CHAPITRE V : LEÏV - À CŒUR OUVERT (2/2)

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— Comment exactement es-tu arrivé ici ? Était-ce à travers un portail de ta création ?



— Oui, c'est moi qui l'ai ouvert... expliqua Lars en agitant une main agacée. Mais il n'était pas du tout prévu que ce soit aussi moi qui le traverse... J'ai fait une promesse, et à cause de ça, je suis incapable de la tenir pour le moment, et ça me rend malade...



Il avait l'air tout simplement mortifié en prononçant ces dernières paroles. En le voyant ainsi, le divin eut un pincement au cœur. Il repensa à ces amis, à ce Leo qu'il voulait absolument retrouver. Leïv savait ce que la perte d'un membre infligeait à un cercle aussi restreint, et que s'il existait une chance même infime d'y remédier, il serait prêt à tout pour la saisir.



— D'accord.



— D'accord quoi ?



— Je t'ai suffisamment retenu ici. Tu t'es reposé, tu as repris des forces, alors dès demain matin, je t'amènerai à mon père. Nous ferons comme si tu venais d'arriver, histoire que je n'aie pas à raconter ce qui s'est passé hier, et je me porterai garant de toi pour le convaincre de nous aider à trouver une solution.



— Demain ? Et pourquoi pas maintenant ?



Le Coureur de Lumière fit dévier son regard sur une fenêtre, laquelle brillait sous les lueurs encore rougeoyantes du soleil tombant derrière l'horizon.



— Parce que jusque là, nous serons très occupés. Nous ne pourrons pas t'accorder de notre temps.



— Ah oui ? Qu'est-ce qui pourrait bien être plus important que moi à l'heure actuelle ?



— Calme-toi donc un peu, ça n'a aucun rapport avec toi non plus. Tu n'es pas le seul à devoir sauver ton monde, le destin du mien est en jeu tous les soirs ! D'ailleurs, il faut que j'y aille, sinon je vais encore être en retard.



Remarquant l'air bougon de son invité (on ne pouvait d'ailleurs voir que ça), Leïv s'approcha de lui et posa délicatement ses mains sur ses épaules :



— Mais je te promets qu'à l'aube, je reviendrai te chercher et tu pourras rentrer chez toi. En attendant, reste ici, ne quitte surtout pas cette demeure.



— Je ne dois pas me faire remarquer, oui, je sais... marmonna Lars en croisant les bras de mécontentement.



Levant les yeux au ciel avec amusement, Leïv s'empressa de se rendre au palais de la constellation du Serpentaire où, comme d'habitude, se tint une brève assemblée réunissant les quatre mêmes personnes, faisant chacune un rapport sur l'état de leur propre domaine. Et, toujours comme d'habitude, rien d'hors de l'ordinaire n'avait été relevé. L'obscurité arriva bien vite, et les heures passèrent sous les coups et les cœurs battants à tout rompre, comme si chaque geste, chaque regard, chaque mot pouvait être le dernier au milieu de la nature mourante.



Cette nuit-là, quelque chose d'étrange se passa. Les Néanides semblaient plus résistantes, plus vives, d'un nombre anormalement élevé. Par moment, on crut distinguer de petits groupes se former, se rapprocher pour engendrer une masse nouvelle... d'apparence humaine... Mais personne n'a pu le confirmer, il faisait bien trop sombre, ou bien les membres étaient pulvérisés avant d'achever leur dessein. Même la lumière ne les atteignait pas comme la veille, et Leïv dut redoubler d'efforts pour se protéger et protéger les siens.



Quand enfin l'astre salvateur retourna au ciel, il était tellement épuisé qu'il s'effondra sur la terre décrépite. S'il avait dû continuer ne serait-ce qu'une seule minute, il n'aurait pas eu la force de rester éveillé. Le souffle court, Byka, qui se trouvait non loin de là, le rejoignit avec peine et se laissa tomber près de lui, le moindre muscle de ses jambes tremblant de manière incontrôlable.



— Qu'est ce que... Qu'est ce que c'était que... ça ? formula-t-elle péniblement dans une grimace de confusion.



— Je ne... sais pas... Peut-être que... que les Néanides nous ont envoyé... leurs grandes sœurs mécontentes...?



— Ce n'est pas le moment de plaisanter... J'ai vu Panna... Elles l'ont eue.



Leïv se redressa d'un coup sous le soudain déploiement d'adrénaline dans ses veines :



— Quoi ?? Je n'ai rien senti ! Est ce qu'elle est...



— Non, elle va bien... Mais sa guérison sera longue.



Tandis qu'elle l'aidait à se relever, l'athlétique Incarnation du Taureau le débarrassa de son écharpe, presque entièrement détruite et qui était désormais plus une gêne qu'autre chose, puis détailla rapidement son corps, à la suite de quoi une expression de dégoût vint remplacer la fatigue :



— Elles ne t'ont pas raté, toi non plus...



— Zut... C'est si moche que ça ?



— Tu veux une réponse honnête ?



— Oh, l'honnêteté, c'est surfait de nos jours...



— ... Ça te magnifie encore plus qu'une fleur à la naissance du printemps.



Alors que les dernières sphères obscures achevaient de se consumer dans un paysage noirci par la mort, les deux guerriers rejoignirent aussi vite que possible l'amphithéâtre des assemblées où se situait déjà le reste de l'élite, réunie en catastrophe au pied des marches. En voyant l'état de Panna, Leïv comprit ce que sa sœur voulait dire par "une longue guérison" : l'un de ses bras avait complètement disparu, l'autre était entamé jusqu'à l'épaule, et le vide remplaçait une partie de sa hanche et de sa jambe droite ainsi que de son abdomen.



Ses plaies ne saignaient pas malgré la chair et les os à vif, et fort heureusement pour elle, les blessures infligées par les Néanides ne provoquaient aucune douleur. Ça ne l'empêchait pas de rester blottie en silence dans les bras de Vahy qui, de son côté, n'aura à souffrir que d'omoplates dévorées à moitié et d'une radicale coupe de ses longs cheveux blonds.



Agenouillé à leurs côtés, le visage défiguré par une expression d'horreur absolue, Ophiuchus se tourna vers les derniers arrivants. Un rapide signe de tête de Byka lui fit comprendre qu'il ne fallait pas s'en faire pour elle, contrairement à Leïv.



— Mon fils ! s'écria-t-il alors en se précipitant à leur rencontre.



— Je vais bien, Père, tempéra calmement le Lion qui ne pouvait dévier son regard de la jeune femme lourdement affectée.



Le patriarche aida sa fille à l'allonger sur une marche adjacente où il pourrait l'examiner convenablement, malgré le violent écœurement que cette vision lui inspira sur le champ. D'une main tremblante, il effleura le cratère qui creusait son dos jusqu'à son cœur, dont un petit morceau était désormais visible sans sa protection osseuse. Par miracle, sa colonne vertébrale avait été en grande majorité épargnée, c'était d'une précision quasiment chirurgicale. La ou les Néanides impliquées n'ont pas agi comme de simples pantins sans âme, mais avec... intelligence. Cette pensée emplit Ophiuchus d'un effroi sans nom. S'il ne devait pas paraître digne devant ses héritiers, il laisserait libre cours aux sanglots qui ne cessaient de le harceler pour se montrer au grand jour. Après avoir affectueusement pris chacun des quatre visages exténués entre ses mains, il se recula jusqu'au centre de la pièce et inspira profondément.



— Je n'ai pas les mots pour vous dire à quel point je suis épouvanté. Cette nuit n'était pas comme les autres, le danger auquel vous avez fait face n'a de toute évidence rien à voir avec ce que vous affrontez habituellement. Nous nous doutions qu'un jour ou l'autre, ces choses évolueraient... mais de manière aussi soudaine ? Ce n'est pas normal ! Au terme de votre précédente bataille, j'ai ressenti l'émergence d'une énergie étrange. Ce fut bref, aussi ai-je cru à un tour de mon imagination... Mais à la lumière des événements, je suis désormais convaincu qu'il y a un lien avec ce qui vient d'arriver !



Lars...



Un sentiment de malaise envahit peu à peu le maître de la cinquième constellation, jusqu'à se transformer en véritable oppression implosant dans chaque partie de son corps. Toute son attention se focalisa sur les lèvres du Serpentaire, craignant d'avoir deviné la suite de son discours et priant férocement pour qu'il ait tort.



— Trois de mes enfants bien-aimés sont maintenant souffrants ; à peu de choses près, deux auraient pu mourir ! Vous avez bien sûr déjà été blessés par le passé, mais jamais à ce point. Je ne permettrai pas que cela se reproduise. Quelle que soit la source de la puissance nouvelle des Néanides, nous devons la trouver... et la détruire sans attendre !



Son sang se glaça dans ses veines, le tétanisant sur place. Pour la première fois de sa vie, il regrettait d'avoir raison. Tentant de garder son calme au maximum, il fit dériver son regard sur ses frères et sœurs, l'un après l'autre, et constata sur chaque faciès une intense détermination malgré l'épuisement apparent. Il sut alors qu'ils ne comprendraient pas. Qu'ils ne se donneraient pas le temps, ou la peine, de régler les choses comme il le fallait. S'ils apprenaient l'existence du malencontreux envahisseur, ils feraient exactement ce que leur père venait d'ordonner.



Panna détestait les humains. Vahy n'en avait pas grand-chose à faire. Byka ne partageait pas leur état d'esprit, mais Leïv renonça vite à la mettre dans la confidence : il valait mieux qu'il soit le seul au courant. Lars n'était peut-être pas un humain comme les autres, ni des plus aimables, mais il ne méritait pas de périr pour autant ! Il n'était qu'une malheureuse victime des circonstances, et qui allait avoir besoin de protection, de sa protection, il s'agissait de son devoir en tant que divinité.



Le Coureur de Lumière se releva, se dirigeant avec hâte vers la sortie, lorsque la voix de Panna l'arrêta :



— Où vas-tu donc comme ça ? Reste là, je dois te guérir !



— Tu es en plus piteux état que moi, je peux attendre.



— Ce n'est pas moi qui ai le cœur à découvert ! protesta la jeune femme sur un ton inquiet.



Dans un léger soupir, il s'en retourna auprès d'elle et s'assit à ses côtés, puis posa sa main sur l'épaule encore valide :



— Ta sollicitude me touche, ma sœur, mais il faut d'abord que tu prennes soin de toi. Toi seule a le pouvoir de nous soigner, ce serait dommage qu'on te perde juste parce que tu voulais nous sauver d'abord.



Sans attendre sa réponse, il quitta enfin les lieux pour aller rejoindre son portail, et une fois celui-ci traversé, il s'élança à la vitesse du son jusqu'au sommet de l'Arbre d'Or. Après avoir ouvert les portes de sa chambre, tout haletant, il s'empara d'une courte tapisserie sur le mur le plus proche et l'enroula autour de son corps. Il n'avait même pas la force de prêter attention au fait que Lars était torse nu et s'exerçait à la télékinésie sur ses affaires.



— Eh bien, je ne te pensais pas aussi pudique ! ricana ce dernier en levant un sourcil amusé. Bon, ça veut dire que je peux y aller, maintenant ?



— Changement de plan... Il est... hors de question... que tu rencontres mon père... ou un seul autre membre de ma famille...

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