Luxfodèle

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Au cœur du luxurieux,
Où aime venir les curieux,
Se trouve une beauté,
À l’éclat insoupçonné.

Le Prince marchait depuis plusieurs jours dans la grande forêt de l’Ouest, mais la demeure de son grand-père n’était toujours pas en vue. Seuls les arbres, ses infinis arbres de la grande forêt de l’Ouest, l’accompagnaient. Sans oublier ses silencieux gardiens, toujours sur les nerfs, attentifs à la moindre menace possible. Le Prince avait même l’impression qu’ils l’étaient encore plus depuis leur entrée sur ses terres forestières. Ceux-ci n’étaient pas de la plus agréable compagnie, presque toujours silencieux. Rangis aurait aimé avoir un véritable contact humain. Ses réflexions le rendaient fou et il commençait à s’ennuyer fermement! Il avait, certes, rencontré quelques villages épars, mais ils ne faisaient qu’accentuer le vide de civilisation et de vie humanoïde.

Or, la troupe était sur le point d’enfin arriver. D’arriver dans la renommée capitale de l’Ouest, Luxfodel, la ville où la nature côtoyait les hommes tous les jours. Rangis était déjà venu, mais il avait toujours aussi hâte de revoir la cité. Il avait aussi hâte d’avoir un moment de solitude où il pourrait penser sans avoir personne pour le surprendre. Il avait hâte de pouvoir se reposer vraiment… Les épaules voutées, il se remémora ses derniers jours à être incapable de décider sur tellement de sujets : cette maudite magie, les Traqueurs, leur ennemi, son père, Disçart… Il avait essayé de penser à autre chose, mais sa nouvelle garde était un exemple de stoïcisme : elle avait leur mission à cœur et un malaise flottait. Galen était sur les nerfs comme le reste de sa garde. Sylvia était… était Sylvia et son Maitre, Victor, était si filant, presque comme un coup de vent. Tellement que Rangis en était incapable de comprendre quoi que ce soit quand il lui parlait. George était tombé malade en route, ses blessures ne guérissaient pas bien. Il parlait si peu…

Grr... Il avait hâte d’être arrivé et d’en avoir fini avec tout ça! Le vœu du Prince se réalisa aussitôt. La magnifique cité apparue enfin devant eux. Ses énormes remparts délimitaient la grande cité, mais alors qu’ils auraient dû avoir une apparence coupant avec la nature, leurs légères courbes et la manière qu’ils étaient ancrés dans le sol donnaient une apparence naturelle comme s’ils avaient poussé directement du sol. Au-dessus des murs, la troupe pouvait apercevoir les feuilles de plusieurs arbres, des arbres gigantesques mêmes. La scène laissa bouche bée tous les membres n’étant jamais venus avant. Les tours naturelles avaient un aspect unique, semblant pratiquement irréelles en essayant de côtoyer le ciel. Ce n’était qu’un premier aperçu. En s’approchant, la troupe royale remarqua que les portes de la cité étaient grandes ouvertes et que des soldats attendaient en formation devant celles-ci. La troupe ne savait comment la cité avait découvert le jour de leur arrivée, mais un comité d’accueil avait été organisé pour l’accueillir.

L’accueille était composé d’un mélange de ce que le Prince croyait être un mélange de soldats de son père et des gardes de son grand-père. À sa gauche, il remarquait l’étendard rouge et noir royal au-dessus les guerriers des bois : des hommes et des femmes (autant des humains que des elfes) en armure de cuir fabriquer pour se fondre dans la dense végétation, des épées courtes à la hanche et des arcs courts à l’épaule. À sa droite, dans des armures de mailles armées de belles lances, les gardes de son grand-père portaient fièrement ses couleurs, le brun et le vert. Le Prince sentait une tension entre les deux groupes : des regards ne cessaient de s’échanger. Au centre des soldats, deux hommes s’avançaient vers le Prince et son escorte, l’un était à pied et l’autre sur un cheval. Deux hommes qu’ils connaissaient.

Ils avaient des apparences très différentes. Le premier, aux couleurs du Roi, était un elf du nom d’Illian Écorce Durcie. Les elfs ressemblaient beaucoup aux humains. En revenche, leur visage lisse et sans âge, les traits plus pointus, tel un chat, et les pupilles fendues leur donnaient un aspect très exotique et félin. Plus grand d’une tête que Rangis et extrêmement mince, Illian avait, surprenant pour un elf, les cheveux courts et en bataille, la peau mate et une certaine froideur dans les traits. Rangis savait qu’il ne fallait pas se fier à l’apparence de ce vétéran de beaucoup trop d’escarmouches. Le second homme qui affichait les couleurs du Duc était un homme dans la mi-vingtaine, du nom d’Arro de Luxfodel. Un peu plus grand que Rangis, de longs favoris lui mangeant le visage avec une coupe de cheveux parfaitement soignée, fort bien bâti et un sourire marqué par une pointe de fierté. Le second descendit de sa monture et les deux guerriers saluèrent le Prince d’une révérence. Le premier à parler fut Arro :

- Je vous souhaite la bienvenue dans la belle cité de Luxfodel, mon Prince. Vos proches ont hâte de vous voir. Il y a trop longtemps que vous êtes venus.

Descendant de son cheval, le Prince marcha vers Arro avec un grand sourire sur les lèvres : l’ami de son cousin ne semblait vouloir changer. Ils s’échangèrent une bonne poignée de main comme des guerriers. Rangis enchaina :

- Aurais-tu changé de position par hasard, mon bon Arro?

- Je suis officiellement capitaine dans la garde ducale, mon Prince, répondit l’interloqué avec un énorme sourire.

Le Prince le félicita de cette promotion avant de se tourner vers le second homme présent. Après un signe de tête respectueux pour Illian, il lui demanda :

- Comment allez-vous, Capitaine, après ses nombreuses années?

- Je vais bien, mon Prince commença l’interloqué avec le sourire condescendant d’un aîné devant un plus jeune, mais pour moi, il me semble que cela ne fait pas si longtemps que nous nous sommes vus, mais les humains vieillissent si vite. La dernière fois que je vous ai vu, vous étiez bien moins grand et moins large. J’ai quand même plusieurs histoires qui pourraient vous intéresser, mon Prince, mais le Duc a hâte de vous voir : il ne faudrait pas trop le faire attendre. Si vous désirez me suivre.

Illian accompagna ses dernières paroles par un mouvement respectueux montrant le chemin à prendre. Arro réagit rapidement reprenant pratiquement les paroles de son égal. Rangis en eut un grand sourire : la rivalité entre les soldats du Roi et du Duc était toujours aussi vivante. Le Prince acquiesça à leurs paroles en remontant sur son cheval, alors que les deux protagonistes semblaient vouloir s’affronter pour avoir le droit de montrer le chemin de la demeure du duc. Illian avait un air froid pendant que Arro était beaucoup plus rouge. En avançant, Rangis demanda à ses guides de la ville :

- J’aimerais qu’on s’occupe rapidement de ma garde. Elle a subi son lot épreuves en route et elle a mérité du repos.

- Évidemment, répondit le commandant de la garde Arro, un de mes hommes se dépêchera de leur trouver un endroit où se reposer.

- Ce ne sera pas nécessaire, lui répondit Illian satisfait. Les soldats de Sa Majesté sont de la garde du Roi : elle a sa place au sein de mes baraquements.

Arro lui lança un regard noir. Rangis en sourit en remerciant les deux hommes. Ils le distrayaient comme les énormes portes qu’il était sur le point de passé. La structure semblait être en un seul morceau, impossible de dire simplement le nombre d’arbres utilisées, et les battants avaient été fabriqués dans de massives planches de bois où on avait gravé un gigantesque arbre doré rehaussé de fioriture. En marchant entre les deux compagnies des deux ordres, le Prince eut un soupir sur le passé. Des fantômes le poursuivaient, lui murmurant d’amères images. Il sentait que son sourire s’envolait. Le remarquant à moitié, les deux troupes en question se mirent en mouvement, encadrant le Prince et sa garde. Soudainement, en traversant les énormes battants, une ovation se fit entendre. Si fort, le Prince eut un mouvement de recul. On aurait dit que la ville au complet s’était réunie pour accueillir l’héritier du trône. Mais quelle foule! Toutes les rues autour de l’entrée étaient bondées de gens!

Luxfodel était grandiose. Peu importe du côté qu’il regardait, de la verdure se laissait admirer : des arbres, des fleurs et buissons se mélangeaient aux décors urbains. Du lierre enlaçait tendrement les maisons, des fleurs poussaient sur certains toits, des arbres laissaient apercevoir leurs longues branches au loin, et certains arbres servaient de poutres ou même de demeure directement. De voir autant de végétations côtoyer les hommes, ce n’était pas courant. Ce détail était unique au duché de l’Ouest dans tout le royaume, et les elfs y étaient liés. Après tout, ce souvenait le Prince, ce duché était la demeure de ce peuple depuis des siècles. Il lui apportait une saveur particulière que Rangis avait toujours adorée. En continuant d’avancer, il salua la foule en retour en essayant de regarder tout le monde. Il remarqua que les premiers rangs étaient comblés uniquement par des humains de tous les âges. Les elfs, beaucoup plus modérés, étaient en arrière, regardant le tout beaucoup plus froidement. Les différences entre les deux peuples frappaient le Prince. Cependant, ce n’était pas le bon moment pour s’attarder à ses questions.

La rencontre avec son grand-père approchait et il tenait à être prêt à y faire face. La magie, les monstres, ses traqueurs et les races maintenant étaient des sujets qui le distrayaient trop. Il était incapable de prendre une décision et il avait l’impression, en même temps, de ne rien savoir. Il ne comprenait rien et il ne voulait pas montrer cette partie de lui au Duc, même s’il était son grand-père. Cela monterait une faiblesse de trop. Le voyage ne l’avait pas aidé sur ce point, mais personne n’aurait pu en être surpris. Il était temps de relever la tête! Rapidement, Rangis se fit amener à sa destination. Elle était proche de la porte Est, celle d’où il arrivait. Les portes de la demeure ducale étaient grandes ouverte, mais des hommes en vert et brun repoussaient la population qui se faisait de plus en plus dense. La demeure était un contraste fort avec le reste de la cité : que de pierre et sans flore, elle était une construction typiquement humaine avec sa muraille entourant l’immense donjon. Sa propre escorte n’eut pas le choix d’intervenir. Sans grande douceur, ils firent un chemin pour Sa Majesté au travers de la horde joyeuse. En voyant les citadins se faire malmener, le Prince eut un pincement au cœur : il ne méritait pas cet accueil et ces gens ne méritait pas d’être bousculer pour lui…

Grace à son escorte, Rangis put passer les battants de la demeure ducale et voir que l’accueil n’était toujours pas terminé. C’était au tour de la noblesse, supposa-t-il. Devant les portes du donjon, il se pressait une petite foule de gens bien habillés. De tout âge et de toutes les apparences, rien ne rassemblait ces gens à part l’impression de pouvoir et de richesse. Son grand-père, un homme de près de soixante-dix ans avec les épaules toujours droites, les cheveux blanchis formant une couronne, des rides amusées et maigres se tenaient devant la foule. Son fils ainé, l’oncle du Prince, se tenait à ses côtés. Il avait un visage complètement lisse surmonté d’un regard calculateur et froid. Fort d’épaule et quelque peu du ventre, il semblait comme une montagne à côté du fragile vieillard. Leurs femmes étaient présentes avec une tout autre panoplie de nobles que Rangis se remémora plus ou moins. Arro, fier comme un paon, s’avança devant le Prince et dans un élan solennel, il déclama :

- Mon cher Duc et chers nobles, Sa Majesté, le Prince héritier de la Maison Frontefore et de la couronne du royaume, Rangis, fils de Darque Frontefore, est arrivé!

Un léger applaudissement retentit dans cette nouvelle foule, alors que l’acclamé descendait de son cheval. Il ne se savait pas si populaire et il n’en était pas tellement à l’aise. L’orageuse présence de Disçart avait toujours eu un effet dissuasif. Les gens n’aimaient jamais trop s’y frotter sans bonne raison, particulièrement les nobles sans scrupules… Son ami allait lui manquer dans les prochains jours… Il s’approcha du duc et dans une révérence, le Prince demanda :

- Comment allez-vous, duc Celmaque?

Or, au contraire des attentes, le Duc marcha sur le jeune homme et il l’enlaça de toutes ses forces, surprenant sa victime par l’inattendu et par sa force. Celmaque était très loin de l’étiquette de la noblesse, mais pourtant, il n’y eut que des sourires dans la foule. Le vieil homme répondit :

- Il suffit, mon cher petit fils, avec toute cette politesse absurde. À Luxfodel, tu te trouves chez toi, dans la demeure de ta famille.

Le Prince acquiesça sans être capable de répondre. Cette noblesse dont son père lui répétait de se méfier l’indisposait énormément. Pourtant, Celmaque était son grand-père, le père de sa mère… Celui-ci continua avec un sourire espiègle :

- Et pour te répondre, je vais très bien, même si je me fais vieux. En revanche, il y a trop longtemps que je ne t’ai vu, toi et ton frère. Je suis un peu déçu qu’il ne soit pas là, mais je me contenterai d’un seul. Mais je m’embrase et j’oublie mes devoirs. Hadrien va commencer à vouloir me reprendre si je continue. Celui-ci va très bien en passant.

Hadrien était la montagne à côté de Celmaque qui acquiesça d’un signe de tête. Celui-ci aussi avait un sourire amusé par le comportement de son père, mais Rangis remarqua que son regard ne se réchauffait pas complètement. Son oncle ne serait pas un homme facile pendant son séjour... Hadrien ne dit rien et le Duc continua :

- Laisse-moi te présenter tout ce beau petit monde derrière moi. Tu en connais sûrement quelques-uns, mais il serait intenable de ne pas les saluer chacun.

Ainsi, pendant un long moment, le Prince eut à souffrir de se faire présenter une vingtaine de nobles du duché de l’Ouest et les membres de leur maison qui les accompagnaient. Les uns après les autres, le Duc présentait la personne, son rang avec ses terres, laissant ensuite celui-ci avoir un échange poli avec l’héritier royal, mais ce dernier n’aurait pu dire s’il avait retenu qu’un simple nom. Il était si nombreux avec tellement de titres et de tellement de maisons différentes, parfois l’elfique et le nain venaient sans mêler. Le Prince en était confus… Il espérait au moins retenir les noms des jolies nobles… Son grand-père finit ces échanges avec un petit groupe d’elfs. Il lui expliqua qu’il était le Conseil des Anciens, ceux qui décidaient pour les elfs et ceux qui conseillaient le Duc. Rangis fut impressionné par ceux-ci. Ils avaient tous une apparence si vieille. Leur peau était comme l’écorce d’un vieux chêne, craquelé et épais, alors que leur regard semblait avoir vu l’aube des temps. Rangis ne put s’empêcher d’avoir un élan de respect pour ses hommes et femmes qui l’accueillant : des êtres anciens qui méritent qu’on écoute leurs sages paroles. À la suite de cette politesse obligée, le Duc remercia les gens de s’être déplacés pour accueillir l’invité royal, mais que les discussions allaient être abrogées : le Prince avait le droit à un peu de repos! Toutefois, il leur promit que dès que celui-ci serait moins fatigué, le Duc allait les prévenir.

Sous un excès de compréhension, Celmaque partit avec le Prince et Hadrien, seulement suivi par Victor, Sylvia et Galen. De ce que compris Rangis, George et le reste de sa garde allait avoir leur quartier ailleurs. Son grand-père perdit de son ton exubérant et familier loin des regards : son sourire cessa et un ton beaucoup plus sérieux le prit. Dans les corridors de sa forteresse, le tout puissant noble demanda :

- Donc, Ran, si j’ai bien compris, le Roi s’est fait avoir dans la capitale et tu as failli te faire avoir en chemin?

Il n’était pas sûr de comprendre comment, mais il n’était pas surpris de découvrir que son grand-père était déjà au courant. Le père de la Reine était connu pour avoir des oreilles partout aussi loin était-il de la couronne. Le Prince acquiesça sans aller en détail : ils allaient avoir suffisamment de temps pendant son séjour pour cela. Le Duc continua quelque peu compatissant :

- Cela n’a pas dû être évident, mais au moins, notre ennemi n’a pas réussi son coup... Ici, tu devrais être en sécurité. Même si le duché est une grande forêt, on ne serait avoir de secrets pour les elfs et pour les forestiers.

Le Prince acquiesça à nouveau avec un très long soupir. L’insécurité qui l’avait étreint de pouvoir être attaqué n’importe où s'évaporait finalement. Ce sentiment de peur qu’il n’avait pas tout à fait réalisé le libérait : il se sentait enfin en sécurité. Il allait pouvoir se reposer! Or, son grand-père n’avait pas fini avec lui. Ce dernier le conduisait dans les dédales de sa forteresse vers ce que croyait le Prince comme étant son bureau. Il avait un vague souvenir dans sa tête du chemin. Avant d’arriver, son ancêtre continua :

- En revanche, je serais curieux de savoir où se trouve ta chère lame. Disçart, je crois me rappeler… Peu importe… Cela fait des années qu’il te suit dans le moindre de tes déplacements. C’est inhabituel de te voir sans.

- Il a été envoyé ailleurs… répondit laconiquement le Prince. Il a été puni pour ses actions dans la capitale.

- La couronne a ses propres plans… furent les seuls mots de Celmaque.

- Et ses pour cela que je suis présent avec cette jeune demoiselle, expliqua Victor en prenant la parole pour la première fois.

- Ainsi, le Roi n’a pas laissé son fils sans protection, résuma Hadrien avec un air circonspect.

- Ne le sous-estime pas, Hadrien, lui dit son père. Ce vieux renard n’est pas n’importe qui. Il a juste moins d’éclairage que beaucoup de gens.

Rangis fut surpris par les sous-entendus de son grand-père. Il était au courant! En se tournant vers Victor, celui-ci lui envoya un sourire amusé. Ce dernier n’en avait l’air nullement surpris, mais Sylvia avait l’air de n’y rien comprendre. Le vieux Duc de l’Ouest savait beaucoup plus de choses qu’on pouvait le croire. Pourtant, le Prince n’eut pas le temps d’y penser. Ils arrivaient au bureau de son grand-père et ce dernier rentra immédiatement dans le vif du sujet.

- Nous avons quelques mois de rencontre à préparer, mon cher petit-fils. Beaucoup de nobles ont hâte de venir te rencontrer et nous ne serions savoir les désappointer.

Les épaules du Prince se relâchèrent en entendant les mots du Duc. Finalement, cet exil dans l’Ouest ne serait pas de tout repos…

* * *

Enfin seul dans ses appartements, son Protecteur laissé (ou oublié) dans une salle à manger. Le Prince s’écroula sur un divan. Il était enfin seul : enfin seul avec lui-même… En fait, ses appartements étaient majestueux : composés de trois pièces, sa chambre, un grand salon pour accueillir des invités et un sobre bureau. Sans exagéré, le Duc avait donné beaucoup pour rendre l’endroit chaleureux. De magnifiques tapis couvraient le sol, des armoires remplies s’agençaient aux murs, des tapisseries magnifiques décoraient les murs et chaque meuble était de qualité. En plus, les appartements du Prince ne se trouvaient même pas dans l’aile des invités. Ceux-ci se trouvaient près des appartements de la famille ducale, assurant une sécurité accrue. C’était sans dire du prestige et du respect que cette marque donnait à celui qui la recevait. Son grand-père n’avait pas lésiné sur sa venue. L’accueil, ses appartements et les futures visites importantes de la noblesse. Vraiment, son grand-père n’avait lésiné sur rien…

Il soupira longuement. Cela n’allait pas être de tout repos sans parler de ses dernières interrogations… Au moins, se dit-il en souriant, il pourrait se reposer dans un bon lit confortable et avoir la plus longue sieste possible! Victor ne le réveillerait plus en même temps que le soleil pour se mettre en selle. Il pourrait profiter d’un peu de solitude. Ne plus toujours à penser qu’il devrait sourire et être jovial. Cela lui ferait un bien fou. Il y avait tellement à réfléchir… Son oncle, Hadrien, lui avait rappelé de ne pas se laisser charmer par les demoiselles de la noblesse : elles seraient prêtes à faire n’importe quoi pour se faire mettre grosse si cela aidait leur famille. Elles seraient sûrement encore pires que dans la Capitale : loin du trône (et du regard de la couronne), la noblesse s’en permettrait beaucoup plus. Tout pour un peu de pouvoir… Et c’était à lui, Sa Majesté Royale, l’héritier de la couronne, le futur roi, de rester sur ses gardes pour ne pas nuire à sa Maison et à la Royauté. Toute la responsabilité sur sa tête de seize étés… Rangis n’avait tellement pas envie de penser à tout ça… Une simple petite vie tranquille lui aurait amplement suffi… Dire qu’il deviendrait un souverain tout puissant… peut-être que cela plairait plus à Disçart qu’à lui?

Soudainement, une étrange impression le prit. C’était similaire à… à… à celle provoquée par les apparitions de Disçart, mais c’était différent : comme s’il y avait une autre teinte… Tournant la tête légèrement, le plus doucement possible, il essaya de regarder autour de lui. À sa droite, sur un autre divan, une silhouette, plus ou moins précise dans la pénombre de la pièce, le regardait. Elle semblait être confortablement bien installée. La peur envahit le jeune homme. Que voulait cette personne? Il ne sentait pas en danger, mais il était possible que... En même temps, si elle avait voulu le tuer, le Prince était sûr que ce serait déjà fait. Donc, que désirait cette silhouette? Quelle serait la meilleure décision? Rester immobile ou réagir très vite pour essayer de la prendre par surprise. Avant qu’il n’ait eu le temps de prendre une décision, la silhouette, une femme, parla :

- Mon Prince, je vous sais conscient de ma présence. Si vous voulez bien vous relever, j’aimerais m’entretenir avec vous quelques instants.

Rangis tourna sa tête vers l’inconnu en clignant des yeux avec un sourire nerveux. Il se sentait bête. Il fallut quelques secondes à celui-ci avant de réagir et de répondre à la demande. Il fallait dire que la femme n’était pas comme le Prince l’aurait crue. Il se serait attendu à avoir soit une jeune demoiselle venue le charmer ou une femme beaucoup plus menaçante. Devant lui se trouvait une femme d’une trentaine d’années svelte avec de belles formes, un visage fin aux traits volontaires mis en valeur par sa brune tresse guerrière. Un aura de force se dégageait d’elle, un aura qui commandait le respect. Rangis lui demanda :

- Et de quoi désirez-vous me parler, dame?

- Je me présente, commença l’intruse en se levant et en faisant une révérence un peu maladroite avant de se rassoir, je me nomme Valpa de Luxfodel, l’élément de la tempête en charge de l’Ouest.

- La fameuse Nuageuse que m’a déjà parlé Disçart? s’exclama Rangis surpris. La Traqueuse pouvant faire abattre une pluie de misère sur quiconque s’oppose à elle?

- Je dois avoir fait beaucoup d’impressions à notre jeune ami, ria la dénommée Valpa qui ne sourit qu’encore plus en voyant l’acquiescement de son interlocuteur.

Disçart lui avait déjà parlé de cette femme. Elle lui avait fait vivre un très mauvais quart d’heure durant un de ses voyages. Elle pouvait être intraitable quand elle devenait de mauvaise humeur, ce qui était pratiquement toujours le cas selon Disçart. Une pensée frappa douloureusement le cerveau de Rangis : « et connaissant Diss, il ne devait pas aider à améliorer cela avec son propre caractère ». Valpa continua :

- Je tenais à vous dire que ma lame et mon bras sont à votre service, mon Prince. (Celui-ci acquiesça) Aussi, j’ai entendu parler de vos mésaventures en chemin : les bandits, les bêtes et Disçart.

Rangis baissa les yeux en attendant ses mots. Une tornade d’émotions des derniers jours cherchait à remonter. La honte, la colère, l’anxiété, la tristesse… Incapable de quoi que ce soit… Pourtant, alors qu’il sombrait, une main se posa sur son épaule. Valpa était agenouillée devant lui, le regardant avec de compatissants yeux verts. Elle lui murmura avec douceur :

- Vous n’êtes coupable de rien, mon Prince! Certaines choses sont hors de votre contrôle, même si vous êtes de la royauté. Ne me dites pas que vous n’avez pas pu réagir lors des moments de détresses : vous n’êtes pas formé pour cela, ce n’est pas votre rôle! Vous devez éviter le danger! Vous êtes le Prince de ce royaume. Votre mort serait un désastre plus grand que vous ne le croyez. Un grand pouvoir vous attend et vous allez accomplir de grandes choses, mais vous devez arriver à ce moment et c’est notre mission, à moi, à l’Ordre et aux gardes royaux d’assurer ce fait. Et laissez-moi vous dire que vous n’avez pas à avoir honte de votre première bataille. Combien d’entre nous ont été incapables de réagir lors de notre première? Je crois que tous les guerriers, tous les soldats et tous les Traqueurs perdent leur moyen. Une première bataille, un premier massacre, ce n’est jamais évident à vivre…

Les paroles de Valpa touchèrent leur cible. Le Prince se sentait encore confus, mais il commençait à voir une touche de lumière. Il avait un peu moins honte de son inaction. Cependant, la question de la magie et de Disçart restait. Il posa la question qui l’effrayait :

- Que dois-je penser de Diss? Un ami ou un monstre à venir?

- Que c’est une question hors de votre contrôle. L’Ordre s’occupe de lui…

Cette réponse ne le satisfit pas, mais il accepta. La fatigue se faisait de plus en plus fort et son crâne menaçait d’exploser s’il osait continuer.

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