CHAPITRE V : LEÏV - À CŒUR OUVERT (1/2)

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Cela faisait combien ? Trois heures ? Quatre ? Davantage ? Leïv ne le savait pas vraiment. Il passait tout son temps à fixer le plafond, mains derrière la tête et jambes croisées. Ne rien faire était reposant. Il se sentait déjà la force de retourner courir un marathon, mais il préférait rester là, sur ce lit, à côté de sa trouvaille. Par moment, il se pinçait le bras, histoire de s'assurer qu'il ne dormait pas. Ça aurait très bien pu être un rêve, après tout. Il aurait très bien pu finir par goûter au sommeil, avec tant de nuits passées à dépenser une anormale quantité d'énergie. Mais cela semblait définitivement réel.

Il se tourna vers Lars, profondément endormi. Sa respiration lente et paisible ferait à merveille oublier son caractère de cochon. Il remarqua alors sur ses joues de petites fossettes qui n'étaient pas là avant. Sans trop savoir pourquoi, toute son attention se focalisa sur elles. Peut-être qu'elles le rendaient encore plus mignon et craquant ? Il n'allait pas se le cacher, évidemment que cet humain étrange était à son goût. Même ses vêtements pour le moins... atypiques lui conféraient une certaine classe, voire même un style princier, un peu comme Sterel du Sagittaire. L'espace d'un instant, il l'imagina avec son manteau bleu charon, la taille agréablement accentuée par sa coupe cintrée. Ça lui irait à ravir...

Au fond, Leïv n'avait pas envie qu'il parte. Pas parce qu'il s'était attaché à lui, non, c'était bien trop tôt pour envisager une telle chose, mais parce que pour la première fois depuis très longtemps, il pouvait regarder un tout nouveau visage, une toute nouvelle personne. Oh, il adorait sa famille et ses serviteurs, là n'était pas la question. Même après 500 ans, il s'efforçait encore d'essayer d'oublier qu'au-delà des royaumes célestes vivaient d'autres personnes, une multitude d'amis et d'amants potentiels, et combien ça lui manquait de faire ce genre de rencontres.

Ce Lars représentait une bombe de nouveautés à lui seul. Mais il n'était pas normal. Il possédait des pouvoirs, et affirmait venir d'un autre monde. Ce ne pouvait pas être la Terre, Leïv en était certain. Dans ce cas, serait-ce un monde inaccessible depuis les constellations ? Cela expliquerait certaines choses... Ceci dit, pourquoi cet homme n'obéissait pas non plus aux lois de l'Univers ? Quelque chose clochait.

Pourquoi n'allait-il pas en parler aux siens ? Si le magicien était tombé sur n'importe lequel de ses frères et sœurs, il ou elle n'aurait pas hésité une seule seconde à agir avec logique. Le prétexte qu'il avait invoqué quelques heures plus tôt ? Même lui n'y croyait pas totalement. Peut-être qu'il était tout simplement égoïste, qu'il voulait le garder pour lui seul. Ce ne serait pas si étonnant que ça, il fallait l'avouer.

— Ah, pourquoi je me prends la tête comme ça ? Ce n'est pas bon pour moi ! Je ferais mieux de revenir à ce bon vieil instant présent.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il s'en retourna à son observation, sans rien dire ni penser, pendant les heures qui suivirent. Parfois, il s'en allait vagabonder dans le village et converser avec les rares habitants, mais il revenait toujours vers son inconnu. Quand Lars s'éveilla enfin, le soleil arrivait à son crépuscule. Ses yeux s'ouvrirent dans une grande lenteur, et dès que sa vision devint parfaitement claire, la première chose qu'il vit fut le regard du divin rivé sur lui.

— Aaaaah ! Mais ça ne va pas de fixer les gens comme ça pendant qu'ils dorment ! s'écria-t-il en se rejetant en arrière, ses beaux iris améthystes écarquillés de surprise.

— J'ai dit que je ne te toucherai pas, pas que je m'interdirais d'autres choses plus innocentes. Vos besoins d'humains m'ont toujours fasciné, je dois dire, et le sommeil est probablement mon préféré. Vous avez l'air si calmes et si doux, tout le contraire de lorsque vous êtes réveillés ! se défendit Leïv dans son éternel flegme.

Lars le fixa longuement avec suspicion, avant de finalement hausser les épaules.

— Alors, tu te sens mieux ? J'ai cru comprendre que ta tête te faisait souffrir.

— Oui, ça va mieux, merci de t'en inquiéter, répondit-il avec son habituelle mauvaise humeur en se redressant sur son séant. Mais là, dans l'immédiat, j'ai faim... Il y a une cuisine au moins dans... cette case ? Ce palais ? Peu importe !

— Il y a bien un garde-manger tout en bas, mais je te déconseille d'y aller.

— Et pourquoi ça ? ronchonna-t-il.

— Premièrement, parce que tu serais capable de passer par-dessus la rambarde une seconde fois. (Lars lui jeta un regard noir auquel Leïv répondit par un grand sourire innocent.) Deuxièmement, parce que, vois-tu, je ne vis pas tout seul ici. Il serait donc préférable que tu ne te fasses pas remarquer, et par conséquent que tu ne m'attires pas de problèmes.

— Et si je décidais de sortir quand même et d'aller parler à quelle que soit la personne assez dérangée pour loger sous le même toit qu'un gros Chat dans ton genre ?

— Je ne pourrais garantir ni la discrétion de ladite personne, ni la réaction des autres Incarnations si elles devaient apprendre ton existence, ni les conséquences pour nous deux... qui seraient très probablement bien plus lourdes pour un vilain intrus dans ton genre. Tu as vraiment envie de prendre ce risque ?

Lars ouvrit la bouche, paré à lancer une nouvelle réplique mémorable... mais les paroles de Leïv le firent réfléchir, si bien qu'aucun son ne franchit finalement ses lèvres.

— C'est ce que je pensais. Bon, reste ici, je reviens dans quelques secondes.

— Oui, c'est ça... souffla le magicien dans une moue frustrée tout en l'observant sortir du lit puis de la pièce et refermer les portes derrière lui.

Un nouveau boom retentit, obligeant le jeune homme à se boucher les oreilles même s'il était déjà trop tard pour ses tympans douloureux. Il se souvint l'avoir entendu juste avant d'être sauvé d'une mort certaine... Cela voulait-il dire que ce type ne courait pas seulement vite, mais qu'il pouvait carrément franchir le mur du son ? Aussi irritant fut-il, Lars dut bien admettre qu'un pouvoir tel que le sien serait d'une grande utilité là d'où il venait.

Pas moins de vingt secondes plus tard, le rouquin revint comme il l'avait dit. Il enfonça la porte d'un coup de pied histoire de se faire une entrée bien théâtrale quitte à passer pour un frimeur, les bras chargés de plateaux de pains, fruits et autres fromages. Avec un sourire tout fier, il s'avança et déposa son butin sur le lit.

— Vas-y, sers-toi !

Le dandy le regarda avec un sourcil levé, clairement pas impressionné par sa petite mise en scène, avant de piocher une grappe de raisin.

— Il n'y avait pas de viande ? se lamenta-t-il quand même.

— Plus depuis longtemps.

— Je vois... Et il n'y aurait pas eu moyen de réchauffer le fromage au micro-ondes ? Je préfère quand il est fondu.

— Au microquoi ?

— ... Déprimant... Bon, ce n'est pas grave, c'est déjà bien tout ça. Merci.

Il commença donc à se sustenter tranquillement, sous l'œil attentif du divin assis en tailleur. Avoir le ventre plein le rendrait de meilleure humeur, ça allait sans dire. Après un moment, remarquant son étroite surveillance, il s'arrêta en pleine mastication et lui fit un signe de tête :

— Tu en veux ?

— Non, merci, je ne mange pas.

— Pourquoi ? Tu es au régime ? demanda-t-il dans un sourire moqueur en portant une cerise à sa bouche.

— Non, c'est juste toxique pour moi.

Lars fut tellement surpris qu'il avala brutalement le fruit sans avoir pris le temps de le mâcher. Heureusement, il était bien trop petit pour se coincer dans sa gorge, ce qui fit qu'absolument rien sur son visage n'indiquait son déroutement.

— Quoi, tu es sérieux ?

Leïv acquiesça dans un bref "hmm hmm".

— C'est une... étrange faiblesse. Et ça ne te dérange pas de la dévoiler à des inconnus, comme ça ?

— Qu'est-ce que tu pourrais bien faire ? Me nourrir à mort, avec des petits gâteaux et des pommes ?

— Ça a bien marché avec Blanche-Neige... ricana le magicien avant de pointer un morceau de fromage vers lui. Si j'étais ton ennemi, je n'aurais qu'à attendre que tu t'endormes et le tour est joué !

— Aucun risque, seule la main d'une Incarnation peut causer la perte d'une autre, et de toute façon, je ne dors pas non plus.

L'invité le sonda du regard, semblant de plus en plus intrigué par ce cours de biologie.

— ... Ça aussi, ça t'es...

—Hmm hmm. Oh, je te rassure, ce n'est pas aussi terrible que ça en a l'air ! dédramatisa Leïv dans un sourire enjoué. Je ne vais pas mourir sur le champ après avoir avalé un grain de riz ou m'être évanoui ! Mais on ne sait jamais comment notre corps réagirait ne serait-ce qu'à une seule incartade, alors nous préférons éviter de nous laisser tenter.

— Eh ben... Pour des dieux, vous ne jouissez pas de beaucoup de plaisirs. Ça doit être dur de se savoir inférieur aux humains sur un point aussi capital, le toisa Lars dans un rictus mesquin.

— J'avoue que je les jalouse un peu, mais on compense l'interdit avec ce qui nous est autorisé. C'est une habitude. Et puis, j'imagine qu'il fallait que l'Univers nous donne une contrepartie pour tout ce que nous avons déjà.

— Comme quoi ? Une cuisine tous les trois kilomètres? Une chaleur de l'enfer ? Des goûts architecturaux plus que douteux ?

— Ça, ainsi que des pouvoirs extraordinaires, une espérance de vie généreuse, l'invincibilité face aux Hommes, un corps de rêve de la naissance jusqu'à la mort...

À ce dernier mot, le sourire de Lars s'effaça et son regard s'assombrit.

— Qu'y a-t-il ?

— ... Il faut vraiment que je rentre chez moi ! s'exclama-t-il brusquement pour toute réponse.

— Oh... Oui, je comprends que te retrouver ici ne devait pas être dans tes plans, vu la véhémence avec laquelle tu agis depuis notre rencontre. Mais qu'est-ce qui presse tant ? Suis-je de si mauvaise compagnie ?

— Non... ce... ça n'a rien à voir, même si oui, tu m'énerves vraiment parfois ! répondit sèchement Lars, avant de reprendre : Mes amis ont besoin de moi... Leo...

Sa voix mourut dans sa gorge tandis qu'une lueur angoissée s'allumait de nouveau dans ses yeux.

— Leo a besoin de moi, finit-il par murmurer en baissant la tête. Il se reprit cependant bien vite et retrouva ses grands airs en ajoutant : c'est l'Univers d'où je viens qui pourrait bien se retrouver dans le Chaos si je n'y retourne pas au plus vite !

À première vue, rien ne semblait indiquer un quelconque changement d'expression sur le visage de Leïv... à l'exception de la façon dont ses iris brillaient. Dans un sens, il... il comprenait. Peut-être avaient-ils plus de points communs qu'il ne l'imaginait. Qui pouvait dire comment il réagirait s'il se retrouvait dans une autre dimension à un moment critique, alors que lui-même faisait partie des piliers de son Univers ?

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