Évolution ou Damnation?

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Le monde tourne sans penser,
Entrainant des mutations insensées,
Obligeant les gens à changer.
Ou à périr sans rien tenter.

- Pourrais-tu m’expliquer, Diss, s’il te plait? demanda le Prince embrouillé. J’ai encore de la difficulté à comprendre. Je dormais quand tout est arrivé en même temps. On m’a précipité hors de mon lit et habillé à toute vitesse en me disant de me dépêcher. Après, on m’a presque fait monté de force sur un cheval pour me faire sortir de la forteresse et de la cité. J’ai beaucoup de misères à suivre.

- Je te l’ai déjà dit : à cause d’hier et des brutes stupides, nous devons quitter le duché pour un moment, expliqua brièvement l’interloqué. Tout ça a été décidé très, très, rapidement.

Le Traqueur exprima ses derniers mots en montrant d’un large signe les hommes les entourant. En effet, les deux amis se trouvaient au sein d’un groupe d’hommes, un peu plus d’une vingtaine de personnes et autant de montures, qui chevauchaient paisiblement dans la grande plaine devant Fornom. Ils se dirigeaient à l’opposé de la capitale vers le Nord-Ouest. Ou, du moins, aussi directement que le permettait le chemin. Ils se trouvaient déjà à quelques lieux de la capitale. De l’endroit où ils se trouvaient, les hommes auraient pu admirer la grandeur de la ville et de la forteresse. Cette dernière se trouvait sur son promontoire surplombant de sa puissance la cité à ses pieds. Ces redoutables murs couvraient la ville, guettant une quelconque menace. Ses quatre tours s’étiraient vers le ciel, telles des mains difformes avides d’agripper les astres célestes. Fornom se ratatinait sur des lieux contre le promontoire, encerclé par ses propres fortifications. Pourtant, devant l’absence de menaces immédiates et l’augmentation démographique, les habitants avaient commencé peu à peu à s’étendre à l’extérieur des murs, construisant une ville autour de la ville. Les voyageurs auraient pu observer ses ombres se déplaçant entre les bâtiments ou cherchant à entrer dans les murs de la ville, occuper à des tâches que seuls les dieux pouvaient savoir.

De plus, d’énormes champs entouraient la cité, la terre sillonnée pour la pousse des plantes, créant des centaines de sentiers. D’énormes arbres délimitaient la frontière entre le monde des humains et celle de la forêt, univers des créatures de la nature. Un vent se faisait sentir, adoucissant la chaleur du soleil en cette fin du printemps. Déjà, certains jours, l’astre solaire pouvait réchauffer l’atmosphère comme lors d’une belle journée d’été, rendant une température, qui devrait être agréable, inconfortable. Aucun nuage ne venait entacher cette journée. L’azur des cieux était parfait. Une sublime journée et un décor magnifique. Pourtant, personne ne les remarquait vraiment. Tous étaient concentrés. Les regards dans toutes les directions, mais aucun sur la magnificence autour eux. Des échos de la discussion s’entendaient dans la pleine.

- Mais tu n’as rien fait de mal hier, continua Rangis. Me semble que tu les as simplement assommés, non?

Le Prince dirigeait sa monture uniquement avec ses genoux et Disçart l’enviait un peu : il aurait aimé avoir autant d’aisance sur un cheval que son ami. Il n’avait jamais eu beaucoup de talent. Rangis, tout naturellement, s’étirait les membres, essayant visiblement de réveiller son corps encore partiellement endormi. De petits soupires de soulagement s’échappait de sa personne assoupie en discutant. Le Traqueur lui répondit très sérieusement, espérant atteindre le cerveau endormi de son ami :

- Tu te rappelles bien ; le problème est ailleurs. Plusieurs en ont profité de ma… de ma… de mes… actions… Il en a profité pour blesser sérieusement ses jeunes de familles influentes et rejeter cette faute sur nous. À cause d’eux, nous allons dans le duché de l’Ouest, chez votre grand-père pour plusieurs mois.

- Quoi? Échappa Rangis les yeux écarquillés, les bras encore au-dessus de sa tête. Plusieurs mois? Si longtemps?

- Il me semble qu’on te l’avait dit, Ran, énonça Disçart dubitatif.

- Je croyais que c’était seulement pour me réveiller… avoua quelque peu timidement le Prince, mais pourquoi ils ont fait ça? Quel est leur but?

Le groupe de cavalier était exclusivement composé d’hommes. Disçart, Rangis et Galen se trouvaient au centre de la formation. Vingt des hommes présents étaient des guerriers de la Garde royale, des soldats d’élite du royaume. Ceux-ci étaient tous habillés de la même façon : un casque sur le nez, une lance après leurs selles, une épée à la hanche, quelques-uns avec un arc et des flèches, un bouclier à porter de mains, sans oublier la cotte de mailles sous leurs tabars colorés du rouge et du noir royaux. Seul l’un d’entre eux ne portait pas de casque, permettant à tous de scruter son crâne chauve et son énorme moustache fournie. Ces gardes donnaient une apparence décontractée en bavardant simplement tout en scrutant le paysage. Or, deux personnes de plus s’ajoutaient à la troupe, mais leurs apparences ne laissaient rien paraitre de qui ils étaient. Après un moment, Disçart répondit au Prince. La fureur venait de le prendre. Son regard aurait pu incendier les brins d’herbe :

- Je n’en sais rien. Personne ne sait leur but, mais si je…

- Si tu n’avais pas perdu le contrôle de ta colère, nous aurions tous pu éviter cet accident, Disçart de la Forêt-Noire, le coupa brutalement l’un des deux hommes restants, un maigre gaillard à la longue chevelure d’orée.

Ceux-ci, plus âgés que Disçart d’au moins une bonne dizaine d’années, se trouvaient normalement à l’arrière de la troupe, se mêlant rarement aux discussions. Leurs habits, bruns et noirs, étaient simples et sans fioritures. Ils regardaient droit devant eux et aucune expression ne passait sur leur visage. Ils semblaient pratiquement être dans un autre plan que le reste des cavaliers. Les deux avaient la même grandeur et le même habillement, mais la ressemblance s’arrêtait là. Le premier, celui qui avait interrompu Disçart, était très svelte, presque maigre avec des traits fins, des traits qui semblaient avoir été avec un couteau. Un long nez pointu émergeait de son visage imberbe, surmonté par de petits yeux scrutateurs. Une longue chevelure blonde lui descendait dans le creux du dos, cachant ses oreilles. Il ressemblait pratiquement à un elfe sur le papier. Pourtant, deux éléments lui manquaient : les oreilles pointues et la grâce surnaturelle de leur physique. Le second était quelconque : une taille et une grosseur plus que moyenne, une chevelure noire et courte, des traits banals. Seuls sa barbe et ses sourcils sortaient du lot. Les deux étaient particulièrement fournis et épais. On ne pouvait s’empêcher de les regarder. De plus, sa voix était aiguë, ce qui détonnait beaucoup avec son apparence. Le second homme continua sur un ton sévère et haut perché:

- Ta sortie remarquée a posé de nombreux problèmes et tu as justement donné une occasion à ce groupe de profiter de ta stupidité et de ton manque de contrôle… Au moins, il ne devrait pas y avoir de conséquences irréparables…

Disçart leur lança un regard bouillant, furieux de leurs interruptions, mais il n’ajouta rien. À son malheur, il les attendit ajouter que le jeune homme ferait mieux d’apprendre à mettre un frein à ses émotions au lieu de les projeter contre eux. Le jeune Traqueur ne se retourna pas. Pourtant, il serra les mâchoires si fortement, il était persuadé que le Prince devait entendre le grincement. Disçart fixa droit devant lui, essayant de se calmer, d’oublier les deux malotrues et d’oublier son erreur. La présence du duo ne lui plaisait pas. Il avait fait une entrée marquée au château, mais cela ne les avait rendus que moins sympathiques. Depuis, il n’avait rien fait pour paraitre le moindrement agréable. Le Traqueur revoyait parfaitement la scène.

Après que le Roi ait décidé d’exiler le Traqueur et son Prince pour un temps, Nirk avait mis tout le château en ébullition. Nombre de serviteurs avaient été précipités sur divers préparatifs : préparer les chevaux, empaqueter des vives et un nécessaire de voyage, organiser une garde de robe pour le prince, et autres tâches. Une escouade de garde avait été choisie par les soins du maître de Disçart. Rangis avait été précipité hors de son lit et hors de sa tranquillité. Il avait essayé de comprendre la raison du remue-ménage, mais personne ne prit le temps de lui expliquer, le projetant à l’extérieur, éberlué. Disçart, lui, avait fait ses propres préparatifs en évitant la plupart des gens. Ce fut au moment de préparer son cheval qu’il ne put rester caché plus longtemps.

Minester était venu le voir dès qu’il avait su où le trouver. Tout ce remue-ménage n’était pas passé inaperçu. Il était venu pour comprendre, mais son inquiétude avait semblé aller encore plus loin. Magia l’avait accompagné à la surprise du jeune homme. Ses longs cheveux châtains, désordonnés en cette matinée, encadraient son joli visage. Sa robe, turquoise, pendait sur elle. Habituellement, la mise était plus travaillée. Elle avait l’air de s’être préparée à toute vitesse. Sa peau pâle était ressortie particulièrement et ses rares taches de rousseurs n’en étaient que plus visibles. Ses yeux verts avaient étincelé par le sommeil et l’incompréhension. Belle, elle l’était aux yeux du Traqueur. Cependant, quelque chose l’avait dérangée en la regardant. Un détail qu’il était encore incapable de trouver.

Le père de la jeune femme avait posé beaucoup de questions et Disçart n’avait rien caché, se défendant vigoureusement des accusations calomnieuses. Il avait clamé son innocence tout le long et durant l’échange, il n’avait pu empêcher son regard de dévier vers la demoiselle. À son ébahissement, elle n’avait pas arboré son fameux sourire narquois. En fait, elle avait semblé soucieuse en regardant son partenaire d’entrainement. Son regard et sa moue avaient exprimé sa déception et son regret. Ceci avait perturbé le jeune Traqueur qui n’y avait rien compris. Après tout, il s’était attendu à un sourire satisfait.

Quand Minester eut fini avec son interrogatoire, il était parti d’un pas vif à la rencontre de Nirk, laissant les deux jeunots seuls. Leur discussion avait semblé intense avec les exclamations furieuses et les mouvements énervés, mais le ton avait été trop bas pour être compris par des oreilles extérieures. Le jeune Traqueur avait baissé son regard timidement après son départ, s’attendant à ce que Magia le laisse pour s’occuper d’autres choses, mais elle n’avait pas bougé. En fait, quand il avait eu le courage de lever son regard, il avait vu qu’elle l’observait mélancoliquement. Il n’y avait eu aucune arrogance. Disçart n’avait pas saisi et ne comprenait toujours pas. Elle lui avait même murmuré quelques mots difficilement et sans jamais se départir de sa triste mine :

- S’il arrive quelque chose de grave, n’oublie pas que ton retour est attendu. Reviens pour mon père et…et reviens pour moi… J’ai encore besoin de quelqu’un pour m’entrainer...

À la fin de ses paroles, elle avait essayé de lui sourire. Ce sourire ne s’était jamais transmis à ses yeux. Le jeune Traqueur avait été le seul à entendre ses mots et il en était toujours ébahi. Il n’avait rien répondu, son cerveau furieusement agité en essayant de trouver une cohérence à l’ensemble. Pendant plusieurs secondes, elle avait attendu une réponse, mais sa réserve de patience s’était épuisée très rapidement. Elle avait lâché un « au revoir » en se retournant à toute vitesse pour quitter la cour, la tête haute. Disçart n’en avait été qu’encore plus étonné, incapable de bouger. La seule hypothèse qui lui vint était qu’elle était triste de le voir partir. Or, il devait se tromper : elle ne l’avait jamais apprécié! Alors, pourquoi aurait-elle été peinée de le voir partir? Pourtant… Pourtant… Pourtant, il y avait ses mots… Rien ne marchait plus dans la tête du jeune homme.

C’est un peu après à ce moment-là que les deux hommes, si peu sympathiques, étaient arrivés dans la cour. Ils s’étaient dirigés vers Nirk et Minester. Disçart les avait vus du coin de l’œil. Or, il avait été trop pris par ses pensées pour se rappeler de la suite. Nirk avait fini par l’appeler pour lui parler. Il y avait été, mais confus de sa précédente discussion, il avait pris un certain temps avant de répondre à la requête. Cela n’était pas passé inaperçu par les deux inconnus. Le jeune Traqueur les avait entendus très clairement : « Une tête en l’air qui ne prête pas attention à son environnement. Voilà notre prodige? » Cela lui avait fait froncer les sourcils, peu sûr du désir des deux inconnus. Or, maître Nirk leur avait murmuré quelques mots très efficaces. Disçart avait vu leurs deux visages prendre une note plus respectueuse après cela.

Nirk les avait présentés comme Silvar Fordou et Ronar de Sèvenarbe, lui faisant comprendre qu’ils étaient des Traqueurs aussi. Ils étaient chargés de la protection du Prince jusqu’au duché de l’Ouest. Cependant, ils avaient une seconde mission. Ils avaient ordre d’entrainer le jeune homme, d’évaluer ses performances et de s’assurer de ses qualités. En somme, Disçart les voyait comme des gardiens assignées à la tâche de le surveiller, ce qui ne devait pas être loin de la vérité. Un détail particulier avait marqué son attention : Minester. Son visage était glacial. Il avait l’air furieux en regardant tour à tour Silvar, Ronar et Nirk. Disçart aurait été curieux de savoir, mais le silence lui avait semblé préférable.

Ensuite, rassemblant le reste de la troupe, celle-ci se fit présenter Silvar et Ronar. Nirk précisa une information importante : les deux hommes avaient la permission de prendre le commandement à n’importe quels moments. Cette déclaration avait fait murmurer les soldats. Elle leur déplaisait ouvertement. Or, la réponse des deux hommes n’entraina qu’encore plus de grogne. Disçart s’en souvenait parfaitement. C’était Silvar, l’homme aux longs cheveux blêmes, qui les avaient prononcés, mais Ronar regarda toute la troupe très durement, comme si elle n‘avait été composée que par de la vermine :

- Si tout le monde fait son travail, nous n’aurons pas à intervenir, mais si nous devons le faire, quiconque refusant de nous obéir sera éliminé. Si nous avons à intervenir, nous n’avons pas le temps pour des hommes déloyaux, est-ce bien clair?

Tout le monde dans la cour était devenu silencieux en les entendant. Leur ébahissement s’était rapidement transformé en colère et plusieurs avaient voulu s’exprimer. Or, un homme, crâne chauve et moustache fournie, intervint, empêcha quiconque de parler. Il avait rappelé tous les soldats à l’ordre. Seulement ensuite, il avait donné une apparence de soumission d’une voix grave et puissante :

- Nous sommes des soldats de sa Majesté. Nous ferons tout en notre pouvoir pour assurer la sécurité du Prince. Si le Roi nous l’ordonne, nous vous obéirons!

Sa réponse avait satisfait les deux hommes, portant tous deux des rictus quelque peu méprisants. Les autres soldats avaient été ébahis par ses propos, aucun ne sachant visiblement comme répondre tant avait été leur surprise. Par contre, après un court silence, avant que quiconque puisse parler et exprimer sa colère, le chauve avait repris, arrachant aux deux inconnus leur sourire :

- Seulement, et seulement si les ordres donnés ne vont pas contre notre premier devoir, sinon nous agirons comme nous le voudrons. La sécurité du Prince est notre priorité, messieurs.

Disçart n’avait pu s’empêcher de sourire devant la réplique qui détendit d’un coup l’atmosphère. Plusieurs autres avaient eu la même réaction, dont Nirk et Minester. La réponse avait fait taire les deux méprisants, tellement consternés par l’audace. Leurs visages n’exprimaient que trop bien leurs pensées. Le jeune Traqueur se serait attendu à une réplique, mais ils n’avaient que murmuré quelques paroles avec Nirk. Sa réponse avait été donnée à haute voix. Le chauve était le Capitaine de l’escorte. Les soldats étaient sous ses ordres directement à moins d’un problème. Son nom était George de Normach, un vétéran de la garde royale et un homme de confiance.

Ce dernier, après cette belle présentation, avait fait une révérence et il avait énoncé, ironiquement, son plaisir de faire la rencontre de Ronar et de Silvar. Ceux-ci n’avaient rien ajouté et les derniers préparatifs avaient repris. Quelque temps après, dans une cérémonie simple, modeste, sommaire, la troupe était partie pour son périple vers l’Ouest. Disçart était resté dans son coin, réfléchissant sur le passé et l’avenir, oubliant le présent. Rangis s’était évertué à comprendre, alors que tous l’ignoraient, trop occupés pour lui répondre. Par contre, pendant la traversée de la ville, il avait accepté de se taire. Cela aurait pu créer des tensions inutiles ou créer des rumeurs sur la royauté. C’était seulement quelques lieux plus loin qu’il avait recommencé à poser des questions à Disçart. L’interruption de ses deux gardiens l’énervait encore, mais il se retint. Après tout, il avait encore des jours de voyages en leur compagnie. Le Prince posa une nouvelle question alors que le soleil commençait son déclin :

- Alors, absolument personne n’a une idée de ce qui motive le groupe?

Personne ne répondit immédiatement à Rangis. Le Prince regarda tout autour de lui à la recherche d’une réaction. La plupart des soldats évitaient son regard, les deux Traqueurs l’ignorant littéralement, Galen haussa les épaules, ne connaissant visiblement pas la réponse, et Disçart réfléchissait en silence. Il se remémorerait ce qu’il savait et il se demandait ce qu’il devrait dire. Au final, il n’avait que des suppositions. Après un moment dans le silence, le Prince reposa sa question. La nervosité des guerriers augmenta d’un cran. Ils semblaient agités en remuant sur leur selle et en regardant un peu partout. Or, Disçart choisit de répondre à ce moment-là, captant l’attention de Rangis :

- Nous n’avons que des présomptions, Ran, et cela nous vient de diverses rumeurs et divers actes.

La nervosité des gardes se calma en même temps. L’intervention d’une tierce personne leur avait permis de ne pas répondre. Pourtant, ils continuaient d’éviter de regarder Sa Majesté comme si cela risquait de les obliger à donner des explications. Le Prince ne comprenait absolument pas les paroles de son ami et il lui demanda de s’expliquer. Disçart soupira avant de répondre :

- Ce que je vais te dire n’est qu’une hypothèse, car il se pourrait très bien que les cinq gaillards se soient fait battre pour des raisons politiques ou seulement parce qu’ils avaient de l’argent. Ce sont des paroles de maître Nirk. Je n’en sais pas vraiment plus. Il a mentionné que divers nobles ou diverses personnes plus ou moins influentes ont été piégés dans le royaume, et des endroits louches et dangereux, comme l’auberge de la Rose épineuse, font plus de bruits qu’avant. Pourtant, jusqu’à récemment, les actes connus, du groupe qu’on soupçonne, avaient toujours touché des personnes plus ou moins importantes. C’est la première fois qu’il s’en prenne à l’entourage d’une figure de haut rang, sans parler d’une personne de la royauté. On ne sait pas leur but, mais nous craignons qu’il s’en prenne désormais à d’autres personnes influentes et qu’il se mette à déstabiliser le royaume.

-Oh! s’exclama le prince surpris, sais-tu ce que prévoit mon père et maître Nirk contre eux?

- Malheureusement, commença le sombre jeune homme, je ne suis pas dans le secret.

Des murmures se firent entendre dans la troupe. Une légère inquiétude émergeait des soldats qui se posaient aussi beaucoup de questions : Si ces événements se poursuivaient, car ce genre d’agression était survenu suffisamment souvent pour être connu par toute la garde du Roi, qu’allaient-ils arriver au royaume. La guerre, un coup d’État, une rébellion? Des problèmes que tous préféreraient éviter. Rangis alla pour parler, quand un des soldats capta l’attention de tous :

- Est-ce que les Traqueurs vont finalement intervenir? Qu’est-ce qu’ils font? C’est pas la première tentative et ils n’sont pas les gardiens dans l’ombre? Les protecteurs du royaume? À moins qu’ils ne soient qu’une légende aussi?

Disçart ne put voir la personne qui parla, mais ses paroles atteignirent la cible. Celles-ci le frustrèrent davantage. Son Ordre devait faire son possible! Il en était persuadé! Il réfléchissait à une réplique quand d’autres soldats commencèrent à appuyer leur camarade. Or, soudainement, de sa voix de stentor, leur Capitaine les fit taire :

- Suffit! Soldats! Pour qui vous prenez vous! Notre mission est de protéger le Prince, peu importe ce qui arrive, comme devoir l’escorter loin de chez nous. Je sais que cela vous déplait, mais n’accusez pas les Traqueurs pour la faute de ce groupe! L’Ordre possède d’énormes responsabilités, dont la plupart nous échappent. Le groupe, dont nous parlions, est, de ce que j’ai moi-même entendu, très bien organisé. Beaucoup trop au goût des hommes importants! Les Traqueurs ne peuvent tout faire. En fait, on ne sait même pas ce qu’ils peuvent faire. Alors, n’oubliez pas! Nous sommes les soldats du Roi. Faisons notre devoir et aidons le royaume à rester fort! Nos responsabilités sont véritables et plus qu’importantes. Soyez fière de votre rôle!

Tous se turent devant la tirade du moustachu et le groupe resta silencieux. La tension se calma avec celle-ci, même si de faibles grognements de mécontentement pouvaient se faire encore entendre. Ainsi continua le voyage toute la journée avec peu de haltes. Le groupe parlait peu, échangeant quelques rares commentaires. Seul le prince maintenait les discussions. Tous lui répondaient respectueusement et acceptaient de tenir l’échange. Or, si la discussion s’éteignait, ils ne se préoccupaient pas de la rallumer. Ils préféraient se taire et maintenir leur vigilance. Disçart était désolé pour le Prince. Si le voyage continuait ainsi, il allait lourdement s’ennuyer. Il soupira : il était certes présent, mais il n’avait pas envie de discuter indéfiniment. Alors que le jour s’éteignait, la troupe finit par sortir de la plaine autour de Fornom. Elle entra dans la forêt et avança encore un moment jusqu’à ce qu’elle trouve une clairière pouvant tous les abriter. Elle s’y installa pour la nuit. Les tentes furent montées, du bois fut ramassé, la nourriture fut apprêtée, les chevaux furent déharnachés et soignés, et d’autres tâches furent accomplies, presque tout le monde aidant.

Disçart voulut s’occuper de ses affaires comme les autres, mais Ronar vint le chercher, lui demandant de venir le rejoindra à l’écart du camp, refusant d’écouter ses désaccords. La seule explication qu’il eut : un soldat était assigné à ses tâches. Le jeune Traqueur avait, semble-t-il, mieux à faire. Ce fut le cadet des gardes qui eut cette ingrate mission, soit de devoir faire la besogne de Disçart en plus de la sienne. Le Traqueur le croisa sur sa route et le soldat avait l’air fort mécontent. L’ami du Prince se souvenait de son nom : Sagard d’Entropic. Il était plus vieux que le Prince de deux ans, mais il était un jeune soldat, un bleu. Pourtant, son talent et son acharnement avaient impressionné les officiers et les hautes têtes. Sans cela, il aurait surement été oublié. Son apparence était risible. Plus petit que le Prince et maigre, personne ne l’aurait cru capable de supporter son armure. Il avait des cheveux auburn et un visage constellé de taches de rousseurs. Même s’il était un adulte, il avait encore plusieurs boutons pustuleux. Son mécontentement ressortait sur sa peau pâle. En passant à côté de lui, Disçart s’arrêta et il lui murmura :

- Je suis désolé. Ce n’est pas ma décision.

Du coin de l’œil, Disçart remarqua que le déplaisir de Sagard changea pour un sourire contrit. Il lui répondit avec indulgence :

- J’sais. C’est ses deux idiots de maître Nirk. Ça m’oblige à faire le double de tâches.

L’aîné lâcha un sourire démotivé, mais une grimace espiègle se peignit sur son visage. Il ajouta avec amusement :

- Quand on aura le temps, t’devras me repayer pour c’la. Comme ça, on sera quitte. Ne t’inquiète, je n’suis pas gourmand.

Disçart n’eut jamais la chance de répondre à cela. Sagard était rapidement reparti, abandonnant son interlocuteur éberlué. Celui-ci avait repris son chemin en grommelant. Il n’avait aucune envie de devoir repayer quoique ce soit, surtout quand ce n’était pas de sa faute. En grognant, il se rendit à l’endroit où l’entendaient les deux autres Traqueurs. Cela l’obligea à sortir du camp et de se déplacer entre des arbres, des arbustes et des buissons enchevêtrés. Le duo avait décidé de prendre un chemin quasi inexistant, exactement comme s’il désirait éviter qu’on les dérange. Ces derniers se trouvaient un peu plus loin dans la forêt, dans un endroit où la végétation s’espaçait. Les bois les encerclaient dans la lumière faiblissante du jour et dans l’espace dégagé, la terre était parsemée de pierres et de racines, rendant l’endroit beaucoup plus traite qu’on pouvait le croire. Les deux Traqueurs tenaient chacun un sabre. Disçart ne dit rien et il sortit simplement sa propre lame de son fourreau. Il se doutait du désir des deux hommes. Ceux-ci souriaient devant l’acte. Silvar s’exprima le premier, une note méprisante perçait dans sa voix :

- Je suis curieux de savoir ce que le haut, grand, apprenti de Nirk vaut.

Le visage du cadet se plissa devant ses mots et l’oublie du titre de son maître. Il n’aimait pas qu’on insulte l’homme qui l’avait pris sous son aile. Nirk était son mentor, son guide et son modèle. Plus il apprenait à connaitre ses gardiens, moins il les appréciait. Tellement arrogant… Pourtant, le jeune homme attendit. Ronar continua plus poliment :

- Nous désirons savoir où tu es rendu avec une lame. Comme ce n’est que Nirk qui te connait et t’a entrainé, il nous est difficile de décider ce que nous devons faire avec toi. De plus, tu as rejoint l’Ordre tardivement à cause de… (les sourcils de Disçart s’arquèrent de mécontentement, faisant ralentir le débit de Ronar) On ne sait pas où tu es rendu…

Disçart perdit toute trace d’humeurs positives. Il n’avait pas à mentionner cela! Ils n’auraient pas dû le savoir. Cela ne les concernait pas! C’était sa vie! Son passé aurait dû être oublié au fond d’une lointaine fissure, et personne n’aurait dû être au courant! Il leva sa garde et il attendit. Ses yeux tiraient des éclairs, mais il n’était pas furax, seulement fâché et anxieux en même temps. Les deux instructeurs ne dirent rien, mais Silvar s’approcha le premier, un sourire carnassier sur les lèvres. Son regard pétillait de perversités. Il exhalait le désir d’humilier le jeune homme. Ce dernier essaya de ne pas se laisser atteindre par cette cruauté, mais il en eut des frissons tout de même dans le dos. C’était censé être un entrainement après tout… Pas une bagarre de taverne... Le barbu sembla vouloir dire quelque chose, mais il se retient. Il secoua la tête de droite à gauche et il haussa les épaules comme si ce qui allait se passer ne le concernait plus.

Disçart attendit que Silvar se mette en garde et sans attendre davantage, il fendit directement, essayant de prendre son adversaire de vitesse. Celui-ci eut un sourire moqueur. Il était prêt! Ainsi, il para aisément et riposta immédiatement. L’apprenti de Nirk fut pris de court. Par réflexe, il put dévier le coup et il recula, prenant une distance respectable avec son antagoniste. Le sourire de Silvar se fit méprisant. Pourtant, bien que détestable, le jeune homme l’avait mérité. Silvar était un Traqueur après tout! Disçart n’aurait pas dû le sous-estimer et il l’avait bien compris : il avait failli être pris à ses propres jeux et être vaincu après seulement un échange! L’humiliation! Se tournant autour les deux, l’ami du Prince ralentit sa respiration. Il se concentrait, se préparant pour la prochaine passe, exactement comme lors des entrainements avec maître Nirk. Silvar donnait une apparence de nonchalance, attendant le prochain mouvement de son cadet. C’était une façon de le provoquer. Ce dernier le savait parfaitement, mais il décida de jouer le jeu.

Soudainement, il se précipita sur son adversaire, fendant vers la droite. Silvar bloqua facilement le coup et riposta à nouveau. Sa lame passa à côté de Disçart sans le toucher. Celui-ci avait fait un tour sur lui-même en se déplaçant. Surpris, Silvar ne put changer la trajectoire de son attaque. En profitant, le jeune Traqueur lui asséna un violent coup de coude dans les côtes avant de reprendre une certaine distance pour préparer une nouvelle attaque. La douleur saisit Silvar, mais il put l’oublier, se préparant au prochain échange. Il avait la mâchoire grande ouverte, incapable de la fermer tant sa surprise était grande. Disçart avait donné l’impression d’être capable de prévoir sa contre-attaque et de bouger pour le prendre au dépourvu. Sans lui laisser de temps, le cadet repartit à l’attaque. Or, Silvar se fit plus prudent. Les deux lames se rencontrèrent à nouveau, mais le jeune homme fut incapable de se créer une nouvelle opportunité.

Le combat entre les deux continua un moment. Silvar ne laissait plus d’ouverture dans sa garde, mais il avait beaucoup de difficultés à contenir son adversaire. La lame de l’apprenti virevoltait dans tous les sens, obligeant le faux elfe à parer de tout côté. Celui-ci avait de la difficulté à contre-attaquer. Pourtant, plus le combat avançait, plus Silvar prenait l’avantage. Il comprenait peu à peu la stratégie de Disçart, contre-parant ses stratégies de plus en plus. Fianlement, arriva ce qu’il devait. Disçart fendit une énième fois, mais Silvar dévia le coup à la dernière seconde, entrainant le cadet en déséquilibre. Complètement ouvert, l’aîné en profita pour l’attaquer et le faire tomber. Déposant calmement sa lame sous le cou de son adversaire, Silvar le regarda étrangement. Sa respiration était contrôlée, mais le combat l’avait essoufflé. Il s’exprima difficilement :

- Je suis surpris… mais je ne devrais pas… Maître Nirk nous avait prévenus de ta tendance à utiliser ton don en combat… Cela te permet de « prédire » les mouvements de ton adversaire et de bouger en conséquence. (Silvar prit une longue inspiration) Mais c’est plus qu’une tendance, tu l’utilises constamment et je suis surtout surpris par ta capacité de le faire autrement que défensivement. Tu combats en sentant ton environnement et en évitant tout obstacle, comme les racines et les imperfections du terrain. Comme une araignée dans sa toile…

Silvar laissa ses mots en suspens en dévisageant son adversaire. Il n’y avait plus de mépris sur son visage. Seule se trouvait la curiosité. Il commençait à bouger les lèvres, mais aucun son n’en sortit. Il n’avait aucune idée par où commencer. Disçart, aussi, était fatigué par leurs nombreuses passes. Son souffle était profond et bruyant. Ses bras étaient lourds et une migraine commençait à éclore derrière son front. L’homme aux longs cheveux pâles ne continua pas. Ce fut le barbu qui enchaîna après avoir capté l’attention de son pupille :

- Pourtant, une toile d’araignée n’est pratique que si l’extérieur se contorsionne à l’intérieur. Si ta cible ne se laisse pas prendre, malheureusement, elle ne sert pas… À part à te déconcentrer. Contre quelqu’un d’inexpérimenté, ta victoire est assurée. Par contre, n’importe qui peut apprendre à s’en libérer. Quelqu’un d’expérimenté peut même l’utiliser pour te tendre des pièges et t’écraser…

Les derniers mots restèrent en suspens dans la clairière, laissant le temps à ceux-ci de faire le chemin dans la cervelle de Disçart. Ronar s’était assis sur une grosse racine au début du combat et il n’avait pas bougé depuis. Ses paroles ressemblaient énormément aux paroles de maître Nirk. Il disait souvent les mêmes mots, cherchant à forcer son apprenti à ne pas toujours compter sur son don. Tellement de fois, il lui avait répété qu’un jour, il ne pourrait pas s’y appuyer et qu’il devrait seulement se contenter de ses sens. Les propos du pileux Traqueur ne lui plaisaient pas beaucoup : il les savait déjà! Et il ne savait toujours pas comment ne pas le faire! L’expression de Disçart se ferma. Il en avait plus qu’assez d’être en leur compagnie. Pourtant, Ronar ne le laissa pas partir. Il se leva et il s’étira sans un mot de plus. Le cadet soupira, démoralisé. Il allait devoir l’affronter à son tour. Disçart se mit debout en ralentissant son souffle. Le prochain tour allait commencer. Or, Ronar mentionna, une lueur étrange dans l’œil :

- Je suis curieux de mesurer l’étendue des capacités de ce prodige… À moins que ce ne soit qu’une étrange fanfaronnade de Nirk pour un enfant perdu…

Au départ, Disçart ne réagit pas : il recherchait simplement le but de ses paroles. Cependant, la seconde partie fit mal à son ego. Son maître croyait en lui et il avait l’intention de prouver qu’il le méritait. Une froide colère s’empara des traits du cadet : il allait leur prouver que les paroles de Nirk étaient fondées. Il allait leur prouver la raison de la fierté de son maître. Il allait leur prouver toute l’étendue de son talent! Ronar eut un sourire condescendant en voyant sa réaction. Étrangement, seules ses lèvres portaient son arrogance. Le reste de son visage était impassible comme une statue. Or, Disçart le remarqua très lointainement. Sa froide détermination l’étreignait presque entièrement, même si une partie de lui restait, une partie marquée par l’anxiété : il n’avait aucune idée de l’étendue des capacités de Ronar. Il craignait de ne pas être capable de prouver, de faire une erreur, d’humilier son mentor. Ainsi, la nervosité grugeait sa détermination peu à peu. Son nouvel adversaire continua :

- Ne sois pas surpris. Nirk ne t’aurait surement pas trimbalé s’il n’avait pas eu un peu pitié. Au final…

Ronar ne put jamais finir. Disçart le coupa par une fourbe et vive frappe. Son anxiété s’était évanouie, laissant toute la place à sa rageante volonté. Nirk ne s’était pas trompé! Il était plus qu’un enfant qu’on aide seulement par pitié! Tout son être se dirigeait vers un unique désir, vidant son esprit de toutes ses pensées, laissant de la place uniquement pour le combat. Aucune réflexion ne pouvait plus l’atteindre. Son apparence était d’un calme effrayant, ses yeux n‘exprimant que puissante détermination. La détermination de leur prouver son potentiel!

Son agresseur verbal avait bloqué le premier coup, mais il avait dû reculer précipitamment. Disçart avançait lentement, mais indubitablement sur son aîné, comme s’il ne percevait pas la tempête d’acier autour de lui. Ses bras bougeaient rapidement, attaquant son ennemi de tout côté. Il ne lui laissait aucune place pour répliquer. Bloquant une attaque vicieuse, Ronar arrêta de reculer. Il avança, cherchant à prendre au dépourvu son adversaire. Or, cela se retourna contre lui. En avançant, Disçart se précipita dessus, lui assénant un puissant coup de genou dans le plexus. Son souffle s’évanouit sur le moment. Partiellement plié en deux, Disçart le frappa avec la garde de son épée. L’attaque sonna Ronar, mais il réussit tout de même à reculer hors de la portée de son adversaire.

L’échange dura un long moment. Ronar suintait de sueurs et d’inquiétudes. Il était complètement concentré sur sa défense et il ne trouvait aucune façon de sortir de ce piège de métal. Le pire venait de son corps : il se fatiguait peu à peu, alors que les attaques de son adversaire ne perdaient en rien de leur ardeur. Que Ronar essaye d’avancer ou de reculer, il était incapable de sortir de la tempête de Disçart. S’il osait avancer, prenant une distance trop courte pour les lames, le cyclone de métal se transformait en un ouragan de poings et de genoux. S’il osait garder une bonne distance, il ne devait laisser aucune ouverture dans sa défense. Il l’avait payé par plusieurs hécatombes douloureuses. Ronar était en train d’atteindre sa limite et son souffle devenait de plus en plus rauque. Disçart remarqua ses indices, mais cela ne changeait rien. Sa détermination était entière. Son être bougeait pratiquement hors de sa volonté, sans jamais faire d’erreurs.

Soudainement, après une énième parade infructueuse, le cadet se fit malin. Il visa directement la lame, ouvrant la défense de Ronar. Celui-ci, trop fatigué, ne put l’empêcher. Alors, que Disçart s’élançait pour un estoc décisif, son aîné tenta d’arrêter l’affrontement :

- Arrête! Le combat est terminé, j’en ai assez vu…

Or, sa respiration étant trop difficile, il ne put que murmurer. Un frisson prit Ronar qui voyait le pire survenir. La lame semblait vouloir fendre son abdomen. Pourtant, Disçart l’entendit et comme un automate, il s’arrêta. En même temps, il eut un étrange sentiment, mais il n’y fit pas attention. Le cadet baissa sa garde, juste assez pour être prêt à recommencer. Or, en arrêtant, il fut tiré loin de sa victime par d’étranges liens invisibles. Ceux-ci lui firent perdre l’équilibre, et en même temps, Disçart sentit les liens s’évanouirent, lui permettant de se replacer en garde. Il entendait la suite, ne dégageant aucune émotion. Rien ne passait sur son visage. Il dégageait une telle neutralité, comparable au calme avant une tempête. Il semblait dépourvu de la moindre émotivité. Ronar s’écroula au sol. Son souffle était rauque et difficile. De faibles grognements pouvaient s’entendre à travers. Silvar était debout et son front était plissé par la concentration et l’inquiétude. Disçart sentait l’énergie invoquée par son don, la raison de son étrange sentiment. Silvar se préparait à intervenir à nouveau. L’information passa dans l’esprit du jeune homme en arrière-plan. Toute sa concentration était sur les prochains événements.

L’être ressemblant à un elfe très laid hésitait à agir. Disçart pouvait voir des idées passées à travers ses yeux et plusieurs lui donnèrent de lugubres frissons. Suffisamment pour que Disçart n’ose détourner son attention de celui-ci. La tension montait dans l’air. Elle entoura le jeune homme, mais sans l’atteindre. Il semblait être dans une bulle impénétrable par le monde extérieur. Ce n’était pas le cas de Silvar, qui semblait sur le point d’exploser. Soudainement, un éclair décisif passa dans son regard et l’énergie se mit en mouvement. Comprenant le danger immédiatement, lâchant son épée, Disçart se connecta à son don. Au contraire des moments calmes et paisibles en compagnie de Minester, il rejoignit l’ile immédiatement, se connectant sur le coup à son don. Il n’y eut aucune tempête ou aucune ombre pour le déconcentrer. « Si rapidement… » Constata le jeune Traqueur en arrière-plan. La pensée l’effleura à peine. L’énergie de Silvar s’approchait rapidement, tels des serpents cherchant à l’étreindre. Propulsant sa propre force, il se défit de l’attaque, détruisant les liens de l’énergie menaçants et forçant son adversaire à reculer pour canaliser à nouveau son pouvoir. Alors, comme un prédateur, le don de Silvar tournait autour de Disçart, étudiant sa proie.

Disçart fit de même. Les corps des deux hommes ne bougeaient que très peu. Ils étaient rivés sur le sol, entièrement concentré à canaliser l’énergie, à la modeler et à la garder sous leur contrôle. Le pouvoir de Silvar ne ressemblait en rien à celui de Minester. Encore moins à celui de Magia ou de Nirk. C’était un don étrange et uniquement orienté vers une seule forme. Il était tellement différent. Disçart avait l’impression d’avoir un serpent devant les yeux. Un lugubre spectre reptilien… Rapidement, il vit une faille à cette forme et il commença à manipuler son pouvoir d’une manière précise, exactement comme une manière que quelque chose lui disait. Son instinct? Possible, mais il n’avait pas le temps d’y penser. Quand il fut satisfait de sa manipulation, un étrange filet intangible, il précipita son énergie contre Silvar. Celui-ci, surpris par l’attaque, se concentra sur sa propre défense.

Le serpent canalisait l’énergie et il se mit à créer des sortes de serpents fantomatiques qu’il précipita contre le filet. Les deux volontés s’affrontèrent violemment. Le filet cherchait à étreindre Silvar. Ces mailles se refermaient lentement sur sa proie, coupant celle-ci de sa connexion. Or, les « serpents » se précipitèrent sur le « filet ». Les deux hommes avaient leurs fronts couverts de sueur, n’osant même pas cligner des yeux une seconde. Silvar manipula son don étonnamment, réussissant à ne pas se laisser piéger. En utilisant ses serpents d’énergie, il était capable de faire dévier le filet. Cela demandait beaucoup d’énergie, mais ainsi, il gardait le contrôle de sa magie.

Après avoir énormément reculé lors du premier assaut, il forçait la volonté de Disçart à faire de même, cherchant à atteindre son cadet avec des serpents d’énergie. Le cadet déviait, bloquait et détruisait tout tour à tour avec beaucoup d’énergie, mais il savait qu’il ne pourrait pas tenir longtemps. Sa respiration commençait à être difficile et il avait de plus en plus de mal à rester concentré. Une grimace douloureuse s’afficha sur son visage en repoussant une énième vague de serpents. Silvar en eut un sourire victorieux et malsain. Le rictus qui dévoilait ses desseins. Une forte crainte s’infiltra dans l’esprit du cadet : celle où il se trouvait déchiqueté par des serpents! Disçart eut un frisson. Il risquait plus que de simples coups. Il n’avait pas le droit à l’échec! Les deux volontés s’affrontaient encore plus violemment pour trouver un vainqueur, mettant toutes leurs forces dans le combat. Cependant, la volonté de Disçart reculait peu à peu. Il n’était pas habitué à ce genre d’affrontement. Jamais encore n’avait-il dû affronter un mage en situation réelle, même pour s’entrainer. La panique commençait à tarauder le bord de son esprit. Soudainement, un écho se fit entendre. Une résonnance lointaine et profonde. Une vibration que seul Disçart pouvait sentir. C’était une résonnance étrange qui semblait l’appeler. Elle lui était familière, mais un sentiment de malaise l’accompagnait. L’écho semblait vouloir lui parler. Ce n’était pas vraiment des mots. C’était plus un ensemble d’impressions et d’images dans sa tête qui permettait à cette « chose » de lui parler. Elle semblait vouloir lui offrir son aide.

Un pincement survient dans le ventre du Traqueur, mais il était trop concentré sur son affrontement pour y faire attention. Il était en train de perdre et il songeait à utiliser tout ce qu’il pouvait! Il avait des choses à prouver avant de mourir! Or, il n’avait aucune idée de ce qu’était cette chose et même si elle était réelle. Alors, qu’il hésitait, Silvar prenait le dessus poussant le jeune homme dans ses derniers retranchements. Les serpents d’énergie passaient de plus en plus proche de Disçart. Celui-ci avait de la difficulté à les garder éloignés et ses réactions étaient de plus en plus lentes. Se décidant à agir, il se préparait à aller « chercher » l’impression. Il était sur le point de paniquer. Silvar allait gagner et lui faire ce qu’il voulait, alors que le jeune homme serait impuissant à l’en empêcher. Alors qu’il cherchait à atteindre la résonnance, peut-être imaginaire, une troisième force intervint. Elle arrêta le geste de Discart. Cette volonté le protégea à sa grande surprise et elle s’attaqua à Silvar. Un poing d’énergie percuta l’homme aux longs cheveux qui ne vit jamais le coup venir. Les défenses de Silvar étant inexistantes, trop concentré qu’il était sur son affrontement, le poing l’assomma à moitié, lui faisant perdre sa connexion. Ainsi, les serpents d’énergie s’évanouirent et l’étrange résonnance se dissipa. Elle laissa une étrange impression… une sorte de… de déception? Disçart se demanda s’il n’était pas en train de devenir fou.

Brusquement, en reprenant pleinement conscience de son environnement, Disçart arrêta de se sentir en danger et il tomba à genoux. Sa concentration s’était envolée. Il ressentait à nouveau sa migraine. La douleur de celle-ci grossissait rapidement, ses pensées devenant confuses. Il était incapable de penser et la douleur était telle qu’il s’écroula à genoux en se prenant la tête à deux mains, incapable de la tolérer. Bouger devenait de plus en plus difficile. Il se sentait vidé de toute énergie. Le sommeil l’attirait peu à peu... Par un pur acte de volonté, il chercha à trouver son sauveur. La réponse l’étonna : Ronar était debout, la colère imprégnait ses traits et une puissante aura émanait de lui. Disçart ne comprenait rien: pourquoi le partenaire de Silvar l’avait-il protégé? Après tout, ce dernier avait voulu lui faire du mal. N’était-il pas censé être complice? Le jeune homme ne savait pas quoi penser de tout cela et il se força à ne pas chercher à le faire. Le monde s’était mis à tourner en même temps qu’il réfléchissait. Les réponses viendraient surement plus tard. Ronar s’exclamait furieusement en s’adressant à Silvar :

- Que fais-tu, pauvre idiot? Tu désires créer un désastre? Ou tu préfères détruire tous les efforts de notre chef?

L’interloqué avait de la difficulté à se défendre. Il essayait de répondre sans avoir complètement repris ses esprits. Ses paroles furent d’abord inintelligibles : une suite de mots sans liens. Après un moment, et après que Ronar se fut répété similairement, il répondit de manière plus compréhensible :

- Il est dangereux et il n’a pas de contrôle… Mieux vaut le faire présentement qu’attendre une catastrophe…

- Es-tu un complet idiot ou tu n’as rien remarqué? commença Ronar encore plus furieux. Il possède un étrange contrôle, même s’il se laisse emporter par ses émotions. Tu n’as pas remarqué la différence entre ton affrontement et le mien? (Silvar semblait ne pas comprendre et Ronar expira furieusement) Cela n’est absolument en rien relié à la perte de contrôle. Par contre, grand crétin, votre affrontement magique aurait pu être bien plus dangereux. Qui pourrait dire les conséquences si je t’avais laissé continuer.

Silvar ne semblait visiblement pas comprendre les paroles de son compère et Disçart n’était pas plus avancé. Il comprenait les mots, mais ils n’avaient pas de sens. Le jeune homme était incapable de suivre la discussion. Sa migraine en arrière de son front gardait toute son attention. Sans un effort mental, il se serait vautré au sol en s’agrippant le crâne et en gémissant jusqu’à en fondre en larme. La douleur était terrible. En plus, son corps semblait vouloir se vider de la moindre force. Le moindre de ses muscles criait aux supplices. Ronar continuait de sermonner Sylvar qui semblait à peine plus vaillant que Disçart, mais celui-ci essayait de se défendre. Or, son compère ne lui laissait aucune possibilité. Pour leur cadet, les ténèbres engloutissaient tout doucement son esprit, l’amenant vers un abyme réparateur. Ainsi, incapable de continuer de combattre, Disçart s’abandonna au néant. Ne le remarquant nullement, son corps s’effondra avec un bruit mat alors qu’il avait déjà perdu connaissance.

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