Pêche

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Après une semaine de tentatives d’analyse comportementale plus ou moins fructueuses, Ada se renforce dans l'idée de devenir psychologue, chaque jour un peu plus, tant elle y prend un intense plaisir. Elle en aurait presque oublié ses révisions, sachant que les épreuves débutent dans quinze jours. Elle s’y attèle à présent, pendant tout son temps libre. Le bachotage emplit désormais les belles journées de printemps.

La tête plongée dans ses bouquins, allongée sur le lit, Thérèse s’invite dans la chambre de l’adolescente :

  • Allez il fait beau dehors ce matin, viens avec nous, on va à la pêche, tu réviseras cet après-midi !
  • Non je suis en retard. Et il me faut le bac pour rentrer à la fac.
  • Ça suffit, tu dois t’aérer si tu veux retenir ce que tu lis jeune fille. Écoute-moi. Allez, viens. Lucas est prêt.

A l’écoute de ce prénom magique, Ada attrape des papillons dans le ventre.

  • Ok. Je me prépare et j’arrive.

Thérèse redescend l’escalier, heureuse de son subterfuge de grand-mère rusée.

La jeune fille ouvre les tiroirs de la commode à la recherche du Graal. Elle tente un débardeur ultra-échancré qui boudine ses formes à présent généreuses. Non, trop vulgaire. Une chemise large fera l’affaire avec les premiers boutons dégrafés. Elle s’observe dans le miroir prenant une pose suggestive. Oui, parfait. Elle enfile son short long fabriqué dans un vieux jeans découpé et les sandalettes oubliées par une randonneuse de passage. Elle n’a plus de maquillage. Zut. Tout jeté dans un élan impulsif anti-consumériste. Dommage. Elle s’asperge le visage, se pince les joues.

  • Ada, dépêche toi on t’attend !

Thérèse hurle au rez de chaussée.

Ada dévale l’escalier, manque la dernière marche et trébuche maladroitement devant eux pour se rattraper, rouge de honte.

  • Salut, c’est cool que tu viennes avec nous.

Elle ne sait où se mettre lorsqu’il s’approche pour l ‘embrasser sur la joue. A la fin de ce baiser furtif, elle replace sa mèche qui n’existe plus.

Ils montent tous dans le C15 du jeune homme, à l’assaut des chemins caillouteux.

Le mois de Juin est bien là avec pléthore de fleurs sauvages : œillets parme, achillée mille-feuilles aux parapluies blancs, angéliques rosées, genêts ors, pâquerettes et pissenlits esquissent une aquarelle des plus ravissante.

Ce feu d’artifice coloré sur fond vert explose dans le cœur de la jeune fille, émue par la beauté du paysage ainsi dessiné.

Pour accéder au ruisseau, ils doivent crapahuter plusieurs minutes en pleine forêt. Aucun sentier pour parvenir au meilleur poste sur la berge. La descente abrupte fait glisser les orteils hors des sandales, elle s’agrippe aux branches moussues et manque de s’étaler plusieurs fois, mal à l’aise dans ce tumulte verdoyant, où Thérèse et Lucas détalent eux, comme des cabris, plus aguerris aux ballades hors-piste.

Les genoux lacérés de ronces, elle arrive enfin sur la berge, hors d’haleine. Le décor est idyllique, le sable fin sous ses pieds, face à un trou d’eau turquoise et une petite cascade aux remous argentés, elle respire le bien-être de ce paradis, enfoui au plus profond du bois. Magnifique. Un vrai trésor.

Elle s’installe sur la plage, son sweat en guise de serviette, s’assoit, et après quelques instants à les observer s’activer à ses côtés, la quiétude des lieux l’enroule de ses bras tendres et elle s’enfonce dans une méditation reposante.

Lucas, les deux pieds dans la rivière, lance sa canne régulièrement, dans sa tenue kaki en symbiose avec les éléments, seuls ses cheveux dorés reflètent le soleil. Thérèse vagabonde, elle, sur les rochers polis, à la recherche d’écrevisses d’eau douce. La vieille femme joue avec la vie quoiqu’il arrive, trouvant n ‘importe quel prétexte pour s’amuser.

Ada les observe. Ils sont beaux. En harmonie avec cette nature. Dans leur univers.

Son regard s’attarde soudain sur un mouvement dans le sable, à moins d’un mètre.

  • AHHH ! Elle crie avant de se lever et se précipiter bruyamment dans l’eau glacée pour fuir son agresseur.

Lucas se retourne, il regarde la berge et sourit :

  • Ce n'est rien, c’est un serpent, une couleuvre d’eau, tu lui as juste volé son spot de bronzage. Maintenant arrête un peu de t’agiter, tu fais peur aux truites.

Son regard, mi-apeuré, mi-vexé, déshabille le jeune homme.

  • Héhé tu viens de la ville non ? Dit-il tout en continuant de pêcher.
  • Oui, Paris.
  • C’est pour ça.
  • Mais je n’aime pas, je préfère ici. La campagne.

Il se retourne et lui fait un clin d’œil.

Ada fond devant ses yeux verts. Son cœur en guimauve devant ce jeune pêcheur simple qu’elle aurait quelques mois auparavant violemment insulté pour de tels préjugés.

Elle retourne à sa serviette et la matinée se passe dans un silence paisible entrecoupé de chants d’oiseaux et de bruissement d’eau.

Le midi, attablés tous les trois devant les truites fraîchement pêchées, Thérèse revient sur le tapis :

  • Tu vois Ada, les gens c’est comme les poissons, tu lances une perche et si ça mord, tu tires, sinon tu les laisses replonger dans le courant. C’est comme ça que ça marche.
  • J’aime bien, avec toi, tout est simple, tante Thérèse, ajoute Lucas.
  • Oui tellement simple... Soupire Ada songeuse.

Des matins comme celui-ci, Ada voudrait en vivre toute sa vie. Mais la vie n’est pas toujours si simple. Et les difficultés surviennent souvent lorsque l’on s’y attend le moins.

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