Début d’une nouvelle vie.

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Dans la salle d’attente, Anya attend patiemment son tour. Aujourd’hui, c’est la visite du septième mois. Dimitri étant au travail, Natacha l’accompagne.

La future mère est anxieuse. Depuis quelques jours, elle ressent des douleurs sporadiques au bas-ventre. Seule sa belle-sœur est au courant avec la promesse de garder le secret. Elle n’a rien voulu dire à son mari avant d’avoir eu le diagnostic du docteur Mougin. Inutile de l’affoler sans raison apparente ! Il travaille dur pour enfin offrir à sa femme et son enfant, une vie décente dans une jolie maison. « Comment pourrait-elle lui ôter ses illusions si d’aventure, le bébé n’est pas viable ? »

Anya caresse son ventre, sous l’œil attendri de Natacha. Son ventre est énorme, si énorme qu’elle pourrait bien porter des jumeaux.

— Tout va bien se passer, lui certifie celle-ci.

La jeune femme lui sourit, compatissante. Son soutien, son optimisme sont des atouts précieux pour elle.

Le praticien ouvre la porte, salue les deux femmes d’une franche poignée de main avant de les conduire dans son cabinet. D’un geste aimable, il les invite à s’installer sur les deux chaises en vis-à-vis de son bureau derrière lequel il s’assoit.

Le docteur Mougin plaît tout de suite à Anya. Un visage avenant tout en rondeur, un regard doux, quelques rides au coin des yeux et un sourire bienveillant la mettent immédiatement en confiance.

— Comment vous sentez-vous madame Lupesco ? Tout se passe bien ? Le terme approche… Aucune contraction ?

— Pas de contractions docteur mais depuis quelques jours je ressens de temps à autre comme des pics de douleur dans le bas-ventre, l’informe la jeune femme d’une voix inquiète mais dans un français impeccable teinté d’un petit accent.

Natacha assise à ses côtés, lui presse doucement la main.

Le docteur Mougin fronce des sourcils broussailleux mais ne prononce aucune parole. Il se lève et invite la future mère à le suivre dans la salle d’auscultation. Sa belle-sœur l’aide à se mettre debout, lui fait un sourire rassurant avant de la laisser rejoindre le médecin.

Le praticien ne lui demande pas de se mettre nue à son grand soulagement, juste d’enlever le bas. Il la soutient fermement le temps qu’elle s’allonge sur la table et positionne ses pieds dans les étriers. En professionnel, il vérifie le col de l’utérus ; celui-ci est fermé… le voilà rassuré sur ce point. Se munissant de son stéthoscope, il introduit les embouts dans ses oreilles et pose la cloche sur le ventre de la mère ; les battements cardiaques du fœtus sont normaux. Cependant il est rasséréné et inquiet à la fois. « D’où viennent donc les douleurs ? »

Malgré tout, il rassure la future mère.

— Il n’y a qu’un seul bébé et son petit cœur est parfait.

Anya presse les paupières, délivrée d’un poids sur la poitrine.

Le gynécologue palpe ensuite son ventre ; lorsque sa main appuie sur son bas-ventre, la jeune femme émet un petit cri plaintif.

— Je vous fais mal ?

— C’est la même douleur, docteur.

Le docteur Mougin plisse le front, s’interrogeant un instant puis s’empare d’un gant en latex.

D’une main posée sur le ventre de la mère, il suit le contour de la silhouette du bébé tandis que son toucher vaginal vérifie l’exactitude des informations reçues. L’enfant est bien positionné, la tête en bas mais lorsqu’il insiste au niveau du col, Anya pousse à nouveau un cri plaintif. Retirant ses doigts, du sang macule le gant. Il le retire très vite et le jette dans la poubelle avant que la jeune femme ne le remarque. Il est inutile de l’inquiéter tant qu’il ne connaît pas l’origine du mal.

— Rassurez-vous, votre bébé va très bien. N’ayez pas d’inquiétude, il naîtra en bonne santé. En ce qui concerne ces douleurs, il s’agit sans doute d’une infection au niveau de votre col mais, je vous le répète encore une fois, sans danger pour votre enfant. (Du moins il l’espérait). Dès que les résultats me parviendront, je vous tiendrai informée du traitement adéquat.

Soulagée, Anya se rhabille avant de rejoindre sa belle-sœur dans la salle attenante.

Prochain rendez-vous pris, ordonnance établie, les deux femmes quittent le cabinet. Encore une fois, Natacha est sommée de ne rien dire à Dimitri tant que les résultats ne sont pas connus.

— Bébé va très bien ! dit-elle à son mari, de retour à la maison. J’ai vraiment hâte de le serrer dans mes bras… Je n’en peux plus de me traîner comme une baleine échouée sur une plage !

— Tu n’as jamais été aussi belle, ma chérie !

Rougissant jusqu’à la pointe des oreilles, Anya se pend à son cou. Le couple s’embrasse comme si c’était la première fois sous les yeux éberlués des enfants. Natacha et Pierre éclatent de rire devant les grimaces qu’ils affichent.

Le soir, Anya remarque quelques tâches de sang dans sa culotte. Elle serre les dents… Malgré une pointe d’angoisse qui la tiraille, elle a une totale confiance en le docteur Mougin. Si son enfant courait un danger, il aurait aussitôt pris la mesure du danger à sa juste valeur.

***

À l’hôpital, Dimitri est fort bien apprécié par ses collègues et supérieurs. Bien qu’il soit médecin, il ne fait pas étalage de ses connaissances mais il n’hésite pas à donner son avis de spécialiste lorsqu’on le sollicite, mais toujours avec humilité.

— Deux avis valent mieux qu’un ! aiment lui dire les médecins de l’hôpital dans ces cas là.

Bien qu’il ne puisse pas encore exercer son art, ils le considèrent comme l’un des leurs à part entière.

Dimitri est confiant pour l’avenir.

Avec l’argent qu’il gagne, il aide au ménage de sa sœur. Pas question pour lui de se faire nourrir gratuitement, même si Anya donne aussi un peu de son pécule.

Natacha refuse son argent au début.

— Économise ton argent pour trouver une petite maison en location.

Mais son frère ne l’entend pas de cette oreille.

— Un homme ne se fait pas entretenir ! Question de fierté !

Natacha finit par accepter, ne voulant pas le vexer et lui faire de la peine.

Bien qu’il donne un modeste pécule à sa sœur, Dimitri réussit fièrement à mettre de côté quelques économies tous les mois.

Bientôt, il pourra offrir un toit à sa petite famille. Lorsqu’il a du temps libre, il n’hésite pas à parcourir les environs, non loin de chez sa sœur, à la recherche d’une petite maison.

***

Dix jours après le prélèvement sanguin, les résultats parviennent au docteur Mougin. Anya est venue seule au rendez-vous. Assise en face du praticien, elle tord ses doigts posés sur ses genoux, le visage grave qu’il affiche ne lui dit rien de bon. Son anxiété va crescendo mais quel que soit le verdict, elle se doit d’être forte pour son enfant… mener à terme sa grossesse. Il sera toujours temps après la naissance de s’occuper d’elle.

— Comme je vous l’ai dit lors de la dernière visite, il s’avère que vous souffrez d’une infection au niveau du col, ce qui explique en partie les saignements. Cependant je ne vous cache pas que je redoute un cancer… les résultats ne sont vraiment pas bons.

— Et mon bébé ? s’alarme la future mère. Est-il en danger ? Dîtes-moi…

— Ne craignez rien pour votre enfant, il va bien ! Cependant, pour être tout à fait certain du diagnostic et du traitement éventuel, je vais devoir pratiquer un frottis. Si ce que je crains se révèle être un cancer, il faut que vous sachiez que vous ne pourrez pas accoucher par les voies naturelles, une césarienne s’imposera.

Anya encaisse les informations avec lucidité et dignité. Elle ravale ses larmes avec force.

— Bien docteur ! Faîtes ce qui est le mieux pour mon enfant.

Assis derrière son bureau, le docteur Mougin hoche la tête d’un air entendu, se lève et d’un geste paternel, l’invite à passer dans la pièce attenante afin d’effectuer le prélèvement des cellules.

En sortant du cabinet, Anya prend la pleine mesure de l’ampleur de cette effroyable nouvelle. Elle n’a aucune envie de mourir, elle veut vivre pour voir grandir son enfant. Elle a tant de choses à lui apprendre, tant de choses à lui dire, tant de choses à partager… Et Dimitri ? Qu’adviendra-t-il de lui ? Ils n’ont jamais été séparés depuis leur mariage !

La jeune femme n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. Elle a traversé moult épreuves difficiles en Roumanie avec pugnacité. Ses yeux ont vu tant d’horreurs. Elle ne va pas baisser les bras maintenant qu’elle a trouvé son eldorado pour y vivre.

« Je vais me battre comme je l’ai toujours fait ! Pour Dimitri ! Pour notre enfant ! »

Arrivée à Montrouge, sa décision est prise. Elle attendra la fin du repas, que les enfants soient couchés pour annoncer à tous la triste nouvelle.

Tous les quatre sont installés au salon pour prendre le café. Durant le repas, Natacha lui a lancé des regards interrogateurs auxquels elle a répondu par un large sourire. Les hommes discutent entre eux et sa belle-sœur poursuit son interrogatoire silencieux. Le moment de vérité est venu pour Anya. Elle termine sa tasse, la repose sur la table basse, inspire profondément puis prend la main de son mari dans la sienne et le regarde droit dans les yeux.

— J’ai quelque chose de très important à te dire mon chéri.

Une onde de panique traverse le regard de Dimitri.

— C’est le bébé ? articule-t-il difficilement.

— Non, il va très bien. Rassure-toi !

Son mari ferme les yeux et expulse un souffle retenu avant de revenir vers sa femme.

— Qui y a-t-il alors ?

Natacha prend la main de Pierre et l’invite à se lever.

— Nous allons vous laisser seuls…

— Non, restez ! Je vous en prie ! Vous êtes notre unique famille, vous devez savoir… cela vous concerne aussi, la coupe sa belle-sœur.

Le couple se rassoit docilement sur le canapé.

Anya s’arme de courage, prend une grande inspiration et se lance. Avec des mots simples, elle leur livre le ressenti du diagnostic du docteur Mougin. Lorsqu’elle prononce le mot « cancer », les yeux de Dimitri se brouillent d’eau salée, Natacha pose sa main devant sa bouche et Pierre encercle les épaules de sa femme.

— Non… Non… Je ne veux pas te perdre, bafouille Dimitri. Maintenant qu’on a la chance de pouvoir être heureux dans un pays libre. Tu es toute ma vie, mon amour. Tu ne peux pas me laisser seul…

Anya puise toute son énergie au tréfonds de son être et refoule ses larmes.

— Tu ne vas pas me perdre mon chéri. Hors de question que je te laisse seul ! Je vais me battre pour notre enfant… pour toi… pour moi… pour notre famille. Je te le promets !

En sécurité dans les bras de Dimitri, ce soir-là Anya laisse enfin couler ses larmes. Son cœur et son corps ont besoin d’évacuer la douleur, la peine et la colère qui les animent. Cette purification cathartique sera la seule et l’unique, elle se le jure.

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