Sept

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La sonnerie retentit dans l’enceinte de l’établissement, marquant la fin de cette heure de cours de maths mais aussi les retrouvailles proches avec mon meilleur ami. Je dis au revoir à mes amis et me mets en route vers l’arrêt de bus qui part pour Nantes dans cinq minutes.

Les derniers mètres, le temps se fait bien moins clément et une fine pluie commence à tomber du ciel, je me rue donc sous l’abribus où plusieurs groupes de jeunes sont assis et attendent patiemment. Quelques minutes plus tard, le bus arrive et s’arrête devant nous. En passant devant le chauffeur, je scanne ma carte et le salue puis pars m’installer à une des rares places libres. En branchant mes écouteurs à mon téléphone, je lance une musique aléatoirement. À côté de moi, quelqu’un s’installe, et comme je suis timide, je ne relève pas la tête de peur de croiser le regard de l’inconnu. Je me contente alors de regarder le paysage en faignant l’indifférence.


De : Ethan

Tu comptes m’ignorer encore longtemps ?


Je lis le message avec attention et verrouille l’écran, comme si je n’avais pas lu le message. Et c’est à ce moment que je le vois, sur l’écran noir de mon téléphone, son visage apparaît. Je sais alors que je ne peux pas l’ignorer plus longtemps, alors avec détachement, j’enlève un écouteur, baisse le son de ma musique, tourne mon visage vers le sien et lui adresse les mots que je rêve de lui dire depuis ce matin, mais que je n’ai pas osé prononcer.

  • Je ne sais pas ce que tu attends de moi, Ethan, mais c’est fini, arrêtes maintenant, tu as une copine et tu la fais souffrir, je ne veux en aucun cas être responsable de ça.
  • Hum...mais, enfin, je... il bégaye.
  • Laisse tomber, oublies.
  • Je t’en prie, Raphaëlle ! J’avoue que je n’ai pas été le plus honnête, je suis désolé, j’aurais voulu t’épargner ça je t’assure, mais je... je ne sais pas. C’est super compliqué.
  • Eh bien en réalité, non, ce n’est vraiment pas compliqué. Elle est là, elle t’aime et elle est prête à tout pour vous.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre que je remonte le son de ma musique et m’enferme dans ma bulle tout le temps du trajet, soit les trente minutes restantes. En arrivant au terminus, Ethan se dégage de la place et me laisse le précéder pour sortir. Il est bientôt quatorze heures, alors je me rends au lycée de mon ami et patiente devant les grilles, entourée de nombreux adolescents, profitant de la courte éclaircie. Et quelques minutes après, la sonnerie retentit et résonne jusqu’à l’extérieur de l’enceinte, un flux d’élèves se précipite pour sortir et enfin, la tête si familière de Noah apparaît devant moi, à quelques mètres. Il s’avance et m’enserre quand il est assez prêt avant de me présenter à ses potes, puis nous entreprenons ensuite de trouver un endroit pour manger tout ensemble.

  • Ici, ça vous dit ? nous propose Titouan, un copain de Noah.
  • Ouais, moi ça me va ! acquiesce Noah.
  • D’accord, mais pas trop longtemps, après on a du travail les enfants ! rigole Emma.
  • Ah, c’est vrai ! J’avais oublié de te dire Raph, mon prof vient de nous coller une soutenance pour vendredi, on doit préparer ça cette après-midi... Mais tu peux carrément venir avec nous !
  • Oh... Non, t’en fais pas, ça va, je sais ce que je vais faire.

Le repas se passe dans une bonne ambiance générale, tout le monde parle et rigole avec tout le monde, même moi qui suis d’habitude très solitaire, me joins à cette bonne humeur. Mais l’heure pour eux de me quitter est déjà arrivée et ils prennent tous la directions du domicile d’un des garçons, alors que je pars du côté opposé retrouver ma deuxième maison, la patinoire.

En arrivant, j’observe la fresque peinte sur l’édifice en hommage aux champions qui ont évolué ici. J’aurais pu en faire partie, je me répète en boucle. Je reste quelques instants figée, déchirée par le désir de revivre quelques moments dans ces lieux et par la peur de revivre mes derniers moments. Mais le désir prend le dessus sur la terreur et je me décide enfin à passer les deux grandes portes vitrées que j’ai si souvent poussé auparavant. Dans le hall, les baies vitrées offrent une vue imprenable sur la piste de glace où quelques enfants et adultes glissent maladroitement. À cette heure de la journée, la patinoire est ouverte à tous. Je reste ainsi, devant les baies vitrées, les bras refermés sur ma poitrine, à observer ces inconnus heureux sur la glace. Je patiente comme ça pendant plus de quarante minutes sans que personne ne vienne me parler, puis une femme vient se poster à côté de moi. Je peux voir son reflet dans la vitre et je reconnais aussitôt Carole, la gardienne de ces lieux.

  • Ça fait un bout de temps qu’on t’a pas vu ici, remarque-t-elle.
  • C’est vrai. Je sais même pas vraiment pourquoi je suis ici.
  • Parce que tu es ici chez toi, Raphaëlle. On ne peut pas passer notre vie à fuir.
  • Je ne fuyais pas.
  • Si, au contraire. Mais je le comprends. Ça me fait plaisir de te revoir ici. J’ai quelque chose pour toi, d’ailleurs.

Sa remarque avait piqué mon attention, détachant mon regard de l’autre côté de la vitre froide. Je la rejoins au comptoir où elle dépose un carton.

  • Qu’est ce que c’est ? je demande curieuse.
  • Tes affaires, et d’autres petites babioles.

J’ouvre les battants repliés et y découvre mes patins. J’en avais changé quelques semaines avant mon accident pour des patins plus légers, je n’avais pas réussi à jeter les autres. Je les pousse pour apercevoir quelques photos que j’avais scotchées sur les parois de mon casier, du maquillage, une boîte remplie d’élastiques et de pinces.

  • Pourquoi tu as gardé tout ça ?
  • Je n’allais pas jeter tes affaires, voyons.
  • Non, bien sûr. Mais pourquoi tu ne me les a pas envoyées ?
  • Pour quoi faire ? Je savais que tu reviendrais un jour ou l’autre. On fait des économies là où on peut, ma belle.

Je rigole à cette dernière remarque puis retourne près de la galerie où sont exposés trophées, médailles, photos et autres souvenirs. Sur la cinquième étagère, un prix avec un patin dorée comme posé en équilibre sur une colonne attire mon attention : sur le socle, mon nom est gravé suivi des mots « Prix du Meilleur Espoir », à côté de quoi se trouve une photo, je suis hissée sur la plus haute marche du podium, un bouquet dans les bras, les cheveux parfaitement tirés en arrière et un sourire édenté par mon jeune âge.

  • Tu voudrais le récupérer ? me questionne Carole.
  • Non, enfin oui, peut être. Je ne sais pas, je bafouille.

J’entends le tintement des clés dans mon dos alors qu’elle vient poser une main sur mon épaule tandis qu’elle ouvre la vitrine. Elle tend sa main en direction de la cinquième étagère puis tourne son doux visage vers moi.

  • À toi l’honneur, me souffle-t-elle.

Elle acquiesce en voyant des interrogations dans mon regard alors je me penche et effleure du bout des doigts le métal. À ce contact, je ressens comme une décharge qui parcours mon corps, mais cette sensation n’est pas désagréable. Je porte la victoire à mon cœur, une victoire qui accueille une larme.

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