Le calme

19 minutes de lecture

Les tripes du Prince s’entortillaient en lui, ses sphincters étaient sur le point de le lâcher, son sang s’était retiré de ses membres, son cœur s’était arrêté, son âme même incapable de hurler. Rangis était terrifié. Ça n’aurait pas dû pouvoir arriver! Ça n’aurait pas dû arriver! Ça n’aurait pas dû! Ce n’était pas possible! Des hommes étaient partis en éclaireur et ils n’avaient absolument rien remarqué : des soldats d’élite, par les dieux! Comment ses derniers jours avaient-ils pu tourner dans un tel désastre? Comment!

* * *

Le lendemain matin du repas tendu avec la Maison Livarnal, ensemble, le Prince Rangis, le Comte Silicius et son héritier Avartori rejoignaient lentement la cour du château où toute la garde de Sa Majesté les attendait. Prêt à monter, elle n’attendait que le mot. Galen semblait à peine réveiller sur son cheval, se frottant les yeux lentement, et les deux hommes de Nirk, Ronar et Sylvar, semblaient toujours autant vouloir assassiner quelqu’un. Disçart n’était nulle part en vue… et il payerait surement cette audace… Le ciel était gris et il semblait s’assombrir. « La journée serait pénible si les nuages nous inondent… », pensa Rangis avec une attitude un peu morose. De plus, dans la cour, tous les autres membres de la famille Livarnal étaient présents. Ils tenaient à dire chacun un mot d’amitié à Sa Majesté avant son départ. La Comtesse et son cadet furent les premiers en souhaitant chance et sécurité sur la route. Éveline vint ensuite. Dans une jolie robe émeraude, elle souhaita, le rouge aux joues :

- J’espère que votre route sera sûre, mon Prince. J'aimerais d’avoir l’occasion de pouvoir discuter avec vous encore une fois.

- Je ne crois pas avoir grand-chose à craindre, répondit le Prince en souriant après un instant de réflexion, mais j'aurais plaisir à vous revoir, damoiselle.

Ensuite, ce fut Avartori qui le taquina gentiment. Il souhaita pouvoir accompagner le Prince, mais des devoirs l’attendaient sur ses terres. Le dernier fut Silicius. Il souhaita une bonne route. Or, il ajouta dans son oreille dans un premier temps :

- Faite confiance à Disçart. Il est peut-être un chien et une épine politique, mais il fera toujours son possible pour vous. (S’éloignant du prince) Et vous, hommes du Roi, veillez sur le Prince et assurez qu’il arrive vivant chez son grand-père, le Duc de l’Est. Le royaume couve de dangers pour les insouciants. Alors, soyez sur vos gardes. Le Prince est trop important pour être perdu!

La troupe répondit d’un cri uni. Aucun des braves n’avait l’intention d’être responsable de la mort d’un prince. Cette matinée, son repas avec Silicius et son fils ainé et ce moment précis laissèrent perplexe Rangis. Il ne savait plus trop quoi penser de ce vassal de son père : pouvait-il compter sur lui en cas de problème ou avait-il ses propres ambitions? Est-ce qu’il méprisait vraiment son ami ou était-ce encore un acte? Encore des questions! Grr… et personne pour l’aider à démêler le tout… Alors, que Rangis et sa troupe partaient sur la route pour la Passe des Forfous, en passant les portes, le beau jeune homme remarqua l’absence de vents. La nature semblait presque… attendre, mais attendre quoi? Encore pensif de ses dernières discussions, il avança sans vraiment faire attention, remarquant seulement du coin de l’œil que les paysans évitaient leur chemin et que la plupart s’agenouillaient respectueusement.

À la sortie du village, Rangis se souvient de ce que le Silicius lui avait dit : la route vers la passe serait seulement à demi boisée. Plus il avancerait, plus les arbres laisseraient place aux pierres. Le Prince vit que la forêt laissa place à un terrain accidenté et nu à cet endroit. Seules les pierres les accompagneraient de l’autre côté de la passe. Cela le mit mal à l’aise. Les murs gris de la passe semblaient le toisé de leur hauteur, le défiant d’avancer, le défiant d’aller à l’avant de son destin. Sans arbre, il se sentait tellement visible. Une proie parfaite pour quiconque le désirait. À mi-chemin de la passe, la troupe trouva enfin Disçart qui les attendait sur un rocher paisiblement installé, ne semblant nullement attentif à son environnement. Le malotru monta sur sa monture et il voulut rejoindre son ami. Or, Silvar et Ronar explosèrent en le voyant. Les deux hommes fulminaient depuis son départ et Rangis les avait entendus dire qu’ils avaient très hâte de lui faire manger du gazon pour son insolence. Ils auraient surement été capables d’expirer de la boucane à faire qu’ils brûlaient de colère. Ainsi, bien déterminer à se défouler, le sombre jeune homme fut obligé de suivre en queue de peloton où il se fit haranguer pendant des heures. Seules les plus violentes exclamations venaient aux oreilles des autres membres de la troupe, mais tous étaient heureux de ne pas être à sa place.

Traversé la passe prendrait pratiquement trois jours à la troupe : elle serait obligée de traverser à pied, le terrain était trop traitre pour monter les chevaux. Heureusement, le ciel ne semblait pas vouloir leur tombée sur la tête tout de suite : des traces de ciel bleu persistaient encore ici et là. Tout était tranquille, à l’exception de la colère de Ronar et de Silvar. De l’autre côté, le comté de Verpin les attendait se souvenait le Prince. Ce serait trois jours à voyager sur le roc et à camper sur de la pierre. Le Prince avait déjà hâte d’être passé... Or, Disçart aussi devait avoir hâte. Silvar et Ronar, même après plusieurs heures, n’avaient toujours pas cessé de lui faire la leçon. Galen interloqua le Prince en récitant les mêmes pensées :

- Disçart… Il est un véritable as pour trouver des problèmes. Tellement que je me demande combien temps il va survivre… Mouais, il semble dû pour essayer de s’entêter ou mourir en essayant.

La remarque fit sourire Rangis. Son ami semblait vouloir répliquer, mais il se retenait très fortement : ses ainés risquaient de le battre sur le champ si cela arrivait. Rangis répondit :

- Je ne saurais dire s’il tient plus à la vie ou à répliquer. La seconde option semble beaucoup le tenter.

- Donc, on devrait préparer son enterrement, c’est ça? Demanda Galen tout sourire.

- Ça serait surement une bonne idée, commença Rangis d’un ton gouailleur, et nous devrions préparer aussi un petit repas pour commémorer sa mémoire.

- Avec plein de belles serveuses que nous ferions venir pour l’évènement ? termina Galen avec un air malsain.

- Évidemment, ça rendrait le tout plus intéressant, acquiesça le Prince.

Toute la troupe souriait des répliques des jeunes hommes, mais tous évitaient de regarder la victime à l’arrière. À ce moment-là, celle-ci portait un nuage de colère sur ses épaules, des éclairs prêts à frapper la première cible trouvée. En se retournant, le Prince vit clairement le regard noir de son ami poser sur lui et sur Galen. Il était sur le point d’exploser quand il reçut une claque de Ronar derrière le crâne. Ce dernier harangua encore plus la jeune victime :

- Si tu es capable d’écouter le Prince, tu es capable de m’écouter aussi! Si tu n’étais pas un complet jeune crétin, tu ne serais pas dans de telles situations.

La colère de Disçart se rétracta et il acquiesça aux propos de Ronar. « Au moins, il évitera une partie des problèmes comme ça », pensa Rangis. La troupe continua un moment dans une atmosphère relativement agréable à traverser la passe. Les gardes étaient détendus et quelques plaisanteries s’élançaient ici et là. Personne ne craignait cette traversée. La troupe s’arrêta seulement quand le soleil fut entièrement couché, profitant d’avancer autant que possible tant qu’elle pouvait. Les sermons de Ronar et de Sylvar s’apaisèrent peu à peu dans la journée, mais ils reprirent dans la soirée quand ils forcèrent l’apprenti de Nirk à s’entrainer. Cependant, au contraire des journées précédentes, les trois Traqueurs ne se cachèrent pas. Au contraire, Ronar força Disçart à sortir son épée et se préparer à l’affronter près du camp. Sylvar se positionna un peu plus loin, s’installant tranquillement sur un rocher. Rangis qui les regardait au loin entendit soudainement le son des lames qui s’entrechoquent. Le duel était commencé. Le bruit se répercuta sur tout le camp, rapatriant presque toute la troupe à sa source. Les passes d’armes se déroulèrent devant les yeux de tous et à l’exception de ceux ayant des corvées et ceux devant garder le camp.

Rangis se serait attendu que cette foule d’yeux déstabilise son ami, mais il comprit vite son erreur : Ronar, qui était le premier à l’affronter, l’assaillait si férocement que Disçart n’avait pas le choix d’oublier son environnement. Aucune erreur n’était manquée par l’instructeur. Le plat de sa lame frappant violemment les ouvertures de l’élève. Le duel impressionnait les spectateurs : jamais ils n’auraient cru que Ronar ou Disçart puissent avoir tant de talent. Ils n’accompagnaient pas la compagnie sans raison. Les commentaires étaient nombreux. Rangis remarqua que l’affrontement dépassait les limites du simple combat. Sylvar, qui était assis plus loin, était complètement immobile. Par moment, Disçart semblait tressaillir sur des coups invisibles et ses mouvements ralentissaient. Son visage trahissait son désarroi. On aurait quasiment dit que quelque chose clochait avec son esprit. Rangis aurait parié que cet entrainement était plus que juste un entrainement physique : la magie devait avoir un rôle.

Finalement, Ronar arrêta son duel et Sylvar prit sa place. Ils laissèrent moins de trente secondes à leur élève pour reprendre son souffle avant que Sylvar parte à son assaut. Les commentaires se firent à nouveau, couverts par le bruit des lames. Ronar n’alla pas s’asseoir à l’écart, préférant venir près du Prince, de Galen et du capitaine George qui se tenaient ensemble. Le Barbu demanda poliment, avec le souffle un peu roque, par-dessus le son des lames :

- Comment trouvez-vous le duel, mon Prince?

- Vous n’y allez absolument pas doucement avec mon ami, déclara le Prince soucieux

Les hommes autour de lui hochèrent de la tête en signe d’acquiescement. Ils pouvaient tous voir que Disçart suivait le rythme difficilement et que Sylvar ne ralentissait en rien. Le jeune homme était poussé dans ses tranchés, faisant de plus en plus d’erreurs. Or, la lame de l’instructeur n’en laissant passer aucune. Ronar répondit au Prince avec neutralité :

- Maitre Nirk nous a demandé de poursuivre son entrainement et celui-ci a pour but de l’amener à être un guerrier incomparable. Nous n’avons pas le choix que d’être aussi dur si nous voulons le voir s’améliorer. En situation réelle, seuls ses réflexes le sauveront. Plus dur sera son entrainement, plus vifs seront ses réflexes. Ne vous inquiétez pas, mon Prince, ce jeune homme a le talent nécessaire pour qu’on puisse le pousser à se développer.

- Il risque d’être blessé à ce rythme, dit le capitaine George.

Il exprimait à voix haute les pensées de tout le monde. Le combat était effréné et les instructeurs ne semblaient vouloir rien savoir de ralentir. Rangis entendit même un des gardes dirent que finalement, il était peut-être mieux de faire les tâches de Disçart en plus des siennes que de subir un tel entrainement. Soudainement, Disçart s’écroula et Sylvar rangea sa lame. L’entrainement était terminé et tous étaient silencieux. Seul le son de la respiration de Disçart pouvait s’entendre. Il semblait vidé de toute énergie et toute velléité. Sylvar vint se ranger à côté de Ronar et de sa voix aigre, il répondit à George :

- Malheureusement pour lui, nous devons accélérer le rythme de son entrainement. Son propre Maitre nous l’a demandé et nous sommes obligés d’obtempérer. Les raisons de Maitre Nirk étant fondées.

La déclaration mystérieuse de Sylvar laissa de nouvelles questions dans la tête de la troupe, mais personne n’était surpris. Nirk était un conseiller du Roi, mais personne ne savait jamais ce qu’il pensait ou faisait. Alors, les mystères derrière son apprenti étaient tout sauf surprenants. George profita de ce moment pour demander aux deux Traqueurs s’ils pouvaient l’aider lui et ses hommes à s’améliorer à l’épée. Les deux combats l’avaient impressionné et clairement, il croyait que les deux hommes pouvaient l’aider ses hommes et lui à s’améliorer. Le Prince demanda la même chose pour lui-même. Les deux hommes de Nirk hésitèrent au début, mais ils acceptèrent sous l’insistance. Ainsi, le résonnement des lames s’accentua dans la Passe, les hommes s’entrainant tous un peu, cherchant à améliorer leurs techniques. Le Prince et Galen ne furent pas en reste. Même Disçart, qui semblait tenir on ne savait comment, aidait ses deux instructeurs à enseigner à la garde jusqu’à ce que la lune soit haute dans le ciel, forçant les hommes éreintés à dormir un peu.

Le second jour dans la passe fut similaire au premier, la seule différence étant que la colère de Ronar et de Sylvar s’était apaisée. Les soldats parlaient encore des combats de la journée d’avant, joyeux de pouvoir réfléchir sur leurs techniques et de pouvoir taquiner les confrères. Même le Prince ne fut pas en reste, faisant plus facilement oublier son titre que dernièrement. Seul Disçart resta à son habitude. La fatigue le rongeait de partout et à chaque difficulté du terrain, il semblait sur le point de s’écrouler à terre, ce qui arriva à quelques reprises. Pourtant, à un moment, il rejoignit Rangis. Ce dernier, perdu dans sa discussion avec Galen, ne faisait plus aussi attention au sol devant lui. Il se devait de convaincre son ami que Minuit, le cheval personnel de Nirk que le roi lui avait offert cette année, était la meilleure monture dans le royaume. Son endurance, sa rapidité, sa vaillance et sa force en faisaient un cheval parfait. Pourtant, Galen continuait de s’entêter. Selon lui, Minuit était trop sauvage pour être considéré comme une parfaite monture. Il préférait Marteau, la monture d’un vassal du marquis de Fronatagne. Certes, la bête était imposante et impressionnante, mais elle n’avait aucune finesse!

- Tu ne peux croire que Marteau est le meilleur cheval du royaume! s’exclama le Prince. Il n’est pas le destrier le plus rapide ni le plus adroit, même si pour sa grosseur, la bête est spectaculaire!

- Bien sur que je peux le croire, Ran, répondit Galen avec un air narquois. Pour l’avoir vu faire, Marteau est capable de s’enfoncer dans une ligne de soldat sans broncher sur des mètres en démolissant tout sur son chemin. Je ne pourrais espérer avoir un cheval meilleur que celui-là. Rien ne résiste sur son chemin.

- Mais tu ne comp…! s’écria le Prince avant s’interrompre abruptement.

Rangis venait de glisser sur une pierre, perdant l’équilibre. Il aurait pu se faire très mal si Disçart ne les avait pas rejoints. Ce dernier lui agrippa le bras, le retenant de débouler. Tournant son regard vers son « sauveur », il vit que ce dernier, en plus d’avoir l’air toujours aussi las, semblait trouver la situation amusante avec son sourire moqueur. Il dit :

- Si Sa Majesté s’impliquait autant dans ses leçons que dans ses discussions sur les chevaux, je ne saurais craindre pour le royaume ni pour ta santé.

Rangis plissa de plus en plus les yeux en entendant ses paroles, mais son sourire revient rapidement. Il ne gouvernerait pas avant des années et surtout, il répondit :

- Je ne m’implique pas toujours autant. En revanche, je sais que tu ne seras jamais très loin pour me rappeler ce que j’ai oublié, n’est-ce pas, ma chère lame protectrice?

Disçart en perdit son sourire et laissa échapper un long soupire de découragement. Il pouvait sembler blaser, mais Rangis savait parfaitement que le moment venu, il pourrait compter sur son ami! Exactement comme Silicius lui avait dit… Étrangement… Peu importe, plus grand le défi serait, plus grande la détermination de Disçart sera. Sur cela, Rangis n’avait aucun doute. Cependant, il n’en avait toujours pas fini avec sa première discussion :

- Et tu te trompes Gal! Marteau est un excellant destrier, mais la force seul ne fait pas d’un cheval le meilleur. Il doit être vite, vif et habile aussi. Sans cela, un taureau pourrait faire une excellente monture! Marteau est tout simplement trop massif pour être meilleur que Minuit.

- Oh! Là! commença le Protecteur du Prince souriant à pleine dent. La grosseur du cheval ne change rien! Si cela avait de l’importance dans les qualités, on finirait par dire que Disçart ne sait qu’admirer que des femmes parfaites, puisqu’elles sont toujours fines, minces ou maigres! Alors que non! Il n’a qu’une préférence pour un type de physique. C’est pareil pour les chevaux!

- Mais absolument pas! répondit Rangis avec air moqueur. Disçart n’aime pas juste le physique, ce n’est que l’un des critères dans ses choix. Elles sont certes souvent dépourvues de formes, mais elles ont des caractères et des esprits particuliers!

- C’est ça, se moqua Galen, vient m’apprendre que c’est lui qui a les meilleurs critères! Il est incapable de distinguer une beauté d’une mocheté!

- Excusez-moi, vous deux! Interpella Disçart un sourire nerveux aux lèvres, mais est-ce que vous pourriez avoir un débat sans m’impliquer dedans?

- Non! répondirent les deux belligérants d’un même mouvement.

- Je…. Commença leur ami sans finir et en évitant de regarder autour de lui.

Tous les soldats autour d’eux les écoutaient attentivement, souriant de cette discussion passionnée. Cela leur rappelait leur propre adolescence avant qu’ils ne soient des soldats d’élite et d’avoir vécus au moins une fois le champ de bataille. Il fallait dire que la gêne de Disçart et la proximité de Rangis avec ses subalternes rendaient l’atmosphère agréable.

- Je tiens à te rappeler Galen que Disçart est capable de faire la différence entre les deux. Il aime juste faire son difficile. L’exemple parfait serait Magia!

Disçart sembla vouloir encore plus disparaitre, alors que l’amusement grandissait encore autour de lui. Il essaya d’interrompre les belligérants, mais il n’avait rien à faire, ils n’avaient pas fini...

- Excuse-moi, Ran, commença le protecteur, mais ce n’est pas ton meilleur exemple. Magia est… Magia. Je ne dirais pas que c’est…

- La fille de Minester est une très jolie jeune femme! Coupa quelqu’un que n’identifia pas Rangis dans la foule, mais d’autres acquiescèrent à voix haute.

- Tu vois Gal, conclut le Prince. Disçart fait son difficile, mais il n’y a pas qu’un seul critère pour voir la qualité de quelque chose et il sait le voir.

- C’est ça, grommela l’énorme Protecteur qui ne commenta pas plus.

Galen se savait vaincu et il préféra ne pas s’enfoncer davantage en continuant de débattre : l’argumentaire du Prince et l’appui ouvert de la foule avaient eu raison de lui. Pour Rangis, cela lui rappela son dernier repas avec Silicius. Se tournant vers son ami gêné, il lui dit plus bas:

- J’ai oublié de te faire part de quelque chose. Avant de partir de chez les Livernal, j’ai eu le droit à un repas privé avec Silicius et Avartori.

- En quoi est-ce étrange? demanda Disçart qui en oublia sa gêne d’un coup, se concentrant entièrement sur les mots de son Prince.

- Bien, déjà, commença Rangis, par l’absence de domestique et de formalité, le repas fut simple et agréable.

- Silicius connait bien son monarque et sa famille, commenta Disçart C’était à prévoir. Ensuite?

- Il m’a longuement parlé des promises potentielles dans le royaume pour l’éventuellement cérémonie du mariage.

- A-t-il insisté sur une damoiselle en particulier? demanda le jeune Traqueur en plissant les sourcils.

- Non… réfléchissait Sa Majesté. Non, il n’a pas insisté sur aucune. En fait, il a même précisé qu’il ne se vexerait pas si je ne choisissais pas sa fille.

- Je vois, commenta encore Disçart. Je vois. Est-ce tout?

- Non, non, bégaya soudainement Rangis en se trouvant en peu ridicule sans trop savoir pourquoi. Il m’a dit d’être prudent dans le choix de ma promise quand le temps viendra. Cela serait le premier signe de ma qualité comme souverain…

- Et cela est effectivement le cas, confirma Disçart avec des hochements de tête satisfaits. Je comprends de mieux en mieux ce que Maitre Nirk veut dire quand il me disait que cet homme est un vieux renard loyal. Il peut être difficile à suivre, mais je t’invite à retenir ses paroles, car cela me semble être des conseils. Ce n’est pas n’importe quelle femme qui pourra faire une bonne reine et Silicius semble avoir une bonne idée sur laquelle te ferait un bon choix. Il est retors, mais il semble se soucier de ton bien-être. Quoique c’est peut-être une façon de te tester… J’en doute un peu pour ce repas, mais on ne sait jamais.

Le Prince acquiesça avant de s’enfermer dans un léger silence. Ce que disait Disçart avait du sens, mais un malaise restait. Avec les nobles, il était incapable de dire qui était fiable et qui ne l’était pas. Leurs intrigues et leurs ambitions étaient difficiles à cerner. Pour Rangis, le jour de cette deuxième journée d’expédition continua sur cette atmosphère légère quand il n’était pas perdu dans ces réflexions. Il n’avait toujours pas parlé de la lettre… Le soir venu, Disçart eut de la chance. Il n’eut pas à affronter encore Ronar et Sylvar dans des duels épuisants. Sa seule tâche fut de s’entrainer avec plusieurs soldats, le Prince et Galen. La bonne humeur régnait sur le camp, sauf pour les sentinelles qui auraient aimé avoir le droit de participer aussi à cet entrainement collectif.

Au troisième jour, lorsque soleil atteignit son zénith, la troupe arriva enfin à la fin de la passe. Les nuages devenaient de plus en plus menaçants, de plus en plus lourds. Une épaisse forêt les accueillit à la sortit de la Passe. C’était la forêt de Sanranine : les feuillus côtoyaient les grands conifères, et ensemble, ils s’élançaient vers les cieux, désirant ardemment la lumière bienfaitrice. Cela rendait la forêt un peu menaçante avec la luminosité déclinante. Sous les arbres, les ombres prenaient place. Sous les frondaisons, le vent se leva violemment. Un vent désirant kidnapper les malheureux pris dans ses bras. Le ciel s’assombrit encore un peu plus. S’avançant sur le sentier, le silence se fit complètement dans la troupe. Un silence oppressant. Un silence menaçant. Tous les hommes avaient l’impression que les arbres les regardaient et attendaient. La nervosité augmenta d’un bond. Plus personne ne se sentait en sécurité, tous étaient prêts à dégainer, certains avaient sorti leur arc court et avaient encoché une flèche. Disçart remonta instinctivement la colonne et tous ses sens en aguets, il prit les devants. Continuant d’avancer en silence, le regard des soldats était partout. Rangis observait son ami devant lui. Il semblait calme, mais sa main sur sa garde exprimait qu’il n’était pas insensible à l’ambiance.

Finalement, la troupe rentra dans une grande clairière. Le ciel semblait encore plus menaçant dans la trouée, les nuages prêts à se fendre à tout moment pour laisser l’eau se répandre en petites gouttes. Au centre de l’endroit, Disçart, d’un geste de la main, empêcha quiconque de le dépasser. Les gardes avaient des questions silencieuses dans leurs yeux et Rangis lui demanda ouvertement ce qu’il se passait. Une seule réponse siffla entre ses dents :

- Quelque chose attend!

Ronar et Silvar se précipitèrent à ses côtés en entrant les derniers dans la clairière. Ils ne dirent rien. Pourtant, tout dans leur être exprimait l’inquiétude et leur tension. Au moindre moment, les deux hommes étaient prêts à réagir. Regardant autour d’eux, ils recherchaient la menace. Rangis sentit la peur s’insérer en lui. Qu’est-ce qui pouvait angoisser trois Traqueurs? Qu’est-ce qui pouvait les alerter tant? Qu’est-ce qui se cachait dans ses bois? Alors, Ronar, d’une voix autoritaire, prit les commandes :

- Soldats! Faites ce que je vous dis! En cercle! Vites!

La troupe obéit immédiatement, laissant le Prince au milieu. La tension augmentait encore d’un cran. La plupart avaient désormais dégainé. Tous attendaient le prochain évènement. Rangis était effrayé. Il ne s’attendait pas à cela. Les hommes lui tournaient le dos. Même Galen s’était positionné pour le défendre, une de ses haches à la main. Qu’est-ce qui se passait !? Ronar dit calmement :

- Disçart, es-tu prêt à obéir?

Rangis ne vit jamais la réponse de son ami. Soudainement, des hommes, tous cagoulés, sortirent des bois, encerclant la troupe. Armés de manières hétéroclites, haches, dagues, épées, lances, les hommes des bois ne portaient pas d’armures. Ils étaient habillés de vêtements longs et usés et ils attendaient en silence. Un silence qui ne semblait pas de bons augures. Dans sa peur, Rangis avait de la difficulté à les compter. Il en dénombra une quinzaine, trop peu pour être une menace pour ses gardes. Pourtant, personne ne baissait sa garde. Les visages étaient devenus durs, tous les armes au poing. Le combat était sur le point de commencer. Tout à coup, des exclamations se firent entendre à l’arrière. Se tournant, Rangis vit le visage des hommes. Leurs traits étaient marqués par une peur viscérale. Son angoisse monta encore quand il aperçut ce qu’il se trouvait derrière eux. Une bête de sang… Une bête de sang… Une bête de sang avançait sur eux lentement! La panique était sur le point de le submerger. Ses horreurs étaient des contes pour enfants! Des monstres infâmes tuant n’importe quoi pour du sang.

Horrible à regarder, elle avait un aspect menaçant. Debout sur deux pattes, elle ressemblait à la fusion entre un loup et un homme en un peu plus gros. Des muscles saillaient de partout sous sa peau d’une pâleur grotesque. Elle était si pâle que Rangis avait l’impression de voir un spectre. Les mains et les pieds étaient ceux du loup : griffus, faits pour courir et faits pour blesser. Du sang suintait des griffes. Le pire était sa tête : celle d’un loup sans poil avec des traits difformes. Les canines étaient trop longues, certaines dépassant sous les lèvres, et les yeux étaient renfoncés, sans pupille, seulement blanche. Le reste du corps était celui d’un homme impressionnant avec des membres difformes. En plus, du sang suintait continuellement des oreilles, du nez, des yeux et de la bouche. La bête semblait constamment perdre du sang. Le Prince tremblait sur place. Ses monstres étaient excessivement violents, vicieux et difficiles à tuer dans les légendes. Il remarquait à peine le tremblement de ses gardes. Son être ne pouvait se détourner de la bête devant lui. Avec un calme frappant, Ronar s’exprima :

- Nous allons devoir changer de plans… Disçart? Pars avec le Prince et protège-le!

Les tripes du Prince s’entortillaient en lui, ses sphincters étaient sur le point de le lâcher, son sang s’était retiré de ses membres, son cœur s’était arrêté, son âme même incapable de hurler. Rangis était terrifié. Ça n’aurait pas dû pouvoir arriver! Ça n’aurait pas dû arriver! Ça n’aurait pas dû! Ce n’était pas possible! Des hommes étaient partis en éclaireur et ils n’avaient absolument rien remarqué : des soldats d’élite, par les dieux!


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vatis Maestus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0