18.

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Les yeux injectés de sang, Nikita tire sur les liens qui enserrent solidement ses poignets. Les menottes en argent lui cisaillent la peau en plus de la brûler, mais il continue. Il voit l’homme cagoulé de noir près de son frère, allongé sur la table d’autopsie. Il se rappelle de la seringue. Il se rappelle de la douleur. Un son rauque monte du fond de sa gorge quand il voit Gabriel se cabrer, la colonne vertébrale en angle droit. Il ne crie pas. C’est pire, car aucun son ne couvre celui des muscles qui se déchirent lorsque Gabriel entame sa première métamorphose.

***

Le Collectionneur n'en croyait pas ses yeux, mais la preuve était bien réelle, affichée sur son écran d'ordinateur. C'était lui ! Ce maudit loup ! Et qu'est ce qu'il avait grandi depuis la dernière fois... Mais son pelage était resté le même : un corps couvert d'une époustoufflante robe blond-doré aux reflets roux, contrastée de noir sur la queue et les pattes. Même en abhorrant ces monstres du plus profond de son être, il ne pouvait nier la beauté puissante du fauve. Vite, il devait faire vite. Il griffonna les coordonnées GPS des différentes caméras filmant la bête en direct, imaginant dans quelle direction celle-ci se dirigeait afin d'anticiper l'endroit où il viendrait l'accueillir à grands coups de fusil. Il sortit de son bureau en toute hâte, grimpa dans son pick-up et fonça.

Aurore profitait du vent dans son pelage. Elle avait appris à dissocier les odeurs portées par la brise. Bien sûr, il fallait pour ça qu'elle se concentre et c'était épuisant, mais elle gérait de mieux en mieux ses capacités. Elle avait de plus remarqué qu'elle pouvait se transformer même si la lune n'était pas pleine, ce qui était d'ailleurs le cas d'aujourd'hui. Ces transformations "hors-cycle", comme elle avait commencé à les nommer, étaient moins douloureuses, car elle pouvait y aller à son rythme, elle n'était pas soumise aux pouvoirs de la lune. De nouveau humaine, elle se souvenait de tout et s'était familiarisée avec sa louve, dominant sa faim et son envie de tuer. La hantise de faire du mal à des innocents dans une pulsion animale meurtrière c'était estompée au fur et à mesure qu'elle maîtrisait ses pouvoirs et ses souvenirs. Considérant son entraînement lycanthrope du jour terminé, elle entama sa métamorphose, délogeant le papillon bleu posé sur sa truffe.

L'homme assistait avec haine et fascination au changement du loup, mais resta stupéfait devant la jeune fille athlétique qui apparaissait petit à petit, entre fractures d'os et déchirements sonores de muscles. Une fois sur ses deux jambes elle parut déboussolée, comme prise de tournis. L'homme détourna le regard un instant, prenant conscience qu'il allait faire du mal à cet être humain. Elle n'a rien d'humain ! C'est un monstre ! Ne te laisse pas amadouer par cette apparente faiblesse ou elle te brisera le crâne d'un coup de mâchoire sans une once de remords ! Il décida d'écouter cette voix mentale, grinçante et impérieuse. Pourtant, il avait un préssentiment... Il eut soudain une idée. Il sourit, encore une fois satisfait de son propre génie. Cela ne faisait pas de mal de changer de méthode de temps en temps.

« Bonjour... ».

Aurore poussa un cri de surprise, cachant sa poitrine nue d'un geste rapide. Un homme venait de sortir de derrière les arbres et qui sait de quoi il avait pu être témoin ! Les pensées fusaient dans son esprit : le tuer ? Non, il n'avait peut-être rien vu... Et puis elle n'était pas une meurtrière... Enfin, pas d'humains en tout cas... Pas pour l'instant ! rectifia une voix profonde et moqueuse dans son esprit qu'elle fit taire aussitôt.

« Ecoute... Je t'en prie n'aie pas peur, je ne te veux pas de mal, bien au contraire. Enfile donc des habits, j'ai à te parler. Je sais ce que tu es, louve. »

Plus de doute possible, elle était découverte. Elle scruta les yeux vairons de son interlocuteur, ils étaient doux, bien que l'oeil bleu acier lui glaça le dos quand elle s'attarda trop dessus. En dépit de son allure peu avenante, elle baissa sa garde, et toute pudeur oubliée s'habilla devant lui.

« Et qu'est ce que je suis donc, d'après vous, Monsieur... ? déclara-t-elle une fois présentable, quoiqu'un peu ébourrifée.

- Rossi, Giuseppe Rossi. Et tu es ? Je me permets de te tutoyer car nous sommes pareils toi et moi. »

Le coeur d'Aurore s'arrêta net. Pareils ? Ce Giuseppe en habit de chasseur serait lui aussi un loup garou ? Impossible!

« Prouve le moi! » tonna-t-elle, ignorant sa question. L'homme paru gêné, limite honteux. Il se racla la gorge et dit d'une voix penaude :

« J'aimerais bien, mais vois-tu, je ne suis pas exactement comme toi. J'ai été mordu il y a quelques années de ça, alors que toi...

- Moi quoi ? Accouche à la fin ! » Cet homme lui faisait perdre patience, elle qui d'habitude était si calme.

« Toi, tu es une sang-pur, une lycanthe née ! s'exclama-t-il, de l'admiration dans les yeux. Et une alpha de surcroît !

- Attends, attends. Une lycanthe née ? Ca veut dire quoi ça ? Et comment tu sais que je suis une alpha ? Faut une meute pour ça, non ? »

Aurore avait les larmes aux yeux par ce trop plein d'émotions. Elle était soulagée d'avoir un interlocuteur visiblement à même de répondre à ses questions, mais elle était terrifiée des éventuelles réponses. Cet individu commençait à lui faire peur parce qu'il attestait de la réalité de sa nature. Une fois qu'il aurait parlé, il n'y aurait plus de marche arrière possible, elle serait obligée d'accepter ce qu'elle est car une autre personne qu'elle même serait au courant de son secret.

« Une lycanthe née, ça veut dire que personne ne t'a mordu, tu es née loup-garou. La différence est simple entre les sangs purs et les dommages collatéraux comme moi : tes pouvoirs sont bien plus puissants que les miens et parmis eux, tu as la capacité de te transformer même en dehors des périodes de pleine lune, ce dont je suis incapable. Tu me demandes une preuve que je suis comme toi mais je suis dans l'impossibilité de me métamorphoser à ma guise... Je suis prisonnier des effets de la lune, je tue des gens quand je suis loup et le monstre en moi s'en délecte. Toi... C'est différent, tu peux te soustraire de cette emprise par ta simple force de volonté. Parce que oui, tu es une alpha et ça se ressent dans ton aura. Nous autres loups, on sait ces choses là, c'est dans nos veines. C'est peut être difficile à croire, mais comment pourrais-je être au courant de tout ça si je n'était pas un lycan moi-même, hein ? »

Cette tirade finit de convaincre Aurore et ôta un poids colossal de ses épaules. Elle n'était finalement pas un danger pour les autres !

« Je me suis sentie si seule... Je n'avais personne à qui parler, sanglota-t-elle.

- Ne t'inquiète pas, je suis là maintenant et je vais t'aider. D'ailleurs, on va commencer tout de suite, qu'en penses-tu ?»

A ces mots il sortit une fiole d'un liquide jaunâtre et la but d'un trait.

« Mais... Qu'est-ce que tu fais ? C'était quoi ça ?? paniqua Aurore.

- Ca ? c'est encore un truc dont les sang-purs n'ont pas besoin de se soucier. Ca décuple les capacités cognitives et ça permet de parler par télépathie aux autres lycans. Comme je suis un loup solitaire, je n'ai pas de liens de meute, alors pour utiliser la télépathie je suis obligé de boire ça. C'est répugnant d'ailleurs... expliqua-t-il avec cynisme, en avalant une fiole d'un autre liquide, visiblement meilleur.

- La télépathie ? Les liens de meute ? Je comprends rien...

- Attends... Ne me dis pas que tu ne sais pas communiquer mentalement avec les êtres vivants qui t'entourent ! s'étonna-t-il dans un rire. Une louve de sang pur incapable d'utiliser son don, on aura tout vu ! continua-t-il, pris dans son hilarité. Aller, fais pas cette tête, Miss, je te taquine ! Tiens, j'en ai une deuxième, t'as qu'à la boire et on éveillera ensemble ton potentiel psychique ! »

Il eu du mal à prononcer ce dernier mot, animé par un autre fou rire incontrôlable. Vexée, Aurore attrapa la fiole et la but cul-sec. Elle eut d'un seul coup des sensations de vertige, avant de s'effondrer sur le sol. Sa vision se troubla et ce fut le noir complet.

« Aconit tue-loup, on peut toujours compter sur toi. » déclara froidement l'homme, retrouvant à la fois son sérieux et son regard de prédateur fou.

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