander un briquet une fois, puis une deuxième et ça peut se faire naturellement !

— Tu te moques de moi ? C’est absolument pas semblable…

— Bon, OK, je ne peux pas comparer c’est vrai. Mais je ne comprends pas pourquoi tu restes aussi réfractaire à l’idée qu’on soit potes.

— Et moi je ne comprends pas pourquoi tu y tiens autant.

— De toute façon, Raph, tu devrais le savoir, je n’abandonnerais pas. Et si tu as envie de te faire désirer alors il n’y a pas de soucis, je te désirerais.

Et puis, avant que je n’ai eu le temps de répondre quoique ce soit, il me laisse devant ma salle de cours et rejoint la sienne, de l’autre côté du couloir. Je reste bouche-bée, est-ce vraiment l’impression que je donne ? Une pauvre fille en manque d’attention ? Je me retourne vers lui, lui lance un regard noir auquel il répond par un clin d’œil, histoire de me provoquer une dernière fois.

— Arrêtes ça, je lui indique.

— Sinon quoi ?

Je ne rentre pas dans son jeu et lève les yeux au ciel pour lui signifier mon agacement. Il rigole et m’envoie un dernier sourire narquois avant que nos camarades respectifs se joignent à nous. Dès à présent, je décide d'ignorer Ethan qui me fixe en répondant à ses copains qui ont fini par se regrouper autour de lui. Je trouve qu'il fait tache parmi ce groupe : ils jouent tous au caïd alors qu'Ethan s'en fiche pas mal, ils jouent au plus bête et à celui qui a eu le plus d'aventures alors que lui n'essaye pas de passer pour ce qu'il n'est pas. Ils sont tous habillés de la même façon, un jogging en toile de tente beaucoup trop large, un gilet polaire noir et un bonnet The North Face. Ethan, lui, est vêtu d'un jean noir et d'un sweat violet, assez basique mais ça a son effet. Je vois ses lèvres bouger et je suis presque sûre qu’il parle avec les autres, mais j’essaye quand même de déchiffrer ce qu’il dit sans même essayer d’être un petit peu discrète.

— T’es avec nous Raph ? me demande Perrine, me sortant de mes pensées.

— Bien sûr ! Non, désolée j’étais... ailleurs, je bafouille.

— Hum, très certainement ! Alors, il te voulait quoi Ethan ?

— Rien de spécial, ce n’était ni important ni très inutile.

***

La sonnerie du réveil me sort de mon sommeil en ce samedi matin ensoleillé. Le nom que j’ai donné à mon alarme me fait sourire autant qu’il me fait peur : « retour sur la glace ». J'ai préparé mes affaires hier soir pour pouvoir me reposer un peu plus longtemps ce matin. J'enfile mon legging le plus chaud, une brassière et un pull pour ne pas avoir froid à la patinoire. J'ai retrouvé mes habits dans un des cartons que mes parents avaient entassé dans le garage après la chute, mais ils étaient tout poussiéreux et je crains même qu'ils n'aient été attaqués par des mythes, alors j'ai préféré opter pour des vêtements un peu moins chauds mais en meilleur état. Je vérifie que j'ai bien mes gants et mes grosses chaussettes dans mon sac puis j'enfile une paire de chaussures au hasard pour ne pas louper mon bus. De toute façon, je ne devrais pas les garder aux pieds très longtemps. Je dis un dernier au revoir à mes parents qui m'embrassent et me demandent une fois de plus si je veux qu'ils m'accompagnent, mais je décline. Je prends mon gros manteau et de quoi manger en arrivant puis je me rends à l'arrêt de bus qui me mènera à la patinoire.

En attendant que l'autocar arrive, je lance la musique qui résonne aussitôt dans mes écouteurs. À l'arrêt, je reconnais plusieurs visages, la plupart sont au lycée avec moi. Deux garçons m'adressent un sourire au détour de leur conversation, ils sont dans mon groupe en anglais, on ne les entend pas souvent, mais au moins ils ne perturbent pas le cours. Je réponds à leurs sourires. J'observe le bitume qui affiche quelques arcs colorés puisque le ciel se découvre peu à peu, laissant le soleil briller et refléter dans les flaques d'eau çà et là. Aujourd'hui est un grand jour pour moi. Je ne laisserai rien ni personne me gâcher ce moment, l'instant où je retrouverais la seule chose qui m'ait réellement fait me sentir en vie. Je regarde l'heure sur l'écran de mon téléphone. Il est huit heures vingt-neuf. Le bus devrait arriver dans une petite minute. Je patiente en faisant le tour de mes réseaux sociaux, cliquant rapidement sur les nouvelles photos qui s'affiche alors que je balaye le doigt vers le bas. Et le véhicule arrive enfin, avec plusieurs passagers à son bord. Les personnes qui attendaient avec moi s'engouffrent dans la chaleur du véhicule qui contraste avec la fraîcheur extérieure. Quand vient mon tour, je montre ma carte au chauffeur et cherche du regard une place de libre pour pouvoir m'installer. J'aperçois enfin un siège libre à côté d'une vieille dame. Je m'approche et fini par la reconnaître. C'est la même femme que j'avais croisée quand je sortais de la patinoire samedi. Je lui souris, doutant qu'elle se souvienne elle aussi de moi.

Le bus s'arrête finalement devant le grand bâtiment gris aux nombreuses baies vitrées. La patinoire avait été refaite à neuf il y a huit ans, pendant l'hiver, et durant la fermeture de la patinoire, le club avait bloqué de nombreux créneaux à la patinoire éphémère que la ville installait chaque année à la période de Noël. Je me souviens encore de ces merveilleux moments où nous évoluions sur la glace, nous dépassions et tentions d'atteindre la perfection. Il y avait toutes ces personnes autour, des visages de tous âge avec une même expression : l'admiration. Cet hiver avait été mon hiver préféré. Je crois que c'est à ce moment là que j'ai compris que ce sport me rendait heureuse, que je voulais pouvoir patiner devant le monde entier. Ou peut-être était-ce plus jeune ? Je ne sais plus.

Pantelante, je reste un instant devant l'entrée, regardant les différents athlètes s'engouffrer dans l'édifice sans se poser de question, les uns parlant avec leurs amis, les autres écoutant la musique. Mais tous ont cet air de plénitude inscrit sur le visage. Je prends une grande bouffée d'air frais puis je le relâche, un peu plus chaud, dans l'air ambiant, étant prête à affronter ce qui m'attends.

Dans le hall, la décoration n'a pas changé : il y a toujours ces cadres avec les mêmes visages souriants, à l'exception d'un seul, le mien, que j'ai récupéré il y a de ça quelques jours. Par la grande baie vitrée, on peut voir la surfaceuse qui quitte la glace, encore déserte pour quelques courts instants. Carole qui m'aperçoit rentrer, affiche un sourire immense qui lui barre le visage. Elle me fait un signe pour m'indiquer de la retrouver et j'obtempère. Nous échangeons quelques mots, elle semble à la fois étonnée de me voir ici, en tenue, prête à remonter sur la glace et en même temps pas réellement surprise. Puis elle finit par me libérer, me laissant rejoindre les vestiaires trop éclairés et déjà envahis par les patineurs qui viennent s'entraîner à la première heure, un peu comme moi plusieurs années en arrière. Je retire les vêtements en trop, me retrouvant en legging noir épais avec mes grosses chaussettes qui remontent sur mes chevilles, je retire mon premier pull, il semblerait que mon corps se soit déjà acclimaté à la température, et je noue à nouveau mon cache-cœur sur les hanches. Je lace mes patins et, contrairement à ce que j'imaginais, je suis toujours aussi bien sur mes lames, comme avant, comme quand j'étais petite. Je fais quand même quelques pas pour m'en assurer, je rejoins les casiers, en ouvre un de libre et y dépose mes affaires pour la matinée puis je rejoins la troisième porte. Je passe frénétiquement mes mains sur mon ventre, pour aplatir le tissu, tandis que je vois les patineurs évoluer devant mes yeux. Il y a un moment où je devrais me joindre à eux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire alirdxx ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0