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La frontière entre la vie et la mort était une chose beaucoup plus fragile que certain ne le pensait. C’était un voile que la vieillesse et la maladie décousaient fil par fil, ou qu’un couteau entaillait un jour de part en part avec violence. Il en avait été ainsi pour Léo Descourt. Il en avait été ainsi, aussi, pour Morgan Corey, il y avait maintenant cinq ans de cela. Léo Descourt était mort, parti pour toujours. Morgan, lui, était revenu.

Le soleil rayonnait maintenant au dessus de la forêt, déversant sa chaleur entre les feuilles encore vertes des arbres. Dans quelques semaine les bois commenceraient à changer de couleur, chaque année un peu plus en retard sur l’automne. Lorsque Morgan fermait les yeux des milliers de ponctuations dorés lui apparaissait, dansant dans l’air comme des lucioles, s’organisant parfois en un chemin à la lueur vacillante.

Il y a cinq ans, on l’avait conduit à l’hôpital tandis qu’une auréole de sang sombre se formait sur sa poitrine, imbibant sa chemise là où une balle de calibre 9 avait percé un trou net dans sa chair. Allongé sur un brancard, il avait pensé à son chat. Il se souvenait ensuite du chant de l’ambulance, de la mélodie électrique des machines, du tambour de son cœur battant dans chaque parcelle de son être, et puis du silence. Les médecins avaient annoncé l’heure du décès à trois heure vingt deux. À trois heure vingt neuf, Morgan Corey ouvrait les yeux.

Il lui avait fallu quelques semaines pour prendre pleinement conscience du changement qui c’était opéré en lui durant ces sept minutes où la vie l’avait quitté. Il avait alors compris que les lueurs qui virevoltaient derrière ses paupière clauses ne disparaîtraient jamais.

Morgan avait en parti menti à Hatcher : il ne cherchait pas vraiment des indices, ou du moins ne le faisait-il pas avec une grande attention. Il préférait avancer entre les arbres, écoutant ce que la forêt avait à dire. Quoique écouter n’était peut-être pas le bon terme, puisqu’aucun son sortant de l’ordinaire ne parvenait à ses oreilles. Ce n’était pas non plus quelque chose qu’il voyait. Pas exactement. Au final, c’était une sensation, un sentiment qui ne venait d’aucun organe précis, mais qui l’habitait par instant, un flash qui se répandait dans tout son corps en secouant chacune de ses cellules. Morgan ressentait et se laissait guider.

Aujourd’hui, les profondeurs de la forêt l’appelaient. Il enjamba plusieurs troncs d’arbres, dévala des pentes couvertes de mousses et sillonna à travers les bois, suivant un chemin que lui seul pouvait voir. Lorsque la sensation s’intensifia au point de lui brouiller la vue, il sût qu’il était là où il devait être. Il s’avança. Le sol couvert d’épaisse racines étaient instable sous ses pieds. Le sang battait dans ses tempes en un rythme de plus en plus vif. Sa vision n’était plus que lumière.

« Monsieur ? Monsieur ! »

Une forme vague se tenait devant lui. Sa voix paraissait aussi proche que lointaine. Morgan se concentra pour revenir à la réalité, pour laisser les lueurs derrières ses yeux clos. Même en y voyant plus clair, il n’était pas sûr de comprendre ce qui se passait devant lui. L’homme qui essayait de lui parlait était entièrement blanc. Ou plutôt, il était vêtu de blanc de la tête au pied. Il portait une combinaison stérile.

« Monsieur, vous ne pouvez pas aller plus loin. C’est une zone de quarantaine. »

À mesure que Morgan reprenait ses esprits, il pouvait apercevoir plus nettement derrière son interlocuteur de longues cordes courrirent entre les arbres à une hauteur d’un mètre au dessus du sol pour définir un périmètre.

« Quarantaine ? » dit-il. 

L’homme retira son masque. Quelques mèches de cheveux collaient à son front à cause de la sueur.

« Vous êtes un des gars de la police, c’est ça ? »

Morgan aquiesça.

« Cette zone de la forêt est interdite au public pour des raisons sanitaires. C’est à cause des champignons. Plusieurs personne ont été empoisonnée par des spores ces dernières semaines. »

L’homme en blanc passa à côté de lui et lui fit signe de le suivre. Un peu plus loin, une tente, blanche elle aussi, avait été dressée hors du périmètre de confinement. Ils y entrèrent. Du matériel scientifique reposait sur des tables pliantes, de celles qu’on emporte en camping, et plusieurs personnes s’affairaient avec effervescence dans cet espace couvert, prêtant à peine attention aux nouveaux venus. L’interlocuteur de Morgan attrapa un sac et en sorti une bouteille d’eau. Il but quelque gorgé et repris la parole.

« On fait toutes sortes de prélèvements pour essayer de comprendre ce qui se passe ici. Ça arrive que des gens soient malades à cause des spores, mais jamais autant. On compte déjà onze décès. »

Il but à nouveau, avant de planter son regard sur Morgan d’un air sérieux.

« Écoutez, dit-il, je comprend que vous deviez faire votre enquête. J’ai entendu parler du gars qui est mort. Les nouvelles vont vite ici. Et d’ailleurs, ça ne nous rassure pas trop mes collègues et moi de savoir qu’il y a peut-être un taré en liberté dans le coin. »

Morgan hochait la tête pour montrer qu’il était attentif à ses propos.

« Du coup, je vais essayer de voir si c’est possible d’obtenir une autorisation pour que vous et les autres de la police vous puissiez entrer dans la zone si vous en avait besoin. » Il leva un doigt pour appuyer ce qu’il s’apprêtait à dire. « Mais attention, comme je l’ai dis, c’est dangereux d’aller là dedans. Si vous ne voulez pas vous retrouver à l’hôpital avec tout les autres, il faudra que vous portiez une combinaison comme moi. J’espère que ça ne vous dérange pas.

— Non, ça ne me dérange pas.

— Bien, alors je vais voir ce que je peux faire pour vous. »

Le ronronnement léger d’une centrifugeuse s’éleva dans la tente.

« Vous êtes installés à l’hôtel en bordure de la forêt, c’est ça ? » demanda l’homme en blanc.

Morgan confirma d’un signe de tête. La police avait élu ses quartiers provisoires dans ce petit hôtel, le lieux du crime étant à plus d’une heure de route du commissariat le plus proche.

« Bien, reprit l’homme. Nous autres scientifiques logeons aussi là-bas. Je devrais avoir une réponse d’ici ce soir, donc je vous propose qu’on se retrouve à ce moment là !

— Ça serait parfait, dit Morgan. Merci beaucoup de votre coopération. »

Il avait déjà entendu ses collègues prononcer ce genre de phrase. Il jeta un coup d’œil à sa montre et, voyant qu’il était l’heure pour lui de rejoindre Hatcher et les autres, il salua l’homme en blanc d’un signe de main et repartit dans la forêt.

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