Imprévu

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Qui peut bien oser la déranger à une heure pareille ? Vraiment aucun respect, et si elle dormait... Elle tire sur le drap, préférant faire la sourde oreille. Grincement du sommier à ressorts. On frappe de nouveau. L’inconnu a dû l’entendre bouger. Après un grognement et un juron, elle enfile son sweat à capuche avant d’ouvrir, bien décidée à en découdre avec ce malotru. Face à face avec le marin d’hier au bar. Un visage buriné, une mèche frisée sur le front, des yeux clairs, décidément intrigant. Pas spécialement beau, mais intrigant. Sa grosse main de paysan lui tend son foulard à tête de mort, oublié la veille dans la salle commune. Apparemment pas au goût de la propriétaire, et lui file un coup de main en cas d’affluence. L’échange est bref. Ada esquisse un merci du bout des lèvres avant de refermer la porte avec précipitation. Elle rumine son agacement. Ni excuses, ni ménagement ; décidément, ces ruraux n’ont aucun savoir vivre.

Après sa douche, elle se retrouve seule dans la grande salle pour le petit déjeuner, les randonneurs étant déjà partis pour leur étape du jour. Dans le silence des lieux, à l’abri des curieux, absorbée par la magie des photographies, elle note quelques pensées sur son portable :

Adaptation forcée à l'univers d'Aumont-Aubrac. Pause salutaire. Un pas de côté. La vie est différente vue d’ici. Comment trouver ma place dans ce monde de merde ?

A neuf heures et demi, elle boucle son sac et descend demander la note. Personne derrière le comptoir, la cuisine est vide, la salle nettoyée. Même pas de chat blanc à l’horizon. Ada tente un : « Il y a quelqu'un? » qui reste sans écho. Elle remarque enfin un papier jaune sur le comptoir.

« Bonjour jeune fille, veuillez laisser quarante euros pour la demi-pension, j'espère que vous vous êtes bien reposée. Bon chemin à vous ! Thérèse. »

Déguerpir en vitesse, ni vu ni connu ? Tentée par cette option, Ada vérifie que la voie est libre, avant d’y succomber sans trop de culpabilité. Après tout, elle ne remettra plus jamais les pieds ici. Dans la fraîcheur matinale, elle descend la colline en admirant la vue, et presse le pas devant le bar, souvenir de son humiliation. Avant d’arriver à la gare, un tracteur lui coupe la route à toute berzingue, ne s'arrêtant pas au passage piéton, enfonçant le clou de ses certitudes. Pays d'arriérés.

Sur le quai, casquette bleu est à son poste, il attend on ne sait quoi, la pluie peut-être songe-t-elle d'humeur mutine.

― Bonjour Mademoiselle, je suis désolé mais les équipes d’intervention n’ont toujours pas réussi à dégager les voies, les trains ne circuleront donc pas non plus aujourd'hui.

Ada, éberluée par cette nouvelle, rétorque:

― Hors de question que je passe un jour de plus dans ce trou à rat. Trouvez-moi un taxi.

― Les taxis du coin sont réquisitionnés pour les urgences. Pour trouver une solution il faudrait que vous puissiez vous rendre au dépôt à Saint-Chély d'Apcher. Là-bas, ils sauront quoi faire.

― C'est loin ? Vous ne pouvez pas les appeler ?

― Trois heures de marche, quinze minutes en voiture. Et je ne suis pas une nounou moi, c'est vous qui avez décidé de ne pas prendre le bus hier. Assumez maintenant.

L'employé décampe aussitôt dans sa tanière auprès de son chef .

Elle accuse le coup. Piquée au vif dans son orgueil. Elle se frotte la tête des deux mains. Une seule idée en tête : partir d'ici. Fuir ce village d'abrutis, retrouver sa sœur. Se débrouiller toute seule, comme toujours, vu qu’on ne peut compter sur personne. Elle décide finalement de remonter acheter un plan au centre-ville où elle avait remarqué un magasin de randonnée. La boutique sent le renfermé mais c'est une vraie caverne d'Alibaba. Après un tour rapide, elle trouve le coin des cartes. Quinze euros le sésame, c'est cher payé, même pour s'évader.

Elle repère le trajet à parcourir, le photographie avec son portable. Prendre le GR de Pays sur trois kilomètres puis bifurquer à droite et suivre les sentiers jusqu'à Saint-Chély : douze kilomètres en tout, cela devrait être réalisable.

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