Cauchemars et réalité

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De terribles démons,
Couvent dans les tréfonds,
Rien ne peut les empêcher,
De revenir du passé.

Par la fenêtre givrée, Disçart voyait la neige tombée. Elle virevoltait dans tous les sens, à recherche de la moindre prise, de la moindre cachette. Les rafales pourchassaient les petits cristaux qui tombaient par milliers, tapissant le décor d’une lourde couverture blanche. Le jeune homme pouvait même entendre le mugissement du puissant vent, hurlant toute sa rage contre le monde. Il ressemblait aux cris d’un monstre gigantesque. Il était si terrible que la petite maison gémissait sous ses assauts incessants, grinçants de toutes ses planches, essayant de tenir contre la nature déchaînée. La maison était faite d’une seule grande pièce : le lit était d’un côté, la cuisine de l’autre en compagnie de la cheminée. Une petite table, près d’un garde-manger, permettait de préparer la nourriture et de manger à celle-ci. Les seuls autres meubles étaient une armoire pour la vaisselle et un gros chaudron pour faire cuire la nourriture. La demeure était pauvre, mais aux yeux d’un enfant, elle avait toujours représenté le doux confort de son foyer. Sauf en ce jour… le sombre Disçart aurait terriblement aimé que la puissance des éléments qui se déchaînait à l’extérieure puisse enterrer tout ce qui se déroulait devant ses yeux.

Le vent n’était absolument rien dans le regard du Traqueur figé sur place et incapable de se détourner de la scène devant lui. Trois hommes, trois hommes en armure de chevalier, armé jusqu’aux dents, couteaux, dagues, épées et haches, trois hommes à l’allure démoniaque se tenaient dans la pièce. Sous une lumière cramoisie, ils se tenaient devant le corps d’une femme. Était-elle vivante? Ses cris de détresse lui donnèrent sa réponse. Elle criait, hurlait, gueulait, mais le trio ne semblait réagir. Non, Disçart se trompait. Les trois réagissaient, mais cela rendait la scène encore pire. Ils portaient des sourires carnassiers, celui de démons s’amusant à se jouer des êtres vivants.

L’un des hommes s’agenouilla et il murmura quelques mots à l’oreille de la femme. Elle devint aussi silencieuse que lui permettait ses sanglots. Disçart ne put entendre l’échange, mais ce silence l’oppressa encore plus, le terrifiant entièrement. Soudainement, l’homme à genoux tailla le ventre de la femme et le massacre commença. Les trois hommes sous le regard de Disçart torturèrent la femme, lui provoquant des cris d’une détresse impossible à supporter. Le Traqueur essaya bien de se couvrir les oreilles, mais ce son refusait de le laisser tranquille. Il lui perçait l’âme, lui volant son innocence. Ses cris le poursuivraient pour toujours. Le corps paralysé, incapable de se détourner, incapable d’intervenir. Il était prisonnier de cette scène, des larmes lui coulant des joues, incapable qu’il était d’aller aider cette femme qu’il était sûr de connaître.

Les trois hommes se firent plaisir sur le corps, n’ayant aucune humanité envers la femme. Le sang coulait d’innombrables blessures, imprégnant le plancher de la pièce et les vêtements des trois hommes. Le dégout envahissait le spectateur de cette scène. Quand ils eurent fini avec leur victime, l’un d’entre eux se tourna vers lui, le fixant avec des yeux sans iris ni pupille. Pour la première fois, Disçart ne put s’empêcher d’échapper un violent cri de détresse à son tour. Soudainement, la scène se transforma et deux yeux jaunes, pupilles fendues, le fixèrent dans les yeux. Des flammes qu’il n’aurait pu dire si noir ou rouge dansaient autour des yeux jaunes. Une voix caverneuse et terrifiante se fit entendre :

- Désires-tu le pouvoir, petit homme? Désires-tu la possibilité de la venger, petit homme? Désires-tu le pouvoir de sortir de ce garde-manger, petit homme?

Disçart qui était toujours terrifié par la scène précédente hurla son acquiescement : il ne voulait pu être un simple spectateur inutile, il ne voulait pu être impuissant, il voulait être fort! Et son cri se répercuta un long moment, sous le regard des yeux jaunes qui semblèrent ravis.

* * *

Frappé de terreur, Disçart se leva d’un coup, réveillant une et mille douleurs du coup. Paniqué, il cherchait les trois hommes ou les yeux jaunes autour de lui. Il n’était pas un jeune incapable! Il pouvait désormais se défendre! En plus des muscles douloureux, Disçart remarqua qu’il était dans une petite pièce agréable et sans décoration. Une petite fenêtre permettait de jeter un coup d’œil au monde extérieur, un monde extérieur brillant sous le rayon du soleil. Soulagé de ne pas trouver les démons, le corps ou les yeux menaçants, il expira longuement. Ce n’était qu’un rêve… un rêve rempli d’images sordides, mais qu’un rêve... Rien de cela n’était réel! Il n’avait pas à s’inquiéter... Se rappelant ses derniers moments de conscience, sa nervosité monta d’un cran. Il murmura pour lui-même, essayant de mettre ses idées au clair :

- L’embuscade, la Bête de sang, le Prince, Galen, la troupe, Ronar, Silvar, mais que s’est-il passé ? Qu’est-ce que je fais ici? Qu’est-il arrivé aux autres ?

Il observa attentivement la pièce autour de lui à la recherche d’un indice. Cependant, l’endroit n’avait rien de bien intéressant. À peine le double de la grandeur de son lit, il se trouvait une petite table et une chaise à ses côtés. Sur la table, il se trouvait des vêtements noirs, les habituels de son habillement, et plusieurs de ses armes, soit des couteaux, une dague, une épée courte et son épée longue. En regardant les vêtements propes, Disçart baissa le regard et il remarqua finalement qu’il n’était plus vraiment vêtu. Cette découverte ne l’enchanta guère. Après tout, qui l’avait dévêtu et avait lavé ses vêtements? En fait, qui l’avait trainé jusqu’ici?

La tête de Disçart se mit à fourmiller de réflexions et il ne put en prendre davantage : il se sentait complètement épuisé. Un lourd mal de tête lui martelait le crâne : son cerveau cherchait sensiblement une façon de pouvoir quitter sa prison pour une autre dimension. Alors, mangé par sa curiosité et espérant faire calmer sa tornade réflexive, Disçart essaya de se lever une première fois. Son corps se paralysa de douleurs. Chaque fibre de son être refusait de lui obéir. Inquiet de cette découverte, il prit le temps de se tâtonner : il ne voulait pas ouvrir une blessure par inadvertance. Il fut soulagé de rien trouver. Il était indemne! Protestant de toutes ces forces, le moindre de ses muscles le tailladant de douleurs, son corps le suppliait de retourner au lit, mais n’écoutant que sa volonté, Disçart se leva quand même. Il voulait connaître ce qu’il s’était passé. Il avait besoin de savoir! Tournant le dos à la porte, il commença à enfiler ses vêtements. Il n’avait même pas fini de mettre son caleçon quand subitement, la porte s’ouvrit.

Curieux, Disçart orienta seulement la tête vers celle-ci, les fesses à l’air. Sur le seuil, il se trouvait une jeune femme avec une bassine d’eau figée sur place, les yeux écarquillés, le fixant de surprise. Disçart ne put s’empêcher de lever une main et d’aller se frotter une tempe. Il était dans une situation étrange et il aurait peut-être été plus à l’aise si la personne qui le regardait n’était pas figée. C’était une femme d’environs son âge, dans des vêtements d’homme. Elle n’avait presque aucune forme, mais ses longs cheveux châtains, ses lèvres un peu charnues et ses grands yeux lui donnaient un certain charme. Pendant ce qui sembla une éternité, la jeune femme fixa Disçart. Celui-ci se sentit rougir sous le regard de celle-ci qui semblait s'être pétrifiée sur le seuil.

Se sentant de moins en moins à l’aise dans cette posture, le jeune homme essaya de demander à l’intruse de lui laisser du temps pour enfiler des vêtements, mais il ne put jamais terminer. Au moment qu’il émit des sons, la femme se précipita hors de la pièce prononçant très fortement et assez maladroitement ce qui sembla être des excuses. Disçart devint encore plus mal à l’aise devant cette réaction. Il n’avait aucune idée d’où il était, mais il était presque sûr que toutes personnes présentes seraient au courant de cette aventure! Soupirant rapidement, le jeune homme se dépêcha d’enfiler plus de vêtements avant qu’une autre personne le surprenant les culottes aux chevilles!

La prédiction du jeune Traqueur se réalisa très vite quand il entendu une personne dernière lui toussoter. Heureusement, cette fois-ci, il avait eu le temps d’enfiler son pantalon. Se retournant pour voir son visiteur, il fut étonné de voir la personne qui l’attendait. Il reconnut aussitôt ce visage ridé, ce sourire serin surmonté de ce gros nez et encadré ses cheveux gris en bataille. Il avait connu ce visage le jour où Nirk était venu le chercher dans le nord. Sa douleur cérébrale étant toujours aussi pire, Disçart ne réussit qu’à demander l’évident :

- Victor?

- Surpris? demanda-t-il en retour.

- Un peu, admit Disçart.

- Surement moins que cette pauvre jeune femme, déclara Victor avec un sourire espiègle.

Le rouge envahit à nouveau les joues du jeune homme qui ne répondit pas. À la place, il continua de s’habiller, enfilant sa chemise. Plus vite il serait habillé, moins de chance il avait de se trouver dans ce genre de situation à nouveau! Il prit le temps de s’asseoir pour enfiler ses bottes et Victor continua :

- Et surement moins que je le suis de découvrir que tu sembles aller bien. Rangis, Galen et George seront ravis d’entendre cette bonne nouvelle.

- Est-ce qu’ils ont été blessés ? demanda Disçart sans lever la tête, la nervosité le tenaillant.

- Ils vont bien, commença Victor en s’assoyant. Tu n’as pas à t’inquiéter. Galen et George ont de légères blessures, mais rien qui ne laissera de séquelles, seulement de belles cicatrices de guerre. Rangis est indemne… grâce à vous tous…

Disçart soupira de soulagement. Il n’était pas le seul à avoir survécu… En plus le Prince n’avait pas été touché! Il n’avait pas rompu à son devoir! Pourtant, un doute s’immisça en lui et il s’inquiéta brutalement. Victor n’avait mentionné personne d’autre. Était-il vraiment que quatre à avoir survécu? Disçart ne put s’empêcher de demander :

- Qui d’autres est dans cet… cet endroit?

- Nous sommes à l’auberge de la Sève rouge, expliqua calmement le vieil homme. Pour t’aider à te situer, nous sommes à la lisière de la forêt de Sanranine. Et pour ta question… Vous n’êtes que quatre...

- Que s’est-il passé, bordel? lâcha Disçart abasourdi.

- Te souviens-tu de quelques choses? demanda Victor sans jamais se départir de son calme.

Disçart ne répondit pas immédiatement. Il essaya de replacer les fragments de sa mémoire dans le bon ordre. Il se souvenait de l’embuscade, de la fuite du Prince et de la seconde embuscade. Il se rappelait des morts et du massacre, mais il n’avait aucune idée de la fin. Il expliqua le tout au vieil homme au gros nez et celui lui répondit :

- Je ne t’expliquerai pas tout. George sera plus précis que moi pour te détailler les évènements qu’il a vu. Essaie de le faire loin des oreilles du Prince. Il est particulièrement ébranlé par le tout.

- J’essayerais de le faire, acquiesça le Traqueur qui n’était pas surpris d’entendre l’état de son ami, mais en fait, j’y pense, que faites-vous ici, maître Victor?

- Comme tu dois le savoir, lui sourit le vieil homme avec une touche de condescendance, Maître Nirk m’a laissé responsable de surveiller les régions centrales du royaume. J’ai appris un peu tard cette attaque et je suis arrivé trop tard pour l’arrêter. Or, dès que je l’ai su, j’ai pris une cinquantaine de cavaliers avec moi et nous nous sommes précipités à votre rescousse. À notre arrivée, la première troupe avait déjà été massacrée. Seul George était encore debout, faisant tout son possible pour survivre contre la Bête de sang. Par contre, Ronar et Silvar, paix à leurs âmes, avaient sérieusement blessé la Bête et il ne me resta qu’à l’achever.

« C’est seulement ensuite que nous nous sommes précipités à la recherche du Prince. Ce ne fut pas difficile de vous suivre : une longue trainée de cadavre nous mena à une seconde scène de massacre. Le Prince était en panique, tâtant tous les corps à la recherche de survivants. Vous n’étiez que deux : toi, indemne et Galen, l’armure en miette et des blessures sur le ventre.

- Et la Bête de sang ? demanda un Disçart ébranlé.

- Si ce n’était de cette débauche de violence, déclara Victor, j’aurais vraiment douté de son existence... je n’ai jamais trouvé le corps...

- Mais qui a arrêté un tel de monstre de tous nous tuer si ce n’est pas vous? demanda Disçart qui ne comprenait plus.

- Le Prince ne m’a pas dit grand-chose, commença Victor, mais il semblerait que ce soit toi ou quelque chose te ressemblant beaucoup.

- Ça ne pourrait être possible! paniqua Disçart, si Silvar et Ronar n’ont pu en vaincre une par eux-mêmes. Alors, comment aurais-je pu? Je ne suis qu’un apprenti!

- Tu sais parfaitement ce qui a pu te permettre de vaincre un tel monstre, jeune homme, déclama Victor serin. N’essaie pas de te cacher la vérité, je le vois dans tes yeux que tu sais.

Le vieil homme avait raison et Disçart le savait parfaitement. Il étouffait dans la pièce. La voix et cette impression n’étaient pas seulement réelles dans sa tête. Elles étaient réelles et elles étaient puissantes, plus que deux Traqueurs expérimentés. L’apprenti n’avait aucune idée de ce qu’elles pouvaient être, ni leur puissance, ni leur pouvoir. Il avait laissé une chose inconnue prendre le contrôle… Qu’est-ce que dirait Minester s’il l’apprenait? Il serait surement furieux contre lui… C’était oublié Nirk… Le jeune homme n’était plus sur quoi croire et il ne savait pas quoi croire. Il avait l’impression qu’une ombre, peut-être même la mort elle-même, rôdaient prêt de lui. Disçart voulut émettre ses doutes à voix haute, des doutes qu’il aurait aimé pouvoir croire, mais Victor trancha dans ses réflexions :

- Cela fait trois jours que tu es inconscient. Nous attendions que tu te réveilles avant de repartir. Le Prince, son Protecteur et le Capitaine sont suffisamment en forme pour que ce ne soit pas un problème.

Le moral de Disçart s’écroula sur lui-même. Il ne pouvait pas vraiment remettre en doute les paroles de son aîné... Il aurait tant aimé pouvoir le faire! Il était un monstre... Il était un damné... Un magicien possédé par une entité…

- Vais-je être exécuté, Maître Victor? demanda le Traqueur abruptement. L’Ordre n’est pas connu pour accepter des membres faisant preuve d’autant de faiblesses…

- Crois-tu connaître si bien l’Ordre, jeune homme? questionna le vieux Traqueur condescendant, toi qui as seulement connu son chef, tu crois vraiment pouvoir affirmer le choix qu’elle fera sur ta vie?

Le jeune homme ne répondit pas, baissant la tête piteusement. Il n’avait absolument aucune idée de ce qu’elle déciderait et cela l’effrayait cruellement. Son mal de tête l’empêchait de réfléchir clairement. La douleur lancinante dans son front le déconcentrait après le moindre effort. Disçart essaya de penser au Prince et à Galen, se demandant comme ils réagissaient de découvrir ce qu’il était… Il était faible… terriblement faible… Victor continua, le sortant de sa torpeur :

- Je peux t’affirmer la décision qu’elle prendra, jeune homme. Ton cas est particulier et unique. Tu sembles être possédé, mais en même temps, tu ne l’es pas. Sinon, je ne te parlerais pas présentement et ce serait cette chose qui me ferait face. Alors, arrête de faire ce visage contrit et reprend-toi! Si tu n’avais pas laissé cette chose prendre le contrôle, tout le monde serait mort. Alors, ce n’est pas la meilleure nouvelle, mais ce n’est pas la pire non plus. Après tout, on pourrait facilement douter de tout cela.

Disçart releva la tête brusquement, ne s’attendant nullement à entendre de telles paroles. Il avait cru avoir perdu toute possibilité de vivre, son erreur étant potentiellement très dangereuse. Pourtant, il n’y aurait pas de conséquences, rien pour le punir de sa faute. Les yeux grands ouverts, il attendit que Victor continue :

- L’Ordre te laissera une chance et tu iras rejoindre tes pairs à la Forteresse comme prévu. Par contre, Disçart, ne tire pas trop sur celle-ci : ton erreur a permis d’éviter une catastrophe, mais cela ne devra pas arriver de nouveau. L’Ordre n’aime pas les dissidents et elle n’a aucune pitié.

Victor se leva et il s’apprêta à partir. Disçart n’osait le regarder, incapable de se décider sur ce qu’il devait penser. « Un monstre? Un sauveur? Un agent de l’ordre? Un dissident? Je suis quoi, bordel? » pensa en boucle Disçart. Son moral restait dans ses talons et son humeur n’allait pas bien mieux. Or, Victor, sur le seuil de sa porte, ajouta :

- Nirk et Minester seront heureux d’entendre que tu vas bien. La vie t’offre une chance, ne la gaspille pas. Si tu te sens suffisamment bien, le Prince, son Protecteur et son Capitaine t’attendent dans la grande salle au rez-de-chaussée.

Victor laissa seul le jeune homme et celui-ci ne réagit pas immédiatement. Ces dernières paroles le surprirent. Il n’y avait pas pensé et il se demandait de la vérité de celles-ci. Il avait commis un tabou en perdant le contrôle. Ses maîtres ne seraient pas si heureux de le voir. Du moins, ils auraient le droit à un très gros sermon. Soupirant longuement, Disçart se força à lever pour aller rejoindre les autres. Ils devaient se demander quand il se réveillerait et si son état était stable. Ils auraient des questions surement… Soupirant à nouveau, il sortit de sa chambre et il essaya de trouver ses amis. Ce ne fut pas bien difficile : un simple couloir terminer par un escalier descendant et dans la grande pièce, il se trouva presque tout le bâtiment était de bois : le plancher, les murs, les tables, les chaises et le comptoir. Seuls les supports pour les sources de chaleur et de lumière étaient faits d’autres matériaux : du petit plateau pour les minuscules chandelles, par les voyants socles pour une torche que pour la virulente et chaude cheminée. À cette heure de la journée, il n’y avait rien qui brûlait dans la grande salle, puisque les fenêtres laissaient entrer un grand flot de lumière.

L’ambiance de la salle était calme, mais détendue, les hommes du roi riaient et s’échangeaient ragots et blague salace. Rangis, Galen et George se trouvaient à l’une des grandes tables dans le centre. Ils étaient en compagnie de Victor, une femme qui lui était inconnue et un soldat ayant un semblant de rang, son uniforme similaire à celui de George. Les tables autour de celle de l’héritier étaient remplies de gardes royaux prêts à dégainer si nécessaire. C’était un tantinet étrange de voir une auberge aussi remplie en plein jour, alors que normalement, les voyageurs étaient, à cette heure, sur la route, alors que le personnel préparait la soirée en nettoyant et en préparant la nourriture. En avançant un peu péniblement, Disçart se permit de rejoindre la table du Prince. Les six personnes assises étaient trop occupées pour remarquer sa présence.

Aucun garde dans la salle ne s’interposa, tout le monde semblant parfaitement savoir qui il était. Cela surprit un peu Disçart, mais il n’en fit pas plus de cas : le molosse du Prince était, contre son gré, un personnage connu dans le royaume, pour le meilleur ou pour le pire… Chassant cette pensée, le jeune homme s’assit, surprenant les occupants. Ceux-ci arrêtèrent de parler pour tourner leurs yeux vers lui. Toutes ses paires d’yeux le mirent mal-à l’aise sur le coup, mais aucun n’eut la même réaction. Galen et George semblaient agréablement surpris de sa présence, Victor avait son continuel regard serein, la femme inconnue semblait quelque peu choquée, l’homme de rang semblait intrigué et Rangis portait un masque difficile à cerner. Disçart n’aurait pas pu deviner ses émotions : du soulagement ou de la crainte ? Le Prince semblait se souvenir du combat et de la chose qui avait émergé de lui. Le sombre jeune homme ne lui en voulait pas : lui aussi n’aurait surement pas été très content de voir quelqu’un qu’il croyait connaître se révéler cacher un si gros secret.

Toutefois, Galen et George le saluèrent de bonnes volontés, imité un peu en retard par le Prince. Victor ne dit rien et les deux inconnues le dévisageaient calmement. George, après lui avoir demandé son état de santé, lui résuma la discussion : il était question du chemin à prendre pour se rendre à Luxfodel, la métropole de l’Ouest et quand la troupe pourrait partir. Celle-ci, après trois jours de repos forcé, avait hâte de partir. La question tarauda Disçat qui ne put s’empêcher de demander :

- De quelles troupes parlons-nous, capitaine?

- Des hommes qui nous entourent, mon bon Disçart, s’exclama George. Ce sont les hommes que maître Victor a amenés avec lui. Comme notre garde a été… est diminuée, ceux-ci vont escorter le Prince jusqu’à destination.

- Je vais vous accompagner aussi, ajouta Victor. Avec les derniers évènements, il en serait plus sage.

Disçart acquiesça. Il était parfaitement d’accord d’avoir le serein Traqueur avec eux : Nirk lui avait toujours dit de ne pas se fier à l’apparence du vieil homme. Il était bien plus sournois qu’on le croyait. Alors, avec les hommes présents dans la salle, en ajoutant quelques-uns qui devaient être occupés à des tâches à l’extérieur, la troupe serait composée de plus de quarante têtes. Il serait pratiquement le double de tête! Plus personne ne semblait vouloir jouer avec la sécurité… Cette attaque avait laissé des traces que Disçart peinait encore à complètement percevoir. Néanmoins, une autre curiosité prenant le dessus sur la précédente, il se tourna vers la femme inconnue, la dévisageant à son tour. Celle-ci devint vite mal à l’aise et Disçart l’interloqua directement :

- Et toi? Qui es-tu?

La surprise frappa les gens autour de la table en entendant le jeune homme : Galen souriait de son impolitesse coutumière. Cependant, George et l’homme de rang écarquillèrent les yeux de surprise de découvrir cette habitude, alors que le Prince le fustigeait du regard. Seul Victor restait impassible. En fait, il tourna son regard vers la femme, attendant de voir la suite. Celle-ci était à moitié choquée et à moitié timide de la question. Disçart ne savait pas si le rouge de ses joues était pour laquelle de ses émotions. C’était une jeune femme qui semblait plus jeune que Disçart. Svelte, mais presque sans courbe, elle avait une longue crinière châtaine qui lui pendait dans le creux du dos dans une longue tresse nouée. Elle avait les yeux bleus éclatant sur son teint pâle. Des lèvres quelque peu charnues et un nez bien fait. Soudainement, il réalisa qu’il était : c’était la jeune femme précédente! Son assurance s’envola sans plus attendre. Elle lui répondit, bégayant quelque peu :

- Je… Je suis… Je suis Silva de la Rosière d’argent, une… euh… l’assistante de maître Victor… (se fâchant quelque peu) mais, il serait peut-être bien que vous vous présentiez, sir?

- Je…. Commença Disçart en hésitant à son tour, je me nomme Disçart de la Forêt Noire, je suis un serviteur du Prince.

- Elle sait parfaitement qui tu es, intervint Victor. C’est elle qui a pris soin de toi pendant ton inconscience.

Les deux protagonistes perdirent toute envie de confrontation : complètement rouges tous les deux, ils n’osèrent se regarder. En fait, ils n’osèrent regarder quiconque, préférant contempler la table, ce qui amena le sourire à plus d’un, dont le vieil homme qui continua :

- Et comme tu sembles être en beaucoup plus en forme que prévu, elle sera ta nouvelle partenaire d’entrainement dès aujourd’hui, jeune homme. (Victor tourna son regard dans toute la salle, ce qui fit disparaitre plusieurs sourires) Comme notre dernier blessé est de nouveau sur pied, nous partirons dès que tout sera prêt, est-ce compris, soldats?

La réponse fut longue à arriver, mais de plus en plus vite, les gardes sortirent de la salle, se préparant à repartir sur les routes. L’ambiance devint chaotique, mais Disçart ne put s’empêcher de maudire sa chance et son impulsivité : sa journée serait longue…

* * *

Rangis se leva le dernier de la table. Tous les autres étaient déjà partis préparer leurs choses et le Prince regardait, contemplait, fixait le dos de Disçart. Il ne savait pas quoi penser de son ami ni de cette « chose ». Cette chose qui résidait en lui, mais dont le Prince n’avait aucune idée de ce qu’elle était. Cette chose qui semblait si puissante et si dangereuse… Victor lui avait brièvement expliqué que le jeune Traqueur était la victime du mauvais sort, pris avec des éléments qu’il n’aurait jamais choisis autrement, mais il avait refusé de lui en dire plus. Néanmoins, Rangis ne pouvait s’empêcher de se sentir trahi :

- Quoi d’autre me caches-tu, mon ami? se demanda-t-il tout bas. Quoi d’autre me caches-tu, mon ami?

Il était frustré de la situation. Il était frustré d’être dans l’ignorance. Frustré de ne pas comprendre! Pourtant, c’était contre lui qu’il était le plus frustré : il avait été inutile et il n’avait pu rien faire. Seule cette chose…. Ce secret… Ce monstre avait pu faire la différence…

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