La Forteresse

9 minutes de lecture

Un fort pour se protéger,
Des féroces monstres cachés.
Personne ne sait où,
En espérant qu’il ne soit avec les fous.

Cela faisait trois jours que Disçart chevauchait presque sans relâche, ne laissant à sa monture que le temps de se reposer un peu pour qu’elle évite l’épuisement complet, et la Forteresse n’était toujours pas en vue! Il savait le terrain escarpé : les différents niveaux du sol créaient des murs qui obstruaient la vie. Or, le jeune Traqueur n’avait même pas aperçu la moindre tour ou le moindre bout de mur. Avait-il pris le bon chemin? Il aurait été difficile de se tromper en suivant le seul chemin! L’anxiété rongeait Disçart qui avait hâte d’arriver, mais en même temps, il n’aurait pas été contre de courir dans l’autre direction et retourner à la capitale. Disçart expira longuement : il n’avait pas vraiment le choix.

Les intestins douloureux, il continuait d’avancer sur sa route houleuse, mais il ne savait s’il aurait préféré vomir ou s’étendre au sol en attendant que cela passe. En même temps, comme il n’avait pas le choix d’y aller, il ferait mieux de se dépêcher. Peut-être qu’ainsi, ces intestins cesseraient de se jouer de lui. Un long soupir s’étira de ses lèves. En d’autres circonstances, Disçart aurait aimé cette journée : elle était splendide avec ce magnifique soleil qui jouait à cache-cache avec les nuages et la fraicheur des hauteurs. Normalement, la faune et la flore de l’endroit, très différente de l’Est, auraient intrigué le jeune homme, mais celui-ci était tellement pris par ses pensées qu’un dragon aurait pu passer devant lui qu’il ne l’aurait pas remarqué. Il essayait de se préparer à la Forteresse en s’imageant des milliers de scénarios, parfois, plus qu’improbables : peut-être que les Traqueurs l’accueilleraient chaleureusement avec un banquet et beaucoup de familiarité en cherchant à tout savoir sur lui, ou peut-être que ceux-ci seraient mesquins et méfiants en le toisant de haut et en attendant qu’il leur prouve sa valeur. Disçart ne savait pas ce qu’il détestait le plus : trop de jugement ou trop de gentillesse ? Soupirant longuement, il n’avait aucune idée de ce qui allait se passer : il ne savait même pas à quoi ressemblait le fort!

En montant, une idée saugrenue lui vint en tête : une catastrophe pourrait survenir et il pourrait aider les victimes; il pourrait affronter un monstre et être accueilli en héros; le fort pourrait être attaqué et lui, Disçart, pourrait faire la différence. Ses pensées héroïques firent sourire le jeune homme quand, soudain, il fut obligé de s’arrêter. Il était arrivé… Les énormes murs de la Forteresse, trois fois sa grandeur, étaient là pour l’accueillir avec sa double porte gigantesque. Il était bien arrivé… Le jeune Traqueur regardait l’endroit un peu pantois. Un sentiment d’ancienneté, de force et de mystères émanait du lieu. Son anxiété augmenta encore. Il était arrivé! Faisant avancer son cheval devant les portes, il expira longuement, comme s’il aurait pu expulser l’air de toute une vie. Il était malheureusement arrivé…

Dès que son cheval fut bien en vue, deux personnes sortirent d’une petite poterne dans la double porte qui se referma aussitôt. Disçart remarqua les individus qui le fixaient des murs. Ils étaient bien organisés… un peu trop même… Le Traqueur voyait clairement les personnes qui s’approchaient. Le premier était un homme un brin plus vieux, une bonne tête et demi de plus que lui , les cheveux courts avec une barbe finement découpée sous un regard mi-espiègle, mi-arrogant. Il se déplaçait avec beaucoup de confiance en s’approchant, épée à la ceinture. La seconde était une femme plus jeune que lui. Elle était… Elle était… Elle était… Se reprenant rapidement, le Traqueur se dépêcha de descendre de son cheval et d’écarter les bras : il ne voulait pas avoir l’air d’une menace ou d’un supérieur ; il était dans le fief de l’Ordre. L’homme devant lui parla en premier, un sourire aux lèvres, mais aucun dans le regard :

- Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici?

- Je suis un envoyé de maitre Nirk, répondit l’interloqué en baissant la tête. Il m’envoie à la rencontre de la Forteresse et de son régent, maitre Ingmar.

Disçart releva son regard et il croisa ceux de ses interlocuteurs. L’homme le dévisageait curieusement comme s’il ne croyait pas un mot de ce qu’il venait de dire. La femme, elle, le regardait intensément sans bouger. Ses yeux miels perturbaient indubitablement l’ami du Prince qui avait de la difficulté à s’en détacher. Le reste de cette dernière ne le laissait nullement froid. Presque de sa grandeur, parfaitement svelte avec une poitrine aguichante, mais élégante, et un beau visage agrémenté de quelques taches de rousseur, une bouche enjôleuse avec un nez fonceur et un peu rapace. Elle était plus que magnifique, troublant le cœur du sombre jeune homme. Cependant, il fut forcé de détourner ses pupilles quand son interlocuteur lui redemanda qu’il était. Celui avait gagné une lueur espiègle dans le regard et dans sa posture. Le disciple de Nirk n’était pas dupe : ce dernier restait gravement sérieux. Après une longue expiration, il retourna son regard au géant qui le toisait. Avec fermeté (du moins, autant qu’il espérait), il déclama :

- Je suis Disçart de la forêt noire, l’apprenti de maitre Nirk, maitre de l’Ordre!

Les regards des deux individus changèrent. La sublime demoiselle le fixait, les yeux écarquillés, le visage tordu par la surprise. L’autre le regardait indécis. Il devait se demander s’il devait être impressionné ou déçu : Disçart n’était pas particulièrement… imposant? Haussant les épaules, sourire aux lèvres, le garde dit en dégainant sa lame :

- Tu serais le fameux apprenti de maitre Nirk? Intéressant… J’aimerais savoir ce que tu vaux!

Sans plus un mot, le grand arrogant se précipita sur Disçart, épée levée. Par réflexe, ce dernier tira deux coutres lames, mais la peur l’étreignit en même temps. Il n’était pas venu pour se battre. Or, celui qui lui fonçait dessus ne semblait avoir aucune intention de s’arrêter. L’éclat dans son regard en était dangereux. Soudainement, une étrange impression s’incrusta dans les intestins du banal jeune homme. Quelque chose se préparait… Toutefois, il n’avait pas le temps de chercher quoi! Se concentrant, Disçart se prépara au premier assaut. Un premier assaut qui ne vint jamais. Plusieurs lames glacées bloquèrent le chemin du géant. L’étranger de la Forteresse trouva rapidement de qui elles venaient : sa belle rencontre venait de s’interposer, le dos très droit, des lames de glace dans les mains et virevoltantes autour d’elle. Une froide et dangereuse aura émanait d’elle, prévenant son admirateur de ne pas la sous-estimer. Le géant s’arrêta, mais il ne desserra pas sa posture de combat. Disçart pouvait sentir la colère de la femme même s’il ne voyait pas son regard. Elle dit, froide comme un fleuve congelé :

- Herbert le Grand, qu’oses-tu?

- Selena… minauda l’imposant arrogant, je veux juste en savoir plus sur lui, l’apprenti de maitre Nirk… Toi aussi, tu es curieux, ma chère… Alors, tasse-toi, s’il te plait.

- Tu en apprendras plus sur lui, commença la furieuse Selena, en même temps que tout le monde!

Les lames autour d’elle dansèrent aux sons de sa voix. La jeune femme était effrayante avec toutes ses armes virevoltant autour et surtout, elle semblait prête à s’en servir. Pourtant, quelque chose clochait dans le décor. Sur ce terrain en pente devant les murs de la Forteresse, quelque chose clochait. Ostensiblement, quelque chose clochait! Sans réfléchir, Disçart se connecta à son don et il réussit à créer un bouclier partiel. La route jusqu’au centre de son pouvoir ne prit qu’une fraction de seconde sous la menace du danger. Manipulant l’énergie vivement, il utilisait tout ce qu’il avait pour créer un bouclier protecteur. Il devait se dépêcher avant qu’il ne soit trop tard! Soudainement, alors que Selena cherchait toujours à dissuader Herbert de se battre, une puissante gerbe de flammes s’écrasa sur Selena, ses lames s’évaporant. De la vapeur et de la fumée se mélangèrent, créant un brouillard opaque. Disçart ne voyait rien, mais il était certain que la sublime demoiselle allait bien. Il avait senti les flammes percuter son bouclier…

Or, le sombre jeune homme avait d’autres préoccupations qu’une inconnue : il sentit Herbert le Grand se précipiter sur lui. Réagissant à moitié à l’aveugle, il reçut son adversaire vigoureusement. Se précipitant à son tour, le prenant au dépourvu, il frappa de son genou, faisant reculer son adversaire. Le combat ne continua pas plus loin quand un puissant vent et un puissant cri hurlèrent aux oreilles des jeunes personnes. Le brouillard s’envola et devant les portes se trouvait un individu imposant qui marchait dans leur direction. Très large et très musclé, sous ses cheveux longs, il avait le visage d’un homme mûr aux traits extrêmement durs. Sa barbe mal entretenue n’aidait pas à lui donner un air sympathique. Selena et Herbert rangèrent leurs armes et ils baissèrent la tête dans un même mouvement, un à côté de l’autre. Disçart, qui était un pas en arrière, hésita un moment avant de baisser ses armes : sa peur ne cessait de la tarauder, amplifiant sa concentration à l’extrême à la recherche du moindre ennemi. Lorsque le nouveau venu arriva devant les deux guerriers de la Forteresse, il demanda, ou gueula plutôt :

- Veux-tu bien me dire ce que tu fais Herbert?

- Je ne faisais qu’accueillir un nouveau venu, maitre Dorca, répondit l’interloqué en souriant.

Ce dernier dut regretter son sourire. D’un mouvement rapidement et précis, l’homme massif enfonça son énorme poing aussi loin qu’il put dans le ventre du grand jeune homme. Celui-ci s’écroula pratiquement, le souffle coupé. Le redoutable maitre continua :

- Tu es un crétin, Herbet.

- Oui, maitre, acquiesça docilement l’homme sans souffle.

Disçart n’arrivait absolument pas à comprendre ce qu’il voyait. On aurait dit que les derniers évènements étaient presque courants. Cette folie courante? Mais où venait-il de tomber? Pourtant, Dorca poursuivit devant Selena :

- Tu as bien agi, jeune fille, mais ce n’était pas nécessaire : notre nouveau venu était parfaitement apte à se défendre. Tu as manqué d’attention et tu aurais pu le regretter.

- Mais je n’ai rien, Maitre, répondit la seconde réprimandée en levant un regard empli d’orgueil.

- Si ce n’avait été de sa réponse rapide, pointa le barbu en direction de Disçart, tu serais surement moins en forme que présentement.

Selena tourna sa tête en direction de son nouvel admirateur sans rien dire. Ses yeux l’examinaient étrangement et l’ami du prince fut rapidement mal à l’aise sous leur examen interrogateur. Il dut rapidement se concentrer sur autre chose. Dorca s’installa devant lui et il le dévisagea à son tour, la tête sur le côté. Il lui demanda, mais en affirmant presque, les yeux plissés :

- Tu es bien l’apprenti de Nirk? (Disçart acquiesça, incertain de la manière d’agir) Tu peux ranger tes lames, tu es maintenant chez toi.

L’interloqué obéit lentement. Il n’était pas si sûr de pouvoir baisser entièrement sa garde. Les flammes n’étaient pas qu’un accident après tout. Il posa la question au mastodonte devant lui :

- Suis-je vraiment à l’abri, même avec ce feu venant de nulle part?

- Prends-le comme un compliment, jeune homme, répondit Dorca simplement. Beaucoup ont hâte de te rencontrer et un bon nombre veulent se tester contre le pupille du Maitre de l’Ordre. En revanche, les combats, physique ou magique et sans autorisation d’un maitre, sont interdits, mais il y a toujours de jeunes crétins… (il lança un regard rapide sur le grand Herbert qui sembla avoir un léger sourire) mais suis-moi : les présentations avec la Forteresse ont assez tardé.

En même temps de finir sa phrase, Dorca se tourna et il partit d’un pas vif. Il ordonna à Selena et à Herbert de retourner dans la Forteresse. Ils obéirent en lançant un dernier regard à Disçart avant d’obtempérer. De la curiosité? De la jalousie? Du mépris? Il n’aurait su le dire. Poussant un soupir, celui-ci suivit, prenant les rênes de sa monture. Il n’était nullement détendu après cet… accueil? Pire… s’il avait bien compris maitre Dorca, cela ne faisait que commencer… Le jeune Traqueur sentait que cette visite à la Forteresse serait surement très, très, très longue…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vatis Maestus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0