L'Ouest

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Créatures soumises au temps,
Incapables de s’en passer,
Sujettes à tous ses caprices,
Liés à tout jamais.

Disçart héla quelqu’un au loin : il avait retrouvé les traces. Ceux-ci avaient profité de cette région un peu rocheuse, montagneuse, traitresse pour éviter tout poursuivant en laissant très peu d'indices de leur passage. Le sombre jeune homme n’aimait pas beaucoup cet environnement où le danger pouvait les guetter au moindre tournant. Rochers, buisson et même le terrain travaillaient de concert pour empêcher quiconque de voir au loin. La terre aride ne faisait pousser que de mauvaises herbes et des buissons. Quiconque sachant où marcher pouvait traverser la région en laissant une trace minime. Pourtant, Disçart en avait trouvé une. L’un des brigands avait été blessé en s’attaquant à la caravane marchande : un garde du corps un peu plus coriace que prévu surement. Ce voleur perdait du sang irrégulièrement. Il semblait parfois capable de retenir le sang et d’autre fois, celle-ci gagnait le droit de se répandre.

Disçart héla à nouveau et une jeune femme vint le rejoindre, l’image même d’une guerrière mythique, si ce n’avait été de sa moue peu confiante. Svelte, cheveux noués, mouvement précis et regard honnête, honnêteté qui trahissait toutes ses inquiétudes. Sylvia n’avait que très peu d’expérience sur le terrain et le jeune homme pouvait le sentir. En s’approchant, celle-ci écrasa plusieurs brindilles, déplaça quelques cailloux et glissa pratiquement sur une pierre instable. Disçart se retint de tout commentaire. Il lui parlerait plus tard. Pour l’instant, il se concentra sur leur mission :

- Il y a un peu sang sur ce buisson et à terre, démontra l’aîné. Ils s’enfoncent dans la vallée où personne ne va. Le sang semble encore frais… alors avec un blessé qu’il traine, nous devrions les rattraper quand le soleil sera en partie couché.

- Mais pourquoi ils s’enfoncent si loin? demanda Sylvia. Il n’y a rien à part des cailloux et de la poussière. Il ne se trouve absolument aucune ressource intéressante pour quiconque.

- La vallée de la Charge défaite, commença Disçart en jouant les professeurs, est un endroit où il n’y a rien, mais qui est, en plus, difficile d’accès. Donc, il n’y a personne pour venir les déranger et si l’armée royale venait à envoyer des hommes, nos brigands auraient tout le temps nécessaire pour les apercevoir d’un bon promontoire et prendre la poudre d’escampette.

Le regard de sa compagne s’éclaira avec l’explication et Disçart fut surpris qu’elle ne le sache pas. C’était du sens commun pour lui. Les zones difficiles d’accès étaient toujours adorées par tout ce qui était nuisible. Particulièrement, par ce qui était nuisible et dangereux. Sans rien dire de plus, Disçart avança, restant attentif aux rares traces que laissaient les brigands. En lui, l’anxiété montait tranquillement. Il avait une bonne idée du nombre de mécréants, mais il ne pourrait prédire si ceux-ci étaient des guerriers expérimentés ou de lâches novices. En plus, il doutait de pouvoir se fier entièrement à Sylvia. Durant leurs entrainements, Disçart la dominait avec très peu de difficulté. Il aurait incapable de dire si elle avait du potentiel : il n’avait pas assez d’information sur elle. Il était seulement sûr d’une chose : elle était déterminée! Peut-être que cela l’aiderait… pour le peu qu’il savait…

Le soleil se couchait tranquillement et le duo continua son avancer en évitant de faire du bruit autant que possible. Le silence régnait entre eux et Disçart ne s’en plaignait nullement. Il était bien dans ses pensées. Lentement, le noir se fit et les deux jeunes gens finirent par apercevoir de la lumière entre les buissons et les rochers : ils les avaient trouvés! L’anxiété monta d’un cran. L’attente arrivait à son terme. S’approchant sur la pointe des pieds en évitant la moindre chose, ils s’approchèrent en vue du camp. Il se trouvait sept brigands autour du feu, des armes éparpillées un peu partout, aucun n’étant particulièrement attentif. L’un d’entre eux était couché près d’un rocher, un large pansement sur son côté droit. Son pansement semblait insuffisant pour refermer sa blessure.

Rapidement, Disçart devisa un plan avec sa compagne : il allait attaquer tout d’abord seul à l’opposé et profiter de la surprise des brigands pour leur infliger plusieurs pertes. Quand il aurait l’attention de tout le monde, ce serait à Sylvia de jouer et de les prendre par surprise à son tour. Sylvia acquiesça et elle s’accroupit autant qu’elle put, attendant que son moment arrive. Pour Disçart, il prit le temps de s’éloigner avant de commencer à contourner les brigands. Son cœur battait la chamade, le moment avant de se battre était toujours le pire. Sa vessie s’était douloureusement contractée, son ventre le faisait grincer et le doutait essayait de s’infiltrer dans son cœur. Toutefois, ce n’était pas la première fois et ce ne serait surement pas la dernière… Il était capable d’oublier ses réactions.

Peu à peu, il finit par arriver à sa position, à l’opposé de Sylvia. Aucun des brigands ne se doutait de ce qui était sur le point de leur tomber dessus. Disçart prit le temps de se calmer autant qu’il pouvait et il partit à la recherche de son île. Toutefois, il s’arrêta avant même de naviguer. C’était la première fois depuis le combat avec les bêtes de sang... Est-ce que… Est-ce que… Est-ce que… Est-ce qu’il risquait de perdre à nouveau le contrôle? Est-ce qu’il se sentait suffisamment sûr de lui pour maitriser son pouvoir? Est-ce qu’il ne risquait pas de tout gâcher encore une fois? Expirant longuement, essayant de se vider de toutes ses pensées, il se força à se connecter à son don. Le cœur serré, il partit sur la mer houleuse de son esprit. La traversée fut mouvementée : les vagues de peur, de colère, d’impuissance et d’amertume essayèrent de la renverser, mais il réussit à rester dans son embarcation. En atteignant la côte, il sentit un violent vent de colère sur l’île : la rage contre sa lâcheté et son incompétence. Il avança malgré tout. Il était plus important de réussir sa mission que de s’appesantir sur sa stupidité. Pour cela, il aurait tout le temps nécessaire plus tard…

Connecté à sa magie, il concentra son attention sur le camp. Les sept brigands allaient être surpris.

* * *

Autour d’un autre feu de camp, le Prince était assis pensif alors qu’autour de lui, sa garde était en effervescence. Elle préparait le repas, les feux, les tentes, les défenses du camp, les tours de gardes, l’entretien des chevaux, des armes et pour ceux qui n’avaient pas assez de choses à faire, les officiers se faisaient un plaisir de donner des leçons d’entrainement supplémentaires. Cependant, Rangis ne remarquait absolument rien de l’agitation. Il ne pouvait s’empêcher de penser aux derniers évènements : des monstres sanglants, une magie imprévisible, des morts par dizaine et une impuissance ridicule. Le jeune homme avait la tête en compote à force de tourner et de retourner ses idées dans tous les sens possibles : il n’arrivait pas à se décider! Qu’est-ce que ferait son père à sa place? Est-ce que son père était seulement au courant du secret de Disçart? Est-ce que son paternel aurait réagi différemment que son fils dans une même situation?

Les yeux dans le vide, Rangis eut besoin d’un long moment avant de remarquer que Galen cherchait son attention en bougeant une main devant ses yeux. Son énorme garde était assis à ses côtés, une partie de son armure en moins, avec un regard hésitant. Il n’avait jamais été très à l’aise dans les situations émotionnelles. En ce jour, cela n’allait pas changer. Il demanda à l’Héritier royal :

- Est-ce que tu penses que nous allons croiser d’autres auberges avant d’arriver à Luxfodel?

- Je n’en sais rien, lâcha un Rangis qui ne comprenait pas le but de la question. Il se pourrait bien comme il se pourrait aussi que maître Victor nous les fasse éviter.

- J’aurais bien aimé une chope en compagnie de belles femmes, expliqua Galen. Ça fait longtemps que ce n’est pas arrivé…

- Pourtant, ma garde s’est désormais composée de plusieurs demoiselles.

- Des femmes en armures, des regards d’acier et qui ne font rien pour montrer leurs charmes? Non, merci! Je laisse les femmes difficiles à Disçart.

- Il reste toujours Sylvia… déclara le Prince en sachant parfaitement ce qui allait arriver.

- L’apprentie moche et sans formes de Victor qui est en admiration devant Disçart? cracha Galen sous l’impulsion. Autant prendre l’une des gardes, ça me fera moins de problèmes.

Le Prince eut besoin d’expirer avant de répondre. Sans cela, sa réponse aurait été un mélange d’exaspération et d’incompréhension. Pourtant, il ne devrait pas être surpris : son Garde du corps avait toujours aimé les femmes avec des formes et avec une touche de débauche. Malheureusement pour lui, les femmes de la garde royale avaient un sens aigu de pudisme professionnelle. C’était sans parler de Syliva… Si ce n’était de ses traits et de ses cheveux longs, elle aurait pu passer pour un homme avec sa posture sans féminité et ses vêtements très masculins. Il n’était pas surpris que Galen ne trouve rien à son goût, mais peut-que Disçart… Chassant cette dernière pensée et revenant à la discussion, le Prince déclara :

- Elle n’est pas laide. Elle ne fait pas attention à son apparence. Ce n’est pas pareil. Avec un peu d’effort, elle serait très jolie.

- Si tu le dis, douta Galen clairement.

Le silence se refit entre les deux compagnons et Rangis retourna dans ses sombres pensées. La discussion l’aurait amusé dans d’autres circonstances, mais il ne pouvait s’empêcher de ruminer sur ses Bêtes de sang et le monstre de ténèbres… Il ne savait même pas ce que l’un ou l’autre était et personne ne voulait lui répondre. Par les Dieux! Il avait besoin de se faire une idée, mais pour cela, il avait besoin d'information. Cela impliquait un ami et ses gardes… Soudainement, Victor vint rejoindre les deux hommes, coupant les réflexions du Prince. Sa présence étouffait presque Rangis : il possédait toutes les réponses à ses questions. Il avait tout pour l’aider à sortir de sa confusion! Et pourtant, il ne faisait rien! Le jeune homme était frustré contre le vieil homme et son refus de l’aider. Ce dernier s’assit près du duo tout à fait naturellement et il interloqua l’Héritier du roi :

- Je vous trouve très pensif ses derniers temps, mon Prince.

- L’attaque dans la forêt de Sanraninne m’a laissé avec énormément d’interrogations, admit Rangis après un long moment sous le regard perçant de Victor. Il y a trop de choses que je ne sais pas et je ne possède aucun moyen de trouver ses connaissances… ou de les oublier présentement…

- Ne vous laissez pas abattre par ses évènements, mon Prince, commença Victor compatissant. Tout homme qui se trouve dans une attaque comme celle-là perdrait ses moyens, surtout sa première fois. Cette attaque a été particulièrement violente. Ne vous blâmez pas : j’ai vu bien pire. Vous avez suivi les hommes d’expériences et vous avez survécu. C’est plus que suffisant. Les hommes à vos côtés faisaient partie de l’élite. Des soldats moins expérimentés auraient surement été paralysés sur place et balayés comme des brindilles.

Rangis acquiesça au propos du vieil homme. Ses propos le touchèrent directement, apaisant quelque peu ses réflexions. Il se sentait moins coupable, mais son esprit était toujours surchargé… Son regard fut attiré par Galen : celui-ci rayonnait de fierté d’être complimenté de la sorte. Rangis ne put s’empêcher de sourire, mais d’autres questions plus difficiles viendraient…

* * *

Disçart se précipita sans bruit sur un premier brigand. Il s’approcha rapidement sans jamais être vue et au dernier moment, il élança sa lame. Ce brigand ne sut jamais ce qui lui arriva avant le moment fatidique, une lame lui transperçant le cœur. Les six autres brigands réagirent au ralenti, incapable de comprendre qu’ils étaient attaqués si soudainement. Sans leur laisser le temps, Disçart se lança à sa gauche sur un second brigand qui n’eut que le temps de tirer une lame pour se défendre. Refusant de lui laisser une seconde pour réagir, il pressa son attaque. Reculant, et reculant, le brigand fit rapidement une erreur qui lui fut fatale : il perdit l’équilibre et Disçart en profita pour lui planter sa lame dans le cou.

Se retournant pour affronter les cinq restants, il vit que ceux-ci avaient repris leur esprit et qu’ils semblaient avoir goût de faire couler du sang. Le sien surement… À sa droite, un brigand avec une hache s’élança sur lui. Vif, il dévia le coup avec sa propre lame. Or, au moment où il voulut frapper, il recula au dernier instant : un autre brigand avait essayé de le déborder par la gauche. Soudainement, le combat n’était plus en sa faveur, les brigands travaillaient de concert pour le mettre à mal et ils savaient ce qu’ils faisaient! Disçart se concentra, s’assurant avant tout d’éviter les deux lames en essayant de garder les trois autres hommes à l’œil : ils avaient l’air de chercher un moyen d’entrain dans la danse.

Tout à coup, un des trois hommes attendant patiemment s’écroula dans un lourd gémissement. L’homme à la hache se tourna au mauvais moment. Disçart en profita pour le désarmer. Avant même qu’il comprenne son erreur, Disçart lui enfonça sa lame dans le cou. Le second voulut profiter de sa chance, mais c’est à ce moment que le jeune homme libéra une fraction de son pouvoir : une puissante lumière éblouit l’homme qui ne vit jamais arriver le coup fatal. Retirant sa lame, il se tourna vers les trois survivants. Sylvia se démenait comme une lionne contre les deux derniers combattants, un homme à ses pieds. Sa propre lame virevoltait avec un peu trop de force, faisant fléchir les deux hommes à chaque attaque. Toutefois, ceux-ci prenaient peu à peu l’avantage. Alors que l’un d’entre eux la frappait sur la gauche, l’autre en profita pour la désarmer d’un coup rapide de son sabre.

Désarmée, et se fatiguant peu à peu, elle était en mauvaise posture. Le premier homme se préparait à lui entailler la jugulaire. Vive, elle esquiva le coup à la dernière seconde en roulant au sol près de sa lame, mais le second homme en profita pour se rapprocher. Cependant, jamais il n’eut la chance de finir son mouvement : l’épée de Disçart le transperçait de part en part. Le brigand s’écroula, mais le premier essaya une seconde fois. Pourtant, son coup passa très loin de Sylvia : Disçart venait de lui brouiller sa vision et sans aucune hésitation, il marcha sur ce brigand qu’il transperça de sa lame sanglante, un masque de pierre au visage. Vérifiant que le danger était passé, Disçart expira longuement. Son esprit guerrier s’envolait et déjà, un coutumier dégout amer s’installait au fond de la bouche…

Se tournant vers Sylvia, il vit dans son regard un mélange d’émotions conflictuelles. De la colère? De la tristesse? De l’amertume? Il n’en était pas sûr, mais si c’était le cas, elle en avait tous les droits. Toutefois, il s’approcha quand même de la jeune femme et s’agenouillant à ses côtés, il lui demanda sincèrement :

- Est-ce que tu vas bien?

- Physiquement oui, répondit-elle avec une touche de frustration, mais mentalement ? J’aimerais comprendre pourquoi tu n’as pas seulement incapacité les brigands. À nous deux, il aurait dû être possible de seulement les mettre hors de combat sans leur ôter la vie, non?

Disçart ne répondit pas immédiatement. Les yeux bleus indécis de la jeune femme le perturbaient et il chercha une bonne réponse. Il perdit la notion de son environnement en cherchant les bons mots. La notion de tuer pour un Traqueur lui avait toujours paru une évidence et il ne l’avait jamais remis en question. Pourtant, même présentement, il ne pensait pas avoir fait la mauvaise chose. À eux deux, ils ne pouvaient pas faire des miracles… Quand sa réponse fut prête, il retourna dans le regard de sa compagne. À ce moment, ses yeux bleus s’écarquillèrent de surprises et d’un mouvement précis, Sylvia envoya rouler Disçart. Stupéfait et confus, il vit en se retournant une lame plantée dans le sol où il était précédemment et la lame de Sylvia plantée dans le ventre de l’homme qu’elle avait assommé.

Le temps sembla s’arrêter quelques instants. Alors que le regard de Sylvia s’allumait en réalisant son geste, le corps de sa victime s’écroulait doucement, d’abord sur les genoux, ensuite de tout son long dans un bruit moue. Presque immédiatement après, Sylvia se détourna et elle se mit à vomir goulument. Ses hauts le cœur durèrent pendant une éternité, résonant dans le silence de la nuit. Disçart eut un élan de sympathie pour la jeune femme : il comprenait trop bien. Il alla s’asseoir à ses côtés. Pendant plusieurs instants, il se demanda s’il devait dire quelque chose, faire un petit geste ou rester silence en ne faisant rien. Il avait peur d’être déplacé… Il opta pour la seconde option en lui posa une main dans le dos. Il espérait que cela la réconforterait. Finalement, les hauts de cœur de Sylvia cessèrent et elle fut capable de s’asseoir. Elle évitait de regarder les cadavres etelle tremblait encore du choc.

Disçart décida de garder sa main sur l’épaule de la jeune femme le temps qu’elle récupère. Il était triste de la voir dans un tel état, mais il savait très bien ce que ça faisait de tuer la première fois… Il la regardait avec beaucoup de sympathies, n’osant pas parler le premier. Son souffle devint de plus en plus régulier. Elle lui déclara piteusement et lui demanda farouchement sans oser le regarder :

- Je ne voulais pas tuer… Je voulais éviter… parce que je n’ai aucune idée de comment tu peux faire pour être aussi calme après avoir massacré le camp et continuer d’agir comme si de rien n’était!

Bien que sa voix s’exprimât avec rage, des larmes perlaient de son regard, frappant bien plus Disçart que ses mots. Il lui admit sincèrement :

- J’évite d’y penser… j’évite de penser à mes actes, mais je ne me sens pas tant mieux que toi, même si cela fait des années que j’abats des… des… Tuer ne devrait jamais être banale…

Il fut incapable de continuer, mais Sylvia sembla comprendre bien plus que seulement les mots. Ses yeux bleus se remplirent d’empathie, mais Disçart était incapable de le supporter. Il se détourna de la jeune femme, s’éloignant d’elle. Il y avait des souvenirs qu’il aurait préféré oublier… Il s’éloigna tranquillement et quand il put entendre les pas de Sylvia derrière lui, il accéléra la cadence. Ils ne devaient pas perdre les traces du Prince et de sa garde.

* * *

Rangis était furieux contre Victor : il ne répondait toujours pas à ses questions. Il lui avait posé des questions sur l’Ordre des Traqueurs, mais le vieil homme esquivait les questions sans même un froncement de sourcils. Il rappelait au Prince que l’Ordre avait ses secrets et que seul le Roi avait le droit de les connaître. C’était seulement à l’intronisation à la couronne que le Prince en apprendrait plus. Il se devait d’être patient un peu, le corrigeait Victor. Cela ne faisait qu’accentuer l’exaspération de Rangis : il avait besoin de savoir! Tous ses secrets le rendaient fou! Il voulait en connaître plus sur le genre de personnes que recrutaient l’Ordre, le nombre d’individus, ses buts, etc. Or, il n’y avait rien à faire : Victor restait de marbre. Peut-être qu’il pourrait obtenir des réponses de Sylvia s’il y mettait un peu de temps, mais dans le cas de Disçart, il n’avait aucune chance…

À ses côtés, Galen était mi-figue, mi-raisin : il souriait à moitié quand Victor démontait le jeune homme. Pourtant, il ne se mêlait pas des questions sur les Traqueurs. Il semblait espérer que ce cirque cesse. À la fin, il avait même pris le côté du vieil homme, cherchant à arrêter son ami. Regardant le vieux maître de l’autre côté du feu, Rangis pensa à sa prochaine question. Il n’aurait surement pas plus de réponses précises sur ce qu’était exactement une Bête de sang, mais il aimerait en savoir quand même plus. Les légendes parlaient toujours de magies corruptrices, d’avarices et de mauvaises intentions. Ce n’était jamais très clair. Galen l’interpella, le sortant de sa réflexion :

- Pourrais-tu me dire pourquoi soudainement tu es tant intéressé par les Traqueurs, alors que tu ne poses jamais de questions à Disçart? Tu en es énervant!

- Je… Je… bégaya Rangis surpris par la remarque.

Il avait oublié que Galen n’était pas au courant de tout. Il s’était effondré avant l’arrivée de Disçart… Toutefois, le volumineux personnage n’avait posé aucune question, seulement heureux d’être toujours en vie. Il s’était battu vaillamment, n’ayant aucune honte à avoir. À cause de cela, il ne pouvait pas comprendre l’obsession de son Prince. En plus, Victor faisait tout pour rendre son obsession encore plus évidente! Finalement, Rangis répondit à son ami :

- Je désire en savoir plus sur les gens qui ont la force d’affronter des monstres comme des Bêtes de sang. C’est grâce à eux qu’il y a des survivants. Alors, en tant que futur Roi, j’aimerais bien en connaître plus sur ces protecteurs.

Les yeux de Galen s’écarquillèrent de compréhension et ceux de Victor se plissèrent d’amusement. Il voyait clair dans le jeu du Prince. Or, celui-ci avait l’intention d’avoir au moins une réponse en cette soirée. Il poussa, essayant d’avoir un avantage :

- Je comprends que les Traqueurs fassent des mystères, mais est-ce que les Bêtes de sang méritent le même traitement? Si non, j’aimerais, Maître Victor, savoir ce que ceux-ci sont en vérité.

- La connaissance est une arme dangereuse, jeune Prince, prévint le vieil homme avec un sourire ne se reflétant pas dans son regard. Vous pourriez regretter d’apprendre ce savoir par la suite.

- Si je dois devenir Roi, hésita longuement Rangis, je devrais un jour faire face à cela. L’ignorance pourrait mal influencer mes décisions…

- Ou ses connaissances pourraient faire la même chose, mon Prince, lui sourit Victor, désirez-vous vraiment en apprendre plus, sans personne pour vous en protéger?

Rangis échangea un long regard avec son aînée, un long frisson lui descendant dans le dos...

* * *

Le jour continuait de se lever doucement sur ses terres désolées, et la fatigue gagnait peu à peu Disçart : il avait hâte de rejoindre sa troupe. À ses côtés, Sylvia semblait vouloir s’endormir sur place. Au moindre obstacle, elle avait l’air de vouloir s’effondrer. À plusieurs reprises, Disçart avait réussi à la retenir suffisamment pour qu’elle s’en sorte avec seulement quelques hématomes. Or, ils ne leur restaient plus très longtemps à se trainer dans la poussière avant d’avoir rejoint les autres. Le jeune homme s’était assuré de couper suffisamment pour être capable de rattraper les autres sur leur trajet. Ce trajet n’avait pas été le plus agréable : plus de terrains imprévisibles, des pentes ardues, des descentes à quatre-vingt-dix degrés, des buissons désagréables et des irrégularités du sol bien dissimulées.

Pourtant, ils étaient sur le point d’arriver. La mission était accomplie et ils pourraient enfin se reposer un peu. Se promener toute la journée précédente, se battre, se promener toute la nuit, se battre encore pour enfin revenir n’avait rien fait pour reposer le duo. Or, ce serait bientôt fini. Disçart pouvait voir le chemin devant lui. Une partie de son énergie revenait déjà. Il pointa cela à Sylvia qui eut, elle aussi, un regain d’énergie. Ce dépêchant, les deux compagnons atteignirent la route. Elle ne fut pas des plus intéressantes : complètement, déserte, il n’y avait même pas de traces de leur troupe. Déçu de ne pas les voir, le jeune homme regarda sa compagne. Elle aussi semblait désappointée de ne pas voir la garde royale. Il n’aima pas son regard. Hésitant et bégayant presque, il dit :

- Le soleil vient à peine de se lever. Nous devons être en avance sur eux.

La jeune femme ne répondit pas. Elle hocha simplement de la tête avant de s’asseoir au sol. En fait, elle sembla pratiquement s’écrouler : elle était épuisée. Disçart l’observa quelques instants avec peur. Il espérait qu’elle n’en avait pas trop fait. Soudainement, une idée le prit : si la troupe était passée, il y aurait des traces. Ainsi, le Traqueur se mit à la recherche du passage de ses amis. Il ne trouvait rien, mais cela ne fait rien pour le rassurer. Il angoissait en se demandant s’ils étaient passés ou non. Un petit bruit se fit entendre qui arrêta brusquement Disçart. Le bruit ressemblait à l’écho des pas de chevaux dans un terrain à découvert. Des gens approchaient. Le son augmenta peu à peu. Le jeune Traqueur remarqua aussi le son du cliquetis des armures et des armes. C’était une bande armée. Il espéra très fort que ce soit le Prince. Si c’était une bande de brigands, il n’aurait pas la force de faire grand-chose et Sylvia, pas beaucoup plus.

Finalement, la troupe dépassa une petite bande de terre, et le sombre jeune homme put enfin les voir. Portant le noir et le rouge royaux, les cavaliers avançaient dans un ordre bien discipliner. Disçart se permit un long soupir : c’était une troupe royale. Ils n’avaient rien à craindre! Disçart se tourna vers sa compagne pour la prévenir, mais celle-ci s’était endormie sur le bord de la route. La voir ainsi fit sourire le jeune homme : elle en était mignonne… Malheureusement, mieux valait la réveiller. Il s’agenouilla à ses côtés pour la secouer un peu. Quelque peu dans les vapes, elle ne posa aucune question suivant seulement le mouvement de son compagnon.

Peu à peu, la troupe devenait de plus en plus visible et de plus en plus bruyante, la rendant impossible à ignorer. Quand les cavaliers furent assez près pour remarquer le duo, l’un d’entre eux s’élança. Il ne portait pas les couleurs du Roi et des cheveux gris encadraient son visage grisonnant. Disçart reconnut facilement Victor qui avait l’air radieux de plus en plus près. Sa colère semblait complètement envolée et quand il fut près de ses cadets, il sauta souplement de son cheval, se rapprochant rapidement pour voir leur état. Son visage sembla soucieux quelques secondes, mais cela ne dura pas : les deux apprentis n’avaient aucune blessure et ils étaient conscients. En attendant le reste de la troupe, Victor fit rapidement asseoir Disçart et Sylvia sur le bord de la route en les voyants si peu vaillant. Ils avaient clairement besoin de repos! Tout de même, le premier désirait savoir ce qu’il s’était passé. Or, la jeune femme se remit à somnoler presque aussitôt et ce fut son compagnon qui dut raconter :

- Nous avons retrouvé des brigands au courant de la nuit, maître Victor. Plusieurs s’étaient séparés du groupe avant et ils ont laissé beaucoup de traces. De cette bande, seulement sept s’étaient regroupés. Les autres se sont enfuis chacun dans sa direction.

- Et pourquoi celui-là plutôt qu’un autre? demanda l’aîné.

- Ils étaient les plus nombreux, répondit en haussant les épaules Disçart. Je ne pense pas que les autres étaient plus de deux à se séparer. Après l’attaque, il ne devait pas y avoir plus d’une douzaine de survivants. Nous avons suivi un groupe de sept individus.

- Parfait, appuya Victor d’un hochement de tête. Que s’est-il passé ensuite?

Disçart lui expliqua brièvement. Il parla de l’embuscade et de la manière qu’ils avaient pris les brigands par surprise en attaquant par les deux côtés. Après quelques secondes d’hésitation, il révéla une partie de ses pensées sur Sylvia :

- Je ne sais pas si elle est prête à affronter la réalité d’un Traqueur, maître Victor. L’idée de tuer lui est difficile et elle semble manquer l’entrainement d’un agent de terrain. Si elle avait été seule, je n’aurais misé sur sa victoire.

Le visage de son interlocuteur perdit de sa bonne humeur et le souci pouvait se lire sur son visage. Pourtant, il ne semblait nullement surpris par les propos de son cadet. Sylvia, à côté, ne remarquait nullement qu’on parlait d’elle. Elle somnolait tranquillement en étant sur le point de s’effondrer pour s’étendre. Pourtant, Victor répondit à voix basse à Disçart :

- Je ne te donnerais pas tort, mais je ne crois pas que tu es au courant de tout.

- Que voulez-vous dire, Maître? Interrogea Disçart qui continua impunément en ne laissant pas le temps à son interlocuteur de parler. Les Traqueurs sont choisis en très bas âge pour s’assurer du meilleur entrainement possible. Ils sont formés intensivement à leurs futures tâches et ils ne sont pas envoyés en mission avant d’être sûrs d’être prêts. Du moins, sans superviseur.

- Tu as bien appris les leçons de Nirk, jeune homme, commença un Victor froissé, mais je ne pense pas que tu as réalisé certaines choses. Déjà, est-ce que tu réalises que tu ne fais pas partie de ce que tu viens de dire?

La réplique bouche-bas Disçart. Il n’y avait jamais pensé, mais il se força à hocher de la tête : Victor avait parfaitement raison. Cette idée l’ébranlait. Son aîné continua :

- Ensuite, tu n’es pas la seule exception : Sylvia est comme toi. Elle est une jeune fille recrutée tard par l’Ordre. Par mes soins, devrais-je préciser. Exactement comme toi avec maître Nirk. Est-ce que tu comprends le schéma?

- Oui, je crois bien, répondit Disçart qui réfléchissait à toute vitesse. Ceux qui trouvent des candidats avec dû potentiels, mais à un âge tardif, peuvent les recruter, et ils doivent veiller à leur entrainement et leur éducation, je crois?

- C’est presque ça, approuva Victor sérieusement. Un Traqueur qui rencontre un candidat avec un grand potentiel se doit de le ramener aux membres dirigeants de l’Ordre. Évidemment, on privilégie la persuasion. Nous serions barbares que de forcer les gens à nous rejoindre. Pourtant, certaines situations nous forcent la main. Après cela, ce sont les têtes dirigeantes qui décideront du sort du candidat. Comme dans ton cas et celui de Syliva, ce sont ceux qui vous ont trouvés qui ont reçu le devoir de vous éduquer. Donc, la formation est très différente.

Disçart écoutait attentivement Victor en regardant le reste de la troupe approchée. Il serait bientôt temps de repartir. Cependant, des questions se formaient dans son esprit. Sa curiosité grandissait et il demanda à son mentor :

- Que peut-il se passer dans d’autres cas que le mien et celui de Sylvia?

- Il y a de nombreuses possibilités, commença sombrement Victor en regardant les cavaliers, et certaines sont particulières. Par contre, je laisserais quelqu’un d’autre que moi te parler de sujet dans un moment plus propice.

Victor mit un terme à ce sujet et d’un simple signe, il fit comprendre à Disçart de se taire. Celui-ci n’insista pas et il prit l’initiative de réveiller sa condisciple. Il aurait trouvé ça un peu méchant de ne pas le faire et de l’exposer à tout le monde. Surtout qu’il la comprenait mieux même s’il lui manquait beaucoup de détails : alors que son entrainement était avancé, il lui manquait quand même beaucoup de choses à apprendre et maître Nirk ne l’avait jamais envoyée en mission sans surveillance. C’était de la faute de Disçart, de lui-même, de ne pas avoir pris en compte l’idée que l’entrainement de Sylvia n’était pas rendu à son niveau, qu’elle était comme lui il y a quelques années... Le jeune homme se sentait mal en la réveillant. Celle-ci sembla perdue pendant quelques moments, mais elle suivit le mouvement de son aîné quand même.

Lorsque le prince Rangis arriva à la hauteur du trio, les autres gardes s’écartèrent pour laisser le libre champ au premier. Dans un mouvement presque coordonné, Disçart et Victor firent une révérence, suivis de Sylvia qui était plus ou moins consciente du moment. Rangis leur accorda un hochement de tête et il repartit simplement. Un garde amena deux montures libres aux deux jeunes gens. Victor reprit sa propre monture. En montant en selle avec beaucoup de maladresse (pour une fois, il n’était pas le seul!), l’attitude de son ami le laissa perplexe : regard distant, lèvres pincées, expression froide, même pas une parole, épaules très droites. Il semblait fâché, mais le jeune Traqueur n’aurait su dire pourquoi. Se décidant à en savoir plus après un moment, il fit accélérer sa monture pour aller se mettre à sa hauteur. Sans prendre le temps d’avertir quand il fut rendu très près, il lui demanda :

- Est-ce que tout va bien, Ran?

Avant d’avoir la réponse de celui-ci, il eut un mouvement de recul en voyant sa réaction. Derrière le Prince se trouvait Galen, faisant de gros mouvements pour lui déconseiller d’agir. Il se demanda s’il n’avait pas fait une erreur. Alors que le Prince allait pour répondre, le reste de la troupe s’arrêta et des s’exclamations fusèrent. On cherchait à savoir ce qu’il se passait. Un ordre parvient jusqu’à Disçart et ses amis : Victor faisait demander le jeune Traqueur à l’avant de la cohorte. Celui-ci se dépêcha, mettant son cheval au trot au sein de la troupe. Les soldats s’écartèrent à son passage et il rejoignit son aîné rapidement. Ce fut au tour de ce dernier d’avoir l’air mécontent. Il se tenait devant un croisement et il parlait à un garde qui partit aussitôt dès que ce fut fini. Le cadet s’approcha lentement. Victor détourna le regard vers le chemin en attendant d’être rejoint. Sur un ton que Disçart croyait être le seul à entendre, Victor lui dit :

- Il est l’heure que tu partes rejoindre la Forteresse, jeune homme. Il est temps de nous séparer…

Disçart fut quelques secondes sous le choc : il avait complètement oublié! Une vague d’anxiété le frappa violemment. Il aurait aimé protester, mais aucune idée cohérente ne lui venait. Soudainement, la royale voix se fit entendre :

- Qu’est-ce que cela veut dire, Victor? Pour quelles raisons Disçart devrait partir?

- Ce sont des raisons qui regardent l’Ordre, répondit Victor en posant un regard doux sur Disçart. Ce départ a été choisi avant même votre départ, mon Prince.

- N’est-il pas l’une de mes lames? demanda Sa Majesté. Une des lames qui assure ma protection personnelle?

- C’est le cas, approuva Victor en tournant son regard vers son interlocuteur, et c’est la raison de ma présence et de la présence de Sylvia : assurer votre sécurité.

- J’aimerais quand même avoir la raison de ce choix? Poussa Rangis.

- Vous demanderez à votre père, le Roi, répondit Victor, puisque je suis moi-même ignorant des raisons.

Rangis acquiesça et il se détourna. Sa frustration n’était que trop visible. Presque au même moment, le garde avec qui avait parlé Victor revient avec des victuailles. Disçart soupira longuement et il sourit tristement : il n’aurait pas le choix après tout. Le vieil homme descendit de son cheval et prenant la nourriture, il l’attacha à la selle de son cadet. En le faisant, il eut quelques mots pour ce dernier :

- La Forteresse est un univers très différent de celui de la citadelle royale. Les Traqueurs sont des gens extrêmement... variés. Tu te souviens des six pièces de la Tempête ? (Disçart acquiesça d’un hochement) Tu te rappelles à quel point chacun est différent? (Disçart acquiesça encore plus vigoureusement) Attends-toi à rencontrer le pire comme le meilleur là-bas. Les Traqueurs ne sont pas tous de bonnes personnes, mais si tu restes honnête à toi-même, tout devrait bien aller.

Ses dernières paroles tournèrent dans l’esprit du jeune homme. Il ne savait pas encore quoi faire avec. Cependant, le départ ne pouvait plus attendre et tournant le regard derrière lui, il eut une légère déception : la plupart l’ignoraient, Sylvia le regardait étrangement et le Prince avait détourné le regard. Seuls Galen et George le saluèrent d’un même mouvement avec un sourire encourageant. Victor lui tapota la jambe et sans plus attendre, Disçart s’élança dans le chemin de droite vers un angoissant destin.

* * *

Sylvia regarda partir Disçart avec un léger pincement au cœur. Elle n’aurait pu dire la raison, mais elle était peinée de perdre sa compagnie. À l’exception de Victor, elle ne parlait à personne. Le reste du voyage serait monotone… Elle n’eut que peu de temps pour y réfléchir avant que le reste de la troupe se remette en route. Il y eut un peu de bousculade, mais ce ne fut pas long avant que la mise en route soit complète. Sylvia se trouva en arrière de colonne, ce qui ne la dérangea pas trop. Or, Victor apparut à ses côtés avec un air trop neutre. Son visage était vide, fixé droit devant lui, sa bouche souriait seulement à moitié et ses mains serraient fortement ses rennes. Elle le côtoyait depuis suffisamment de temps pour savoir que le vieil homme n’était pas dans son meilleur état.

Pourtant, elle n’osa pas ouvrir la discussion. Ainsi, le duo marcha un moment silence. Les terres désolées commençaient, peu à peu, à se transformer en terre forestière en même temps que la route descendait en altitude. Ce ne fut pas bien long avant que la troupe se retrouve dans une forêt luxuriante où la lumière diminua sous les arbres. C’est à ce moment que Victor se décida à sortir du silence en s’adressant à Sylvia tout bas :

- Que penses-tu du départ de Disçart?

- Je n’en sais rien, puisque je n’y comprends rien, expliqua Sylvia avec une pointe de découragement. Je ne comprends pas pourquoi c’est lui qui doit aller à la Forteresse, alors qu’il est bien meilleur que moi. La Forteresse est pour les apprenants. Disçart est clairement à un autre niveau et… et… et je ne suis pas à son niveau comme Traqueuse!

Sylvia expulsa ses derniers mots difficilement. Ils étaient pratiquement restés pris dans sa gorge nouée. Cet aveu lui faisait très mal à l’orgueil, mais en même temps, elle eut un léger soulagement à le faire. Quelqu’un était enfin au courant! Depuis sa rencontre avec le froid jeune homme, elle avait l’impression de n’avoir aucun talent! Cependant, son maître la regarda doucement, presque paternellement. Il lui avoua :

- Je ne t’ai pas pris sous mon aile, alors que tu dépassais l’âge des nouveaux à la Forteresse sans raison, ma jeune apprentie. Tu n’es pas rendu au niveau de Disçart, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire que tu ne vaux rien. Il s’entraine depuis plus longtemps et plus intensément. Maître Nirk n’est pas le plus conciliant avec ses apprentis.

- Alors, pourquoi est-ce lui qui va à la Forteresse? répliqua une Sylvia confuse.

- Ce n’est pas pour l’entrainement que l’Ordre a décidé de l’envoyer à la Forteresse, répondit mystérieusement Victor.

- Mais pourquoi alors? insista la jeune femme.

- Ceci regarde l’Ordre, répondit Victor qui essaya de mettre fin à la discussion.

- Alors, pourquoi est-ce que je n’y vais pas? s’exclama Sylvia.

- Parce que tu n’es pas prête, conclut le vieil homme sur un ton ferme.

La jeune femme n’insista pas plus. Elle était frustrée, mais quand son Maître faisait des mystères, il n’y avait rien à faire pour lui faire avouer quoi que ce soit. Elle se renfrogna sur sa selle, remâchant les paroles de Victor. Disçart était prêt pour quelque chose. Quelque chose qui importait à l’Ordre. Et l’Ordre n’était pas prêt à l’avouer.

* * *

Rangis regardait son ami partir au galop. Du moins, celui qu’il croyait connaître comme ami. Il était amer et frustré. Amer qu’on le garde dans le secret le plus total. Frustré de ne pas contrôler ses émotions. Il avait vu la déception dans le regard de Disçart avant qu’il ne se retourne… Il avait toujours été isolé et Rangis aurait dû être plus chaleureux, alors que son sombre compagnon partait seul dans l’inconnu! Bordel… Bordel! Bordel qu’il détestait la situation présente! Il aurait tant aimé juste pouvoir un peu mieux comprendre! Pourtant… et pourtant, il ferait peut-être mieux de moins en savoir. Disçart, l’un de ses meilleurs amis, son allié le plus fidèle, son confident… et Rangis découvrait qu’il en savait si peu sur lui…

Le Seigneur de Fronnassaux lui avait mis un doute sur la magie et ses bienfaits. Depuis leur discussion, le Prince avait gardé quelques doutes, mais il faisait confiance au jugement de Disçart sur ce sujet. Il avait toujours défendu la magie avec beaucoup de véhémence. Voilà que les Bêtes de Sang avaient tout changé. Les révélations de Victor l’avaient ébranlé. Ce dernier lui avait appris ce qu’elles étaient. Elles n’étaient pas de simples monstres. Et non! Elles étaient, avant d’être cela, des hommes et des femmes plus qu’ordinaires. La seule différence qu’elles avaient avec les autres humains était leur capacité à utiliser leur don et canaliser la magie. C’était des magiciens! Des magiciens corrompus par leur propre don. Des magiciens dévorés par leur « soif » de magie. Le Prince serra encore plus fort la bride de son cheval. Incapables de se contrôler, ses mages se laissaient dévorer jusqu’à devenir fou. Leur corps se transformait pour répondre à cette soif, devenant des monstres incapables de se rassasier. Le Prince se mit à serrer des dents encore plus fort. Quand ils devenaient de véritables Bêtes de sang, plus rien n’était possible pour sauver les personnes derrière. Elles étaient condamnées à vivre jusqu’à ce que quelque chose les élimine.

Des larmes montèrent aux yeux du Prince refusait de regarder ailleurs que droit devant lui. Il ne savait même pas dans quelle direction la troupe allait. Il ne faisait que suivre les cavaliers devant lui, répondant par monosyllabe aux questions qu’il entendait à moitié. Il aurait peut-être mieux valu qu’il reste dans l’ignorance finalement, mais il n’avait pas pu s’en empêcher! Il avait demandé quels étaient les autres dangers pour les manipulateurs de magie. Le vieil homme lui avait posé en retour : « comme celui qui plane au-dessus de la tête de Disçart? ». Rangis n’avait pu que hocher de la tête tant il était devenu anxieux de savoir. Qu’est-ce qui pouvait menacer son ami et que pouvait-il faire pour l’en protéger? L’héritier du Trône avait tant voulu savoir : être enfin utile à son ami. Il n’avait jamais autant regretté son choix! Il était, en fait, complètement impuissant.

Victor lui avait expliqué que lorsqu’un magicien, plus rarement un sorcier (Rangis ne sachant pas vraiment la différence entre les deux), canalisait le pouvoir, il créait des remous dans l’univers. Plus un magicien canalisait, plus les remous étaient forts, pouvant se transformer d’un frémissant à un gigantesque raz-de-marée. Dans l’univers, un grand nombre de choses existaient et il était de mieux de ne pas attirer l’attention de certaines… Beaucoup d’apprentis perdaient la vie si personne ne faisait attention. Pour une raison que la majorité ignorait, Disçart avait survécu, mais à quel prix et pour combien de temps? Les dents douloureuses, les interrogations tournaient dans la tête du Prince. Il se demandait vraiment quelle attitude à avoir avec sa lame : était-il un ami ou un ennemi à éliminer?

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