ch. 2 - premier croissant

4 minutes de lecture
  • Artémis, viens par-là, lance Luna, quelques mètres plus loin.

Ils ont facilement trouvé le campement où se rassemblent les hors-normes, les rejets de la société, les inadaptés. Le soleil incandescent a laissé place à la pénombre frissonnante. Tant mieux, pense Artémis. Son cou est déjà rougi par la brûlure du jour. Ses bras tatoués ont été épargnés par son chandail à manches longues, étouffement diurne dont il est maintenant reconnaissant. Quelques mètres plus loin, la silhouette de Luna se dessine contre la masse sombre d'un monstre de de métal. Près du campement s'accumulent les débris du capitalisme, ferraillerie improvisée. Une jante de roue, une porte de four, une tondeuse sans moteur.

  • Regarde ce que j'ai trouvé, continue l'adolescente.

Elle pointe ce qu'il reste d'un hélicoptère. Le cockpit, seulement le cockpit. Plus d'hélices pour s'envoler, la queue tordue, le train d'atterrissage arraché.

  • On dirait un vieil hélico militaire, commente Artémis.
  • On dirait notre prochaine maison.

Artémis observe Luna, plus lumineuse que les étoiles. La lueur d'un feu distant joue dans les couleurs vives de sa chevelure, véritable aurore boréale vivante. Il hoche la tête, prêt à accepter toutes ses lubies si ça veut dire être avec elle. Luna tente d'ouvrir la porte du cockpit mais le métal refuse de bouger. Artémis tente à son tour, grognant sous l'effort. Son égo de presqu'homme un peu froissé, il se dirige vers le campement.

  • Bouge pas, je reviens.

Luna rigole tendrement. Elle pose son nez contre la vitre du véhicule, tentant de percer le voile de la fenêtre féraflée par le sable. C'est pas grand, mais ça ira. Luna, elle n'a pas besoin de beaucoup de place pour son corps et ses rêves. Elle se fera toute petite pour ne pas encombrer Artémis.

Ce dernier revient avec entre ses phalanges un pied-de-biche qui a connu de meilleurs jours. Artémis force la porte et une poussière astrale s'échappe du cockpit. Luna se colle à son flanc, pressant son nez contre le col de son t-shirt, avant de se jeter dans les trois mètres carrés d'abysse. Artémis ne dit rien, la barre de métal glacée entre ses doigts. Il a emprunté l'outil à un type qui a une tête à croire aux extra-terrestres. L'adolescent le lui rapportera demain. Il devrait dire à Luna d'être prudente. Qui sait ce que contient cette capsule temporelle. Peut-être que l'endroit a été adopté par un serpent ou que le pilote de l'accident y est encore présent ? Luna pousse vers l'extérieur des poignées de sable, comme le temps déjà passé d'un sablier abandonné. Une fois sa tâche achevée, elle lève deux prunelles claires vers Artémis.

  • On a qu'à étendre nos couvertures à l'intérieur, on pourra s'installer demain, propose Luna.
  • Attends, j'ai emmené un truc pour toi. Tiens, je sais que tu ne peux pas dormir sans.

Elle tend la main pour recevoir une poignée d'étoiles de plastiques autocollantes, celles qui ornaient le plafond de sa chambre.

  • Oh, Artémis, répond Luna, ses yeux embués de sentiments. Merci, merci.
  • Ce n'est rien, va les accrocher.

Il regarde sa belle illuminer l'intérieur de leur bulle d'acier. Demain, Artémis posera un verrou, fera l'inventaire de ce ont ils auront besoin, arpentera le campement pour se familiariser avec les lieux, mais ce soir, il se contente d'emporter leurs deux sacs à dos et les galons d'eau à l'intérieur. Elle rayonne dans la lueur fluorescente, sa Luna. Il a le coeur en bordel de pouvoir la regarder maintenat comme bon lui semble. Personne pour juger, quand elle vient se nicher au creux de son épaule. Personne pour gueuler, quand elle l'embrasse sur les lèvres.

  • Tu crois qu'ils nous cherchent ? demande enfin Luna, les rétines accrochées aux astres à deux sous.
  • Nos parents ?
  • Oui.
  • Ton père a probablement retourné la ville pour te retrouver mais il m'a bien fait comprendre que ça serait mieux si j'étais pas dans sa maison ni dans sa vie. Ma mère a rien dit. Elle devait être d'accord. Elle doit être contente d'être enfin débarrassée de moi.
  • Dis pas ça.
  • Pourquoi ? C'est vrai.
  • Je sais pas mais ça me rend triste de l'entendre.
  • Ce qui est triste, c'est que ma mère ait épousé ton père et qu'ils aient pensé que ça faisait de nous des frères et soeurs. Ils avaient pas le droit de décider ça pour nous et de jouer les trahis quand ils ont découvert la vérité.

Artémis laisse ses mots habiter le cockpit. Il avait quinze ans quand Luna est entrée dans sa vie, fille d'un beau-père dont il ne voulait pas. Ils ont emménagé dans cette grande maison, lui et sa mère. Dans la chambre d'à côté, une grande enfant au plafond étoilé est venue lui dérober son coeur sans lui demander s'il en avait envie. Il était déjà trop tard. Le désert devient maintenant le décor de leur amour possible, la voiture d'Artémis échouée au bout de la dernière route praticable. Ils ont à présent pour voisins ces étrangers qui refusent de vivre selon les lois des humains. Luna se recroqueville sous le bras d'Artémis, murmurant la plus belle des vérités :

  • Je m'en fous, je t'aime quand même.

Annotations

Vous aimez lire za ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0