Pause

3 minutes de lecture

Elle tourne en rond dans la chambre désuète. Sans ses jeux vidéos, comment va-t-elle bien pouvoir se distraire ici toute la soirée ? Cogiter, regarder les araignées au plafond, compter le nombre de fleurs sur la tapisserie, chercher les moutons sous le lit, attendre que les pages internet daignent se charger… Galère. Une de plus. Bien décidée à s’échapper de sa geôle, elle renfile son manteau, dévale l’escalier, esquive le chat lui barrant le passage et s’engouffre dans l’obscurité. Le noir de la nuit l’inonde, l’enveloppe, rendant les lieux impossibles à discerner. La neige s’est arrêtée. Elle allume sa torche virtuelle et descend prudemment le sentier qui mène au village. Direction le bar.

Sur place, la foule ne se bouscule pas. Quelques habitués, piliers dirait-on, maintiennent l'établissement à flot. Elle pousse la porte vitrée du bistrot et s'installe sur une banquette en skaï trouée par endroits. Machinalement elle jette un œil à son portable, une seule barre, ici aussi. La pop dépassée en bruit de fond ne parvient à la décoller de son ennui. Le radar de la jeune fille scanne la pièce : le carrelage poisseux, les bouteilles entassées derrière le comptoir, un baby-foot et un juke-box éteint viennent compléter cette ambiance périmée des années 80. Le serveur passe prendre sa commande. Au bar, trois jeunes accoudés. Un des gars lui tape dans l’œil. De dos, le corps musclé, les épaules larges, la tignasse châtain clair, un marin échoué en pleine campagne ? Son pull marinière dénote avec les tenues de ses compères, plus couleurs locales. A part ça, rien de croustillant. Son demi est servi. Elle perçoit leur conversation :

― Si j’te jure, ils étaient tous entassés dans le wagon comme dans un clapier à lapins, pendant deux heures, j’te dis !

Éclats de rire bruts, presque brutaux.

Le barman la scrute, elle l’ignore, mais sent les regards de la bande tournés vers elle à présent. Dans sa gorge, la bière a du mal à passer. Elles les entend plaisanter, le mot schtroumpfette est lancé. Sa mèche bleue attire toujours les regards, certes, mais de là à se moquer, quelle attitude de ploucs. À Paris, seuls les vieux sont choqués parfois, et au Japon chez sa mère, elle passait même totalement inaperçue, tant l’excentricité y est acceptée. Ada déteste par dessus tout laisser indifférent, être Lambda, Monsieur ou Madame Nobody. Savoir se démarquer est un art ; parfois dangereux. Leur réaction primitive la blesse. Elle torpille son verre, laisse un billet et file avant de s'énerver. Bande de cons. Elle frôle l'éruption. Un mélange de colère et de tristesse envenime son sang. Dehors, l'atmosphère glacée la saisit, une bouffée gelée dans ses poumons, puis enfin le calme revient.

A travers le bourg toujours désert, pas une âme, pas un chat, juste la nuit, le silence et la paix. L’air sec, l’herbe rase givrée, accompagnent sa remontée feutrée. Le vent retombé dévoile alors un ciel étoilé, pétillant, où la voie lactée apparaît. Jamais elle n’avait observée celle-ci avec tant d’acuité, sans pollution, bouleversant. Perdue dans l’univers infini, submergée par cet abîme, elle s’oublie dans les étoiles, tout disparaît dans cet instant d’éternité, ce moment magique.

Hululement de chouette. Frissons. Elle reprend ses esprits. Le perron du gîte, encore éclairé, la guide sur le chemin du retour. Le chat à son poste, sur le muret, sous le lilas, semble l’attendre.

La porte est verrouillée, elle toque.

― C’est pas trop tôt... Montez en silence s’il vous plaît, tout le monde est couché à cette heure. Bonne nuit mademoiselle.

La vieille veille au grain. Ada rejoint sa chambre, les lumières s'éteignent. Volets laissés ouverts pour admirer encore les lueurs de lune, sous l'édredon lourd, le sommeil l’emporte, à l’arrachée.

Réveillée en sueur par des bruits de canalisation, elle jette un œil à son portable : 7h35. Soupir de soulagement. Des marcheurs plaisantent déjà en bas, de bonne humeur. Des années qu'elle n'a pas dormi si bien, à l'abri, comme dans un rêve. L'aube apparaît derrière la cime des arbres au loin, l'orangé baigne la pièce, le soleil se dévoile dans un bâillement, elle s'étire au milieu d'un tapis de fleurs roses. Sourire ironique. L'odeur du pain chaud se faufilant à travers les lattes, finit de la raviver.

Quelqu'un frappe à sa porte.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire bylud ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0