Prologue : Naissance

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« La maison Zhaleh régnait depuis deux décennies sur Ismahen et apportait au royaume une stabilité respectable malgré la guerre contre les Dragan qui troublait encore les provinces septentrionales. Sahin Ier gouvernait d’une main de fer, mais savait se montrer juste et honorable quand il le devait. Les prêtres voyaient en lui un élu du dieu Rhiam. Mais leur opinion si optimiste sur leur roi changea quand son épouse donna naissance à une fille. »

Chroniques d’Ismahen (Livre du Lion)

Année 537 – Frontière Nord d’Ismahen

De violentes bourrasques soufflaient sur la vallée fluviale située entre de hautes montagnes aux sommets enneigés.

Sahin Zhaleh, Lion-sur-Terre d’Ismahen, observait les tentes qui occupaient l’autre berge du Thal. Son regard se perdait sur les étendards dragan qui ondulaient dans les rafales glaciales. Ces démons du nord étaient descendus bien loin au sud, cette fois. Ils avaient trouvé le courage de franchir les cols les plus hauts et les combes les plus escarpées. Ils étaient déterminés. Sahin ne pouvait que saluer cette vaillance. Les Monts-Nuages étaient réputés infranchissables pendant les longs mois d’hiver. Les passes entre les sommets demeuraient rares et restaient étroitement surveillées par les patrouilles d’élite d’Özkan.

Une rafale particulièrement violente tira un frisson au souverain. Frigorifié, Sahin se frotta les mains l’une contre l’autre pour chercher un peu de chaleur.

Le roi était pourtant un homme de constitution solide : robuste, il possédait une allure fière et guerrière, embellie par sa barbe fournie et sa chevelure noire rejetée en arrière. Il portait sur les épaules une cape doublée de fourrure, ainsi qu’un surcot en cuir et un gorgerin frappé de son emblème : un lion cabré. Autour de Sahin, quatre gardes surveillaient les alentours. Sur leur lance se tordait l’oriflamme aux couleurs rouge et or.

Les yeux du souverain contemplèrent les sommets des Monts-Nuages, frontière septentrionale de son immense royaume. Les troupes ennemies les avaient traversés et avaient installé leur campement trop proche du fleuve à son goût. Il avait donc quitté la chaleur et la sécurité que lui offrait sa capitale, Ilmaz, située à quatre cents lieues au Sud. Il appréciait depuis toujours le soleil et les petits plats estivaux. D’où son teint de peau, bien trop basané pour appartenir à un natif de ces terres du nord.

Sahin était issu d’une longue et pure lignée hisham, le Peuple du Désert, et cela constituait sa plus grande fierté. La maison Zhaleh jouissait d’une solide réputation au sein de son peuple, malgré quelques rumeurs étranges qui circulaient encore au sujet de Mithra Zhaleh, la première Lionne-sur-Terre, cinq-cents ans après sa mort.

Un autre homme le rejoignit. Il lui ressemblait beaucoup : même carrure, même cheveux corbeaux et même yeux marron. En revanche, sa peau, bien que halée, restait plus pâle, comme s’il n’avait pas vu le soleil méridional depuis longtemps.

— Je te remercie d’avoir fait le déplacement, mon frère, entama le nouveau-venu en se plaçant à sa droite. La situation me préoccupe.

— Avec raison, approuva le roi. Leur campement est installé à cent toises des rives du Thal. Quand le vent se calmera, il faudra envoyer un messager. Nous devons connaître leurs intentions, Arman. Ils sont sur nos terres et n’y ont pas été invités.

— Le vent ne se calmera pas, Sahin. Nous ne sommes pas à Ilmaz. Ici, c’est le Nord. Le vent fait ce qu’il veut. Nous ne contrôlons rien. Et nos ennemis viennent d’un pays au-delà des Monts Nuages. Il faut les renvoyer chez eux avant les Longues Gelées. Sinon, ils auront l’avantage sur nos armées et gagneront la guerre.

Sahin frémit et s’engonça dans sa grande cape.

— Tu es resté blotti dans le sud trop longtemps, se moqua gentiment Arman.

— Probablement, sourit Sahin. Mais nous sommes des Zhaleh. Nous ne sommes pas faits pour habiter aussi loin dans le nord.

Les deux frères furent interrompus par un héraut qui arrivait en courant, le souffle court. Il s’inclina avec respect devant le roi avant de bredouiller, entre deux respirations rauques :

— Votre… Altesse ! La reine… va accoucher !

Le souverain sentit l’excitation le gagner. Son rythme cardiaque s’accéléra et il décida d’aller retrouver son épouse, restée à l’abri derrière les murs d’Özkan.

Vite, il remercia le jeune garçon, tapota l’épaule de son cadet et se hâta de rejoindre son destrier, tenu plus loin par son écuyer. Il l’enfourcha d’un geste adroit et talonna ses flancs pour le diriger vers le sud-ouest. Sa garde royale le suivit de près. En tout, quatorze cavaliers fonçaient à bride abattue vers les remparts de la ville suzeraine du Nord.

En chemin, le roi songea à son futur enfant. Il se réjouissait d’avoir déjà deux fils, de six et quatre ans, mais espérait secrètement devenir le père d’une petite fille.

Hélas, les chances étaient minces.

Dans sa famille, pour une raison obscure, seuls des garçons voyaient le jour.

Cela ne s’était plus produit depuis cinq cents ans. Depuis que Mithra Zhaleh, la Reine Rouge, s’était emparée de la Couronne de Rubis pour unifier les royaumes ennemis qui pullulaient sur le continent. A cette sombre époque, guerres et famines se succédaient sans parvenir à s’apaiser. Les bardes aimaient affirmer que Mithra en avait eu assez de cela. Elle avait pris les armes, monté une armée et vaincu un à un ses rivaux. Dès lors, tous les rois d’Ismahen choisis par le dieu Rhiam, les Lions-sur-Terre, devaient coiffer cette couronne divine qui apportait, selon d’anciennes légendes, gloire, puissance et pouvoirs magiques.

Sahin pressa sa monture. Autour de lui, les champs du nord se couvraient de neige et l’herbe disparaissait peu à peu. Quelques bosquets composés de conifères décoraient les alentours.

En chemin, ils ne croisèrent que des paysans qui se hâtaient de gagner la ville. L’ordre d’évacuer les hameaux les plus proches n’avait pas encore été donné mais certains fuyaient déjà vers Özkan afin de se protéger de l’éventuelle invasion dragan.

La route bifurqua vers la gauche, contourna un bois situé au sommet d’un tertre et finit par dévoiler les contours d’une puissante cité, blottie derrière d’épaisses murailles ocre. Le fleuve coulait à travers la ville et se jetait dans le fjord par une belle et haute cascade.

Les cavaliers arrivèrent en trombe sur le pont de pierres, seul accès aux portes d’Özkan depuis le nord, et firent sursauter les passants qui le traversaient.

— Faites place au roi ! beugla l’homme de tête.

La troupe continua. Quelques minutes plus tard, ils pénétraient dans la ville et remontèrent la Grand-Rue pour tomber sur la demeure seigneuriale.

Parvenu dans la cour où trônait un chêne centenaire, le monarque arrêta son destrier et mit pied à terre. Il courut ensuite sous le chemin aux arcades qui permettait d’accéder à la tour où il logeait avec sa femme. Il monta les escaliers en colimaçon le plus rapidement possible et déboucha dans un couloir enténébré, où la lumière perçait depuis les meurtrières. Il se hâta de se rendre au fond du couloir, d’où il entendait des cris de douleur.

Ces cris, il les connaissait, pour les avoir déjà entendus deux fois.

C’étaient ceux de son épouse, qui donnait naissance à leur troisième enfant.

Son cœur se mit à battre la chamade.

Vite, il poussa la porte de bois et entra dans la chambre.

Sur le lit, la reine était allongée, entourée par trois femmes et un unique homme, le Sahir. Ses cheveux sombres étaient humides et son front brillait à cause de la transpiration. Elle respirait fort, mais ne criait plus.

À la place, les gémissements d’un nouveau-né se firent entendre.

Le Sahir se retourna et remarqua alors la présence du roi.

— Majesté, s’inclina-t-il.

Une sage-femme tenait son enfant dans ses bras et l’enveloppait dans un linge blanc. Le petit braillait à plein poumons, la tête encore mouillée du liquide amniotique. Ses cheveux étaient aussi noirs que la nuit, similaires à ceux de son père. Sa peau était pâle et toute fripée.

Ému jusqu’aux larmes, le roi s’avança lentement.

— Messire, j’ai le plaisir de vous annoncer que vous venez d’avoir une fille.

Tremblant, Sahin tourna ses yeux humides vers le Sahin. Il n’osait le croire. La sage-femme lui présenta le nouveau-né. Il souleva le drap pour vérifier le sexe du bébé et constata que c’était vrai. Une fille dans la famille ! Il en était si heureux ! Il prit doucement son enfant dans ses bras et s’approcha de son épouse. Il s’assit délicatement sur le lit. Sa femme, Rimah Nhour, se servit de ses bras pour se redresser, un sourire aux lèvres.

— Ma douce reine, murmura-t-il en souriant. Comment veux-tu la nommer ?

— Comme ta mère… Sahar.

Le ton de sa voix ne montra aucune hésitation. Rimah n’hésitait jamais.

— Alors, ce sera Sahar. Puisse Rhiam bénir ce nom afin qu’il lui apporte chance et bonheur.

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