Février 1969

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Face à la vérité.

Une semaine plus tard, le résultat du frottis confirme la sentence : Anya souffre d’une forme avancée du cancer du col de l’utérus. Pour l’instant, la priorité est de mener sa grossesse jusqu’au huitième mois afin de s’assurer que l’enfant soit suffisamment formé. À partir de là, le docteur Mougin programmera la césarienne.

En attendant la naissance, le gynécologue la dirige vers un ami et confrère cancérologue, le Professeur Pietru.


Son premier rendez-vous pris, Anya s’y rend accompagnée de Dimitri. Son mari connaît tous les couloirs, tous les services de l’hôpital, c’est donc facilement qu’ils trouvent leur chemin dans les méandres de ce labyrinthe aux murs blancs.

Après s’être présenté au secrétariat, le couple prend place dans la salle d’attente où une foule de patients attendent leur tour.

Les visages sont fermés, douloureux ; chacune de ces personnes encaisse et dompte la maladie comme elles le peuvent. Anya a une boule à l’estomac en les observant à la dérobée. Dimitri prend sa main et la garde dans la sienne. Sa chaleur rassure la jeune femme. Sa présence à ses côtés la réconforte ; elle ressent tant de souffrance, de crainte, d’amertume, de tristesse dans ces murs qu’elle aurait bien été incapable de venir seule ici.

Ils attendent pendant plus d’une heure avant qu’on ne vienne les chercher. Et durant cette attente interminable, le ballet des patients est incessant ; ceux qui sortent sont aussitôt remplacés par d’autres. Jamais Anya n’aurait pensé qu’autant de personnes puissent souffrir de cette maladie sournoise.


Le Professeur Pietru les accueille dans son cabinet d’une ferme poignée de main puis les invite à s’asseoir avant de s’excuser, le temps qu’il consulte le dossier qu’Anya lui remet.

Il chausse son nez d’une paire de lunette à grosse monture d’écailles puis parcourt les pages avec intérêt. Anya a tout loisir de le détailler à la sauvette. De corpulence moyenne, l’homme est d’un âge avancé, il arbore une épaisse tignasse aussi blanche que la neige en hiver. Son visage émacié est marqué par de nombreuses rides comme autant d’histoires du passé. Ses lèvres sont ourlées d’une grosse moustache parfaitement dessinée, parsemée de fils argentés et ses mains sont piquetées de tâches brunes. Derrière les verres optiques, ses yeux sont d’un marron chatoyant, lui rappelant celui des châtaignes. À en croire les deux photos joliment encadrées posées sur son bureau, il est un époux, un père et un grand-père comblé ; l’une le représente au côté d’une femme, la sienne, tandis que l’autre montre le couple entouré de jeunes adultes et d’enfants : une belle photo de famille.

Cette vie bien rangée apaise la jeune femme.

— Bien ! déclare-t-il en refermant le dossier.

Puis il ôte ses lunettes et porte son regard sur le couple anxieux.

— Madame Lupesco, reprend-t-il, le docteur Mougin vous a certainement rassuré sur la santé de votre enfant mais son rôle s’arrête là ; le mien consiste à m’assurer de la vôtre. Vous comprenez ?

Intimidée, Anya hoche la tête par l’affirmative.

Le Professeur lisse sa grosse moustache entre ses doigts et poursuit.

— Si j’en crois votre dossier, vous n’avez jamais eu de graves problèmes de santé et aucun symptôme précancéreux notoires. Jamais eu de douleurs inopinées, hormis ces derniers mois, ou pendant les rapports sexuels ? Pas de pertes de sang en dehors de vos règles ?

— Non docteur, jamais ! Rien de tout ça ! lui répond la future mère.

À son tour, le spécialiste hoche la tête.

— Au vu des résultats de votre analyse de sang, votre cancer est à un stade avancé et malheureusement aucune radiothérapie n’est envisageable puisque vous êtes enceinte, cela serait dommageable pour votre enfant.

Les yeux d’Anya se voilent d’eau. Fièrement, elle emprisonne les larmes qui ne demandent qu’à rouler sur ses joues, aussi profondément qu’elle le peut.

— Il n’y a aucun espoir, alors ? intervient Dimitri d’une voix que le désespoir fait chevroter.

— Je n’ai pas dit ça, monsieur Lupesco. Je veux juste que vous compreniez bien que plus vite on interviendra, plus on mettra les chances de guérison de notre côté. Cependant vu le stade avancé de la maladie, une radiothérapie ne sera pas suffisante…

Au fil de la conversation, Anya, aussi pâle qu’une morte, retient sa respiration et son cœur manque un battement. Elle se sent défaillir et se raccroche à son mari.

— Respirez lentement, madame. Je vous fais apporter un verre d’eau.

Joignant le geste à la parole, il actionne l’interphone sur son bureau. La minute suivante, son assistante lui tend un gobelet d’eau fraîche. D’une main tremblante, Anya en avale une gorgée.

— Pardonnez-moi ma brusquerie, madame, mais je me dois de vous dire la vérité, poursuit le Professeur Pietru lorsque la jeune femme eut repris des couleurs. Néanmoins, il reste une solution mais elle est radicale.

— Nous vous écoutons, répond Dimitri soudain rempli d’espoir.

— Voilà ! Cette solution consiste à vous enlever l’utérus et la totalité de l’appareil reproducteur. Cette ablation vous privera d’avoir d’autres enfants mais vous garantira une chance de guérir ; et après l’accouchement, il vous faudra quand même faire des séances de radiothérapie pour conforter la guérison.

Sans attendre, Anya se redresse sur sa chaise et plante son regard dans celui de son mari. Au fond de ses prunelles, une détermination sans failles ! Elle veut vivre pour élever et voir grandir son enfant et tant pis pour son rêve de fonder une famille nombreuse. Dimitri le comprend en un seul coup d’œil, par un tendre sourire il la rejoint dans sa décision.

Le Professeur Pietru qui a suivi leur échange silencieux reprend.

— Je vais me rapprocher du docteur Mougin – c’est un ami – nous allons travailler de concert. Le jour de la césarienne, j’en profiterai pour vous enlever l’utérus, ainsi nous gagnerons du temps sur la maladie… inutile de vous faire subir une nouvelle opération.

Anya acquiesce d’un mouvement de tête.

— Je vais vous remettre un dossier médical qu’il faudra remplir et me remettre au plus vite. Juste avant l’opération, vous aurez un bilan sanguin complet à faire ici. En attendant, reposez-vous ; aucun effort jusqu’au huitième mois. Dès que la date me sera communiquée, je veux vous revoir afin de bien vous expliquer le déroulement de l’opération et la suite à donner. Il faut que vous soyez en totale confiance !

De nouveau, Anya acquiesce. Le Professeur lui remet le questionnaire médical avant de rajouter :

— Ne vous inquiétez pas, tout se passera bien. Dans cette maladie, le moral est primordial, c’est un atout majeur vers le chemin de la guérison : le combat ne fait que commencer !

Anya en est parfaitement consciente et une force indestructible l’habite férocement.

Une fois, un examen médical global pratiqué, le Professeur libère le couple.


Sur le trottoir, Anya relève le col de son manteau, un vent polaire la fait grelotter.

— Je suis désolée de ne pas pouvoir te donner d’autres enfants, dit-elle subitement à Dimitri en se retournant sur lui.

Son mari la saisit dans ses bras et la serre amoureusement.

— Tu vas donner naissance à un magnifique bébé et tu vas guérir mon amour. Je ne veux rien de plus… Je t’aime tant !

— Je t’en fais la promesse. Je t’aime tant aussi…

Resserrant son étreinte, la bouche de Dimitri prend possession de la sienne. Indifférents aux badauds, les amoureux s’embrassent de longues minutes… seuls au monde.

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