Floraison de sang

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La vie est un immanquable hasard,
Où tout se mélange dans un bazar.
Que ce soit des vils démons carnassiers
Où de supposément purs anges justiciers.

En quittant l’auberge, plusieurs réflexions assaillirent Sylvia. Elle connaissait très mal le Prince et son entourage: Galen, Disçart et George pour ce qu’il en restait. Or, quelque chose dans leur dynamique n’avait aucun sens. Dès que le Prince avait l’impression que personne ne le regardait, son regard devenait noir, dès que la mention de Disçart était faite, un léger tremblement le prenait et dès qu’il voyait l’un de ses amis, il sursautait quelque peu. Par contre, elle n’aurait pas pu dire la raison exacte ou même si cela était même anormal : elle venait à peine de les rencontrer. Alors, celui-ci pouvait tout simplement être comme ça… ou peut-être que les derniers évènements l’avaient affecté durement. Après tout, elle avait vu le carnage… Des corps partout, du sang à noyer la terre, une créature de cauchemars… Elle n’irait surement pas bien elle non plus si elle avait été présente. Rangis et George semblaient être sur le point de voir des cauchemars à tout moment. Leurs yeux étaient hantés par des ombres et les cernes restaient toujours aussi forts des jours après.

À l’opposé, Galen et Disçart débordaient d’énergie! Du moins, assez d’énergie pour être désagréable alors même qu’ils étaient affaiblis par les blessures et les épreuves. Grr… Le premier avait la main facile et baladeuse, essayant de se promener sur beaucoup de serveuses… Ses échecs répétés n’avaient nullement amoindri sa motivation. Elle espérait juste que le regard de l’énorme protecteur ne se tourne vers elle… Et Disçart! Même s’il avait repris conscience que récemment, il était tellement mal commode! Elle n’était pas sûre si elle aurait préféré qu’il soit encore inconscient! Alors qu’il n’était qu’un apprenti, il agissait avec l’assurance d’un membre à part entière de l’Ordre! Il discutait toutes les décisions de son maître… et chaque fois qu’il s’adressait à elle, il était d’une impolitesse! Quelque chose lui disait que ce n’était pas complètement méchant : Pour un membre de l'Ordre, il était d'une maladresse parfois… Quand elle fronçait les sourcils après une de ses remarques, indubitablement, l’une de ses mains allait à son visage et un sourire stupide apparaissait sur son visage.

Au moment du départ et au moment où chacun était monté sur sa monture, elle n’avait pas pu s’empêcher de sourire : Disçart avait réussi l’exploit de tomber du dos de sa monture, monture pourtant très docile. Même présentement, sur la route, pas très loin d’elle, il ne semblait pas très à l’aise, tanguant presque comme s’il était sur un navire se trouvant sur une mer agitée. Elle ne comprenait pas ses difficultés. Montée à cheval était une seconde nature pour elle. À un moment, il tourna son regard vers elle et elle ne put s’empêcher de lui sourire. En retour, elle eut droit un regard envieux, mais avec le sourire le plus hésitant qu’elle avait jamais vu. Elle se retient de rire : elle ne voulait pas s’attirer les foudres de son mauvais caractère.

Depuis le départ de l’auberge, la route s’était faite dans le silence : tous les gardes craignaient une nouvelle attaque, une frappe sanglante. Pourtant, la route après la forêt de Sanranine était une série de valons fertile et de terre inhabitable. Plus au Nord, il se trouvait des landes sèches, de roches et de poussières où presque rien ne vivait. Embusqué la troupe se révèlerait bien plus difficile. Jusqu’au soir, la troupe n’avait pas fait de halte et le silence perdurait. Ça avait été une longue et ennuyeuse journée… Monté le camp fut d’une efficacité tel que Sylvia se sentit même inutile. Le Prince ne desserrait toujours pas les dents, mais à chaque fois que ses yeux tombaient sur Disçart sans que celui ne le voit, du feu imprégnait son regard. Cependant, quand son ami se tournait vers lui, le Prince se forçait à sourire.

Soudainement, maître Victor apparut à ses côtés : jamais, elle ne l’avait entendu venir. Le cœur en chamade et les yeux écarquillés, elle attendait, prête à sauter, tel un chat. Maître Victor, fier de son effet, lui déclara avec un sourire :

- Il est temps de t’occuper un peu : un peu d’entrainement te fera du bien à toi et à Disçart.

Sylvia acquiesça et elle remarqua à ce moment la présence de son compagnon d’armes. Il semblait suivre de très mauvaise volonté son maître. Il semblait las de sa journée. Syliva demanda poliment à Victor :

- Où devons-nous aller, maître?

- Où vous le désirez! s’exclama l’interloqué. Cela ne change absolument rien. Je vous demande juste de vous éloigner quelque peu du camp. Je crois que tu préférerais avoir un peu de discrétion pour un premier échange.

- Ne venez-vous pas avec nous, maître? Demanda l’apprentie aux cheveux châtains

- Non, j’ai de menus détails à m’occuper et vous êtes bien assez vieux pour vous entrainer seul.

Sur ces mots et un petit sourire, l’homme grisonnant s’éloigna, laissant les deux jeunots ensemble. Sans un mot, Disçart s’éloigna du camp et Sylvia, un peu estomaquée par ce qui se passait, ne fit que la seule option qui s’offrait elle : elle le suivit. La soirée ne commençait pas de la meilleure manière : le jeune homme lui avait à peine adressé la parole et il s'imprégnait d’un manteau de silence. À quelques pas du camp, sans être loin, mais sans être proche, plus ou moins à vue, son ainé s’arrêta et il se retourna. Dégainant son épée lentement, il semblait plus ou moins avoir envie de faire cet échange. Il était las, épaules voutées et regard vide.

Selena ne le remarqua pas, trop pressé qu’elle était d’imiter son compagnon. Ce duel la rendait particulièrement anxieuse : Disçart était l’apprenti du grand maître Nirk. Il serait clairement redoutable! Et elle… et elle… et elle n’avait peut-être pas le même talent que lui ou le même temps de pratique. Disçart devait être sous la tutelle de maître Nirk depuis des années… et elle n’était une apprentie traqueuse que depuis trois ans… Or, cela n’était qu’un entrainement! Mais elle aimerait quand même ne pas s’humilier… Épaules trop droites, regard par terre, léger tremblement : . son attitude dû la trahir, car Disçart lui demanda :

- Es-tu habituée de t’entrainer avec ta lame ou préfères-tu des épées d’entrainement ? Je ne suis pas vraiment au courant des façons de Victor…

Sylvia plissa les yeux en entendant ses paroles. Manquait-il de respect à son maître et est-ce qu’il la prenait de haut avec sa question? Elle lui répondit sèchement que sa lame lui irait parfaitement. Une flamme colérique brulant dans ses yeux, la jeune femme se positionna pour se préparer à combattre. Une main se grattant la tempe et poussant un long soupir, son adversaire semblait tout sauf motivé. Tout cela semblait l'ennyer. Pourtant, il se positionna tout de même, prêt à en découdre. Sylvia se demanda le problème du jeune homme : être toujours aussi détestable et malcommode devait être épuisant à un moment.

Ainsi, dans un élan colérique, elle se jeta sur son adversaire. En trois pas, elle fut sur lui, visant ses jambes de sa lame longue. Disçart bloqua aisément le coup, se déplaçant d’un léger mouvement avant de contre-attaquer. La danse commença : les deux participants tournants aux sons et aux mouvements de l’autre. Rapidement, Sylvia constata la différence de niveau qu’elle avait avec son compagnon. Peu importe ses parades ou ses feintes, elle n’arrivait jamais à le déstabiliser. Il parait aisément, évitait légèrement ses attaques, déviait sans même un effort. Elle fonça dessus pour limiter sa portée. Toutefois, Disçart avança en même temps, la bousculant. Elle en perdit l’équilibre, se retrouvant sur les fesses. Elle avait tout donné, et voilà qu’elle finissait sur cette position humiliante! Le pire : son adversaire s’ennuyait clairement! Définitivement, elle était de mauvaise humeur! Restant assise, elle avait besoin de reprendre son calme et son souffle. Pourtant, le jeune homme frustrant vint s’asseoir à ses côtés, lui demandant avec douceur :

- Est-ce que ça va?

- Je vais bien, répondit-elle un peu brusquement.

- Tant mieux, commença Disçart. Tu manques d’expérience, mais tu as une belle base. C’est juste que ce n’est pas adapté à un vrai combat. Je pouvais aisément prédire tes coups…

- Et que puis-je faire pour arranger ça? demanda la mécontente jeune femme.

- Simplement, je peux t’aider à t’adapter, lui répondit son compagnon avec un doux sourire.

Sans vraiment comprendre pourquoi, Sylvia sentit son rythme cardiaque s’accélérer. Son cœur battait de plus en plus vite plus qu’elle fixait ses yeux doux. Il n’était pas laid quand il souriait…

* * *

Quelques jours plus tard sur la route vers le duché de l’Ouest, Sylvia repensait aux derniers jours : Disçart était une étrange énigme. Presque tous les soirs, les deux jeunes gens s’étaient entrainés ensemble, mais elle avait été incapable dans savoir plus. Il possédait une attitude désagréable sans aucun savoir-être, mais en même temps, il pouvait devenir tellement gentil et même d’agréable compagnie. Elle ne comprenait pas… Présentement, il avançait aux côtés du Prince, de son Protecteur et de maître Victor, l’air complètement las et désintéressé de la discussion entre le premier et le dernier. Quand leurs regards se croisaient, il lui sourit et son cœur recommençait à accélérer… Ça n’avait aucun sens…

Soudainement, Victor se trouva à ses côtés. Il avait laissé le Prince à ses discussions, un Prince qui semblait d’assez mauvaise humeur, pour venir la rejoindre. Il avait son coutumier air serein et ses cheveux gris brillaient presque sous le soleil de midi. Elle le voyait parfois comme un deuxième père, ou un oncle, avec son attitude toujours conciliante même dans ses pires bêtises. Sans vraiment parler, il lui fit comprendre qu’il désirait s’éloigner de la troupe en accélérant un peu. Aussitôt, le duo prit les devants et ils s’éloignèrent jusqu’à ce que personne ne puisse les entendre clairement. À ce moment, Victor lui demanda en parlant de Rangis :

- Comment trouves-tu la présence du trône et de sa compagnie, ma petite Sylvia?

- Je m’attendais à autre chose, admit l’interloquée.

- À quoi t’attendais-tu? insista le vieil homme pour en savoir plus.

- À une ribambelle de serviteurs courant en tous sens, commença la jeune femme, cherchant à répondre aux moindres désirs du Prince. Je me serais attendu à rythme plus lent.

- Donc, est-ce une bonne surprise ou... Ne termina jamais le serein personnage.

- Cela dépend, répondit Sylvia. Le Trône semble pouvoir affronter les épreuves des hommes, mais en même temps, il semble tellement taciturne que je ne saurais dire si c’est mieux qu’être volage. Par contre, son Garde du corps est méprisable!

- Que penses-tu de son Traqueur, demanda Victor avec un certain amusement

Elle ne répondit pas immédiatement, préférant penser avant de parler. Ses pensées étaient particulièrement ambigües quand elle pensait à lui et elle ne savait quoi répondre de compréhensif à son maître. En fait, elle n’était pas très à l’aise de révéler ses pensées à cette figure paternelle. Disçart lui provoquait des réactions qu’elle n’avait pas envie de parler à personne présentement, surtout pas à un membre de sexe opposé. Faisant le tri dans ses réflexions, elle ne remarqua pas vraiment la pente que les chevaux montaient. Au sommet, elle se décida à parler :

- Je ne sais pas vraiment quoi penser du Traqueur du Prince. Disçart est to…

Toutefois, la jeune femme fut coupée par ce qu’il se trouva de l’autre côté du sommet : une caravane marchande attaquée par une horde de brigands. Au premier coup d’œil, il devait y avoir une vingtaine de personnes du côté marchand, dont la moitié armée, alors que les brigands semblaient être proches d’une trentaine. La différence était que l’ensemble était armé et semblait particulièrement désireux d’un peu de sang. Instantanément, Victor réagit en se précipitant vers le combat et il cria à Sylvia :

- Fais accourir la garde! Leur aide ne sera pas de trop!

Sans un mot, Sylvia fit tourner son cheval vers la troupe du Prince, se dépêchant d’aller alerter le reste des hommes. Sans le remarquer, le duo s’était éloigné énormément de la compagnie : celle-ci ne se trouvait même pas encore près du bas de la pente. À sa surprise, elle faillit foncer dans le cheval de Disçart. Il était sur le point d’être au sommet. Son visage trahissait son étonnement et Sylvia bégaya :

- Il y a… Il y a…. Il y a…

- Qu’est-ce qu’il y a? demanda le jeune homme en fronçant les sourcils.

- Par les dieux, il y a une attaque sur une caravane? Déglutit finalement Sylvia qui avait le cœur en chamade sans trop savoir pour quelle raison désormais.

Instantanément, Disçart partit au galop, en perdant presque l’équilibre, sans poser de question. Il acquiesça seulement d’un mouvement de tête avant de disparaitre. Sylvia repartit avec un temps de retard. La compagnie devait se dépêcher pour aider les marchands, Victor et Disçart. En aider autant que possible! Précipitant son cheval, un détail clochait : la compagnie semblait avoir pris de la vitesse, puisqu’au bas de la pente, cette dernière était pratiquement déjà arrivée. Un autre détail était étrange : les soldats semblaient moins nombreux. Sylvia comprit en retard : la troupe s’était séparée et une quinzaine d’entre eux se dirigeait vers elle, George à leur tête, demandant :

- Que ce passe-t-il, jeune demoiselle? Nous avons vu Disçart partir au galop et ton retour précipité ne peut qu’être qu’un mauvais signe.

- Il y a une attaque plus loin sur la route et la caravane aurait certainement besoin de nous.

- Vites messieurs, clama le Capitaine à la ronde. Une caravane a besoin! (Plus bas, en retournant son regard vers Sylvia pendant que les soldats partaient au galop) Vient avec nous, le Prince n’a pas à se mêler de cela.

Sylvia acquiesça en retard. Elle n’était pas sûre si elle ne devait pas aller faire un rapport à Sa Majesté, mais en même temps, elle doutait de la nécessité de sa présence sur le champ de bataille : il serait toujours temps de lui faire un rapport après la bataille… croyait-elle? Alors, sans un mot, elle se tourna pour suivre le reste des soldats. En faisant le chemin inverse, Sylvia se demandant si elle serait utile durant ce combat ou même s’ils arriveraient à temps. Elle n’avait pas le talent de Disçart ni l’expérience de Victor. Elle ne s’était jamais trouvée dans une telle situation… L’anxiété la grugeait peu à peu. En fait, l’anxiété grugeait tous les soldats présents, leur visage devenu dur dans le moment précédent le combat, mais cela, Sylvia ne le remarqua pas, trop concentrée qu’elle était sur elle-même. Au sommet de la colline, sans un mot, la compagnie chargea les brigands.

Sylvia se trouvait en fin de peloton, mais elle pouvait voir la scène. Il y avait des corps étendus autour et à l’intérieur du demi-cercle de protections créée par les hommes armés de la caravane. Des flèches étaient plantées dans les roulottes. Les brigands maintenaient une pression sur le demi-cercle qui semblait pouvoir rompre à tout moment. Cependant, ce qui limitait la pression se trouvait à être deux hommes à l’arrière des lignes des voleurs : Victor et Disçart distrayaient les archers et les renforts. Les brigands ne virent jamais la troupe arrivée. Les cavaliers chargèrent en se faisant remarquer seulement au dernier moment. Les brigands n’eurent jamais le temps de se préparer et le tout devint un beau chaos. Les corps tombèrent comme des mouches et les survivants se débandèrent aussi vite que possible, abandonnant les morts et les blessés.

Le combat se termina brusquement avant même que Sylvia ait même l’occasion de ferrailler. Disciplinés, les soldats attendirent la suite des ordres. La priorité de George était la sécurité des marchands et du périmètre. Victor et Disçart se joignirent au reste de la troupe, couvert de sang et d’égratignures. Les deux semblaient fatigués, les épaules voutées et l’épée trainante. Rapidement, les marchands sortirent de leurs roulottes, venant remercier grassement leurs sauveurs de paroles et de prières. Or, Victor les ignora superbement pour se tourner vers ses deux jeunes Traqueurs, un éclat dans le regard. Cet éclat ne disait rien de bon à Sylvia. Sans aucune pitié, il dit avec un ton qui ne lui ressemblait pas :

- Disçart? Sylvia? Poursuivez les survivants! Qu’il n’en reste aucun pour reconstruire cette bande de crétin de putain!

Dans le même mouvement, les deux acquiescèrent, mais Sylvia eut une bouffée d’angoisse en entendant cette demande. Elle n’aimait pas beaucoup l’idée…

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