Jeunesse et nervosité

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Toute destinée doit commencer,
Si on désire, un jour, pouvoir arrêter.
Qu'on le veuille ou non,
Le temps et l’espace en décideront.

Un fracas entre deux lames résonna dans la grande pièce. Depuis des heures, le choc du métal contre le métal ne cessait entre ces murs de pierres grises. L’endroit était sobre, pratiquement austère si ce n’avait été du riche tapis ou de jolies porte-torches. La salle était dépourvue de fenêtres et seule la lumière des flambeaux éclairait les duellistes. Ils semblaient danser aux sons des sabres s’entrechoquant. Le premier était grand et élégant. Il n’avait nullement l’air frêle avec sa musculature parfaite. Homme d’âge mûr aux traits fermés et plissés, les soucis semblaient l’accompagner à toute heure du jour. Ses cheveux striés de gris n’aidaient pas à le rajeunir. D’un mouvement précis, il désarma son adversaire:

─ Ta garde, Disçart! grogna l’homme élégant. Ta garde est trop ouverte. Tu donnes à ton ennemi un cadeau pour te vaincre. Un adversaire doué ne laisserait pas une telle chance passer.

─ Oui, maître Nirk, souffla le second homme difficilement. Je vais… essayer.

Le dénommé Nirk hocha simplement la tête et le second homme se laissa tomber, épuisé. Le contraste était frappant. Le premier était frais comme si ce n’avait été qu’une simple balade, alors que la respiration de Disçart résonnait bruyamment entre les quatre murs. Ce dernier était un peu frustré. Il avait tout donné et son Maître semblait à peine essoufflé par l’entrainement. Certes, il n’était pas encore un homme adulte, mais il était censé être un prodige! Or, son Maître avait sué à peine une ou deux gouttes durant ce combat d’entrainement. En plus, les bras du jeune homme étaient douloureux de l’entrainement avec une véritable épée. C’était sans parler de ses mains, de ses pieds, de ses contusions… Calmant son esprit, Disçart se concentra pour reprendre son souffle.

Ce dernier avait une allure robuste avec ses larges épaules. Il était grand comme n’importe quel homme et il n’était pas particulièrement musclé. En fait, pour un prodige, il avait une apparence un peu banale. Des traits quelque peu grossiers, imberbe, des cheveux courts. Seul son regard le différenciait du lot. Il avait de petits yeux profondément enfoncés sous des paupières tombantes. Son allure en dérangeait plusieurs. Il paraissait toujours sur le point de s’endormir ou de vivre dans un autre monde. On le sous-estimait souvent. L’interloquant, Maître Nirk parla à nouveau :

─ C’est suffisamment d’entrainement pour aujourd’hui. Tu peux rengainer ta lame, jeune homme. Nous avons fait assez de passes jusqu’à demain. Quand tu auras pris une courte pause, tu iras rejoindre maître Ysmak.

Disçart ne répondit pas, mais il fit un petit signe flou n’ayant pas vraiment de sens. Il était encore dépité de l’entrainement. Il n’arrivait pas à penser à autre chose. L’aîné, en ayant assez d’attendre, l’interpella :

─ As-tu compris, Disçart?

─ Oui, oui, maître Nirk, répondit l’interloquer distraitement.

En poussant un soupir, le grisonnant alla s’asseoir à côté de son disciple. Il demanda avec une certaine douceur :

─ Qu’y a-t-il, jeune homme? Qu’as-tu donc sur la conscience?

Ce fut au tour de Disçart de pousser un long soupir. Il n’avait pas envie d’en discuter. Il détestait parler de ses pensées. Encore plus quand elles étaient teintées de colère. Il grommela quelques mots incompréhensibles, mais cela ne découragea pas son Maître de vouloir savoir. Il demanda à nouveau :

─ Allons, Disçart, qu’est-ce qui te dérange autant?

─ Rien de véritablement grave, maître, soupira difficilement le disciple, ce n’est pas important.

L’aîné continua de fixer son cadet, attendant une réponse plus satisfaisante. Ce dernier devint rapidement mal à l’aise. Ne tenant plus en place, il voulait faire cesser ce petit jeu. Alors, il répondit, hésitant :

─ J’ai juste l’impression de ne pas être à la hauteur des attentes. Peu importe mes efforts, je n’arrive à rien. Vous pouvez me vaincre tellement facilement et… et ça me frustre de ne rien pouvoir faire…

Le Maître sourit à son élève et posa sa main sur son épaule. Il lui dit avec une certaine douceur mêlée de compréhension :

─ Tu es jeune et inexpérimenté, Disçart; or j’ai des années de pratique et d’expérience sur le terrain. Tu crois vraiment que tu peux me mettre en difficulté du haut de tes seize cycles? Sois réaliste, mon cher disciple. Je sais que tu veux briller, mais il faut du temps pour devenir maître. Et n’oublie pas, tu te fies trop à ton don. Je suis persuadé que tu pourrais avoir de bien meilleurs résultats si tu faisais plus confiance à tes habiletés plutôt.

Tout le long de la tirade, celui qui paraissait dormir acquiesça à contrecœur. Il savait que Nirk avait raison, mais se le faire dire à voix haute le rendait quelque peu amer. Il grogna un acquiescement et il se leva difficilement. Son corps était encore fatigué. Disçart n’avait qu’une envie : quitter cette pièce et penser à autre chose. Son Maître lui rappela :

─ N’oublie pas d’aller voir maître Ysmak. Et jeune homme, tu es extrêmement talentueux. Dans quelques années, je suis persuadé que ton talent surpassera le mien. Sois un peu patient : un jour, tu vas devenir un homme sans égal. J’en suis persuadé.

Ces paroles allèrent droit au cœur de Disçart, mais il en fut perturbé. Il ne put que lâcher un « oui, Maître » dans un murmure, et quitter la pièce rapidement. Durant son cheminement entre les murs gris de la forteresse, il pensait uniquement aux mots de son maître : ses douleurs et sa fatigue se trouvaient en arrière-plan. Les paroles tournaient en rond, sans arrêt. Elles lui réchauffaient le cœur et en même temps, elles le frustraient terriblement. Son maître croyait en lui, mais Disçart était furieux de son impatience et de son orgueil. Incapable de se positionner, il arriva un peu grognon devant la porte de la leçon d’Ysmak. En expirant lourdement, il cogna à la porte et une voix morne l’invita. Il entra et celle-ci reprit :

─ Il était temps que vous arriviez, jeune homme. Sinon, j’aurais dû commencer sans vous et vous auriez dû vous débrouiller pour suivre mon prochain cours. Je suppose que c’est Nirk qui vous encore retenu.

À l’oublie du titre de son Maître, le visage de Disçart se tordit de déplaisir. Il avait horreur qu’on manque de respect à son mentor. Son interlocuteur le remarqua et il coupa court. Il se limita à lui dire d’aller s’asseoir et d’écouter. Ainsi commença cette seconde leçon de la journée dans une atmosphère accablante. Elle se trouvait dans une petite pièce meublée par quelques chaises en demi-cercle et un bureau devant celles-ci. Il n’y avait pas de décoration et le tout était éclairé par le soleil. Austère comme endroit et il était trois à s’y trouver : Disçart, lui-même, Ysmak et un second jeune homme : le Prince héritier du royaume.

Ysmak était l’homme à la voix morne. C’était un tuteur enseignant les relations politiques et historiques entre les maisons nobles et les membres internes. Son apparence n’était pas des plus léchée. Il portait une soutane finement brodée qui ne pouvait cacher son obésité naissante. Il était chauve et pratiquement imberbe : seule une moustache clairsemée se peignait sur son visage. Ses traits étaient grossiers avec ses lèvres énormes et son gros nez difforme. Disçart abominait le personnage et sa grande vanité. Il pouvait parler des heures dans le seul plaisir de s’entendre parler.

─ Ainsi, commença Ysmak de sa voix platonique, la Maison Vedoux à une longue histoire avec la Maison royale, la Maison Frontefore. Les deux ont une relation d’amour et de haine qui remonte à avant même la grande migration. N’est-ce pas fascinant? L’un fut vassal de l’autre, mais l’histoire a vu changer les rôles…

Le reste de la tirade se perdit loin de la conscience de Disçart. Il écoutait d’une oreille distraite, son esprit tournant aux rythmes de sa souffrance. Ses pensées étaient divisées entre les supplices de ses membres et de doux songes. Disçart ressentait ses courbatures douloureusement en restant assis sans pouvoir vraiment bouger. Pourtant, il réussissait à certains moments à oublier le présent et à ces instants-là, des pièces se mettaient à jouer dans son esprit. Il se voyait s’évader de la pièce pour partir au milieu de profondes forêts, de somptueuses montagnes, de terrifiantes cavernes. Il voyait une faune exotique et une flore fascinante, le tout accompagné de combats glorieux. Ses rêveries furent interrompues quand le troisième larron présent l’interloqua. Se tournant discrètement pour comprendre la raison, le Prince lui fit une grimace, suivit d’un clin d’œil. Surpris, Disçart murmura :

─ Qu’y a-t-il, Rangis?

─ Rien, répondit sur le même ton le Prince moqueur, je m’ennuie et je me disais que nous serions bien mieux dans cette superbe auberge de la dernière fois avec une bonne chope d’hydromel.

Disçart soupira silencieusement. Encore une fois, le Prince ne voulait rien écouter. Il voulait seulement distraire son esprit. Si seulement il pouvait avoir à cœur ses devoirs et ne pas tout mélanger. Étonnamment, Ysmak ne remarqua rien. Il continuait de parler des relations politiques sans vraiment voir ses élèves. Disçart secoua la tête lentement. Las, il l’était. Ainsi, doucement et avec en arrière-fond les paroles de l’homme ventripotent, il corrigea le prince :

─ Ça devait être avec Galen et je suppose que ce n’était pas vraiment pour l’hydromel. Je devine que les serveuses devaient être très jolies et ça ne serait pas dans une maison close par hasard?

─ Euh…hésita Rangis un moment, c’est vrai! C’était Galen! Mais ce n’était pas une maison close… cette fois-ci.

Le prince souriait de toutes ses dents et Disçart ne put que secouer sa tête de découragement. L’héritier au trône était un beau jeune homme. Il avait les cheveux courts, toujours fraichement rasés et il avait un sourire pouvant charmer quiconque. Il était de la même grandeur que Disçart, mais il avait une allure beaucoup moins robuste. Il était habillé simplement. Toutefois, les vêtements étaient de qualité. Les couleurs choisies, de diverses teintes de vert, s’agençaient à merveille avec ses yeux. Il les avait bleus et son regard était d’une grande douceur. Il pouvait devenir extrêmement espiègle comme présentement. Avant de continuer, le Prince amusé observa leur Maître. Il était perdu dans son monologue en regardant l’horizon. Le Pupil royal dit :

─ Ça ne te tente pas de venir avec nous et pouvoir te délecter des yeux?

─ Chut, le rappelant à l’ordre Disçart, tu devrais écouter Ysmak. Il pourrait t’apprendre des choses intéressantes pour ton règne.

─ Oh! D’accord, capitula le prince un peu déçu, mais c’est une très jolie auberge.

Disçart soupira une énième fois, mais la discussion n’alla pas plus loin, comme désiré par ce dernier. Il espérait voir un jour son prince prendre au sérieux son éducation. Il allait gouverner un royaume complet; il allait avoir des milliers de sujets sous sa protection et les connaissances qu’on essayait de lui inculquer risquaient de lui être fort utiles pour tout cela! Le disciple de Nirk expira lentement. Cela n’était pas de son ressort et après tout, n’était-ce pas son devoir? Si le Prince avait besoin d’aide, lui, Disçart, devrait être en mesure de l’aider et trouver des solutions. N’était-il pas formé pour cette raison? N’était-il pas l’un des gardiens de la royauté? N’était-il pas voué à donner sa vie pour le royaume? Il inspira doucement. S’il arrivait quelque chose, il serait là. Ça ne servait à rien de se tourmenter à y penser. Soudainement, son attention fut attirée :

─ Bon, bon, bon, se répéta Ysmak d’un ton satisfait, nous avons vu suffisamment de matières pour la leçon d’aujourd’hui. Vous pouvez aller vous restaurer et faire ce que vous devez. Bonne fin de journée, mon Prince.

L’oubli était intentionnel. Cela n’était pas la première fois et ce comportement irritait Disçart. Il n’était peut-être pas de haute naissance, mais il avait le droit à une once de respect! Le déplaisir se lut sur son visage. Or, Ysmak eut un sourire carnassier. Il avait l’air satisfait de lui-même. Rangis n’eut pas de réaction, mais il salua l’enseignement avant d’ajouter de vive voix:

─ Viens Diss, j’ai vraiment envie de te montrer l’auberge que je te parlais tout à l’heure.

L’énorme tuteur en perdit son sourire. Ses yeux reflétèrent son incompréhension avant de saisir. Ce fut à son tour de ne pas être content. Disçart en fut ravi, sauf que son visage ne décrispa pas. Rangis, pour sa part, sembla ne rien remarquer. Il sortit de la salle tout simplement et Disçart le suivit. Les deux marchèrent un temps en silence dans le dédale d’escaliers et de corridors de la citadelle. Le tout était assez sobre. Des tapis couvraient les chemins principaux et quelques décorations, tels des armures, des tapisseries ou même des meubles, égayaient un peu l’endroit. Le compagnon du Prince fulminait en silence. Ysmak avait un don pour lui tomber sur les nerfs. « Et quel mauvais professeur il est! », pensa-t-il. Rangis le ramena dans le présent :

─ Tu n’as pas tort. Il est endormant et il semble peu pertinent.

Surpris, Disçart comprit qu’il avait pensé tout haut. Un sourire gêné s’afficha sur son visage rougissant. Il évita de regarder le Prince et ce dernier ne sembla rien remarquer. Il continua :

─ Pourtant, même s’il est… (il hésita quelques secondes) ce qu’il est, il est une excellente source d’information pour toutes actions politiques. Il a une mémoire formidable sur tout ce qui s’est passé entre les diverses familles dans le royaume et à l’extérieur. C’est pour ça que mon père ne peut se priver de lui.

─ Il pourrait au moins, commença Disçart en tournant un coin, être un peu plus respectueux. Il donnerait peut-être l’impression d’être un peu plus sympathique!

─ Il est comme ça. On ne peut le changer, mais n’oublie pas, il a une horreur des Traqueurs et il n’a jamais caché son dégoût pour maître Nirk. Mon père m’a expliqué que cela remontait à leurs jeunesses et qu’Ysmak avait toujours eu un mépris pour tout ce qui est loin de la noblesse et encore plus dans le cas des Traqueurs. On ne peut pas faire grand-chose.

Disçart soupira. Il détestait cela : ne rien pouvoir faire. Il désirait, au moins, avoir le droit à un peu de respect. Après tout, il n’y avait pas de mérites à juger quelqu’un d’inconnu. Grognant un peu, il répondit :

─ Il pourrait quand même faire un effort.

Le prince sourit à la remarque et il laissa le silence les imprégner. Leur marche finit par les amener dans la cour intérieure de la forteresse où un homme semblait les attendre. Il portait la moitié d’une armure : un plastron, des jambières et des brassards. Dans son dos, il se trouvait une énorme hache à double tranchant. Pour la personne en lui-même, il était massif : de larges épaules, de gros membres et une tendance à l’embonpoint. Il avait un visage large accompagné de traits amusés avec quelques taches de rousseur. Il était imberbe et il portait les cheveux courts. Sa voix allait parfaitement avec son apparence. Il en fit la démonstration en saluant les deux hommes. À la première impression, il pouvait être effrayant dans son armure. Le duo répondit amicalement et Rangis se tourna vers Disçart :

─ Viens-tu avec moi et Galen, ce soir, à l’auberge que je te parlais plutôt, Diss?

─ Allez! Ça va être drôle! S’exclama le troisième larron prénommé Galen.

─ Je ne sais pas, répondit Disçart, j’aurais des choses à faire…

─ Allez! On va s’amuser, encouragea Galen de sa voix puissante. L’auberge de la Rose épineuse est superbe! Je suis sûr que tu vas adorer.

─ J’ai des devoirs qui ne me permettent pas beaucoup de liberté, fut la réponse de l’hésitant.

Il était mécontent de l’insistance de ses camarades. Une partie de lui prévoyait que la descente en ville serait un enfer, alors que l’autre partie prévoyait que le lendemain, Nirk n’allait pas être plus tendre s’il était fatigué. Il serait surement pire… Donc, allez à l’auberge de la Rose épineuse… La Rose épineuse? Subitement, le nom de l’auberge sonna une corde dans son esprit. Malheureusement, il ne se souvenait pas pourquoi. Il y réfléchit, mais il fut rapidement ramené dans le présent par le massif Galen :

─ Mais moi aussi, j’accompagne le Prince par devoir. Après tout, je suis son garde du corps.

Les sourcils de Disçart s’arquèrent devant la justification. Il commençait à être irrité. Il répliqua :

─ Je ne crois pas que tu tires aucun plaisir à accompagner le Prince et à boire sur le bras du royaume.

─ Quoi? Ne nia nullement Galen, on ne peut plus avoir du plaisir et travailler?

─ Et si ton devoir te tient tant à cœur, répondit Disçart après un soupir, pourquoi n’étais-tu pas avec le Prince tout à l’heure?

─ On est dans la forteresse, expliqua en souriant Galen, et tu étais avec le Prince. Qui de mieux qu’un Traqueur pour le surveiller, surtout ce Traqueur avec sa lame.

Disçart n’avait plus rien à ajouter et il expira longuement. Il était irrité, mais il ne pouvait rien faire. Galen lui avait parfaitement répondu. Il abandonna et concéda la joute. Lorsque le prince lui reposa la première question, il céda :

─ Je suppose que je peux venir à votre auberge ce soir…

─ Parfait! s’écria le Prince content. Tu vas voir, tu vas apprécier. Elle est géniale.

─ Et tu devrais voir les serveuses, ajouta Galen avec une touche lubrique.

Disçart soupira à nouveau. Il n’était même pas le soir et déjà, il se dit que la soirée risquait d’être interminable. Ses deux amis le regardèrent en souriant narquoisement. Disçart se renfrogna. Il craignait le pire. Le Prince lui dit :

─ Ne fais pas cette face. Tu vas voir, c’est super.

─ Ça doit être parce qu’il a faim, corrigea Galen. Moi aussi, je suis affamé. Je peux comprendre son manque d’enthousiasme. Ce soir, lui aussi, il va adorer.

Disçart grogna une réponse incompréhensible, mais il ne répliqua pas. Ainsi, les trois compères partirent vers le réfectoire pour manger. Le Prince et Galen commencèrent une discussion animée sur la valeur de tel ou tel cheval. Disçart marchait un pas ou deux en arrière, sombre et orageux. Il était perdu dans ses pensées. Les deux autres ne cherchèrent pas à l’inclure dans la discussion et Disçart ne les en blâma pas. Il était bien comme ça. Le réfectoire se trouvait de l’autre côté de la cour. La marche fut courte, mais la discussion était intense. Les deux amis cherchaient visiblement à prouver quelle monture de l’écurie royale était la meilleure. Disçart les écoutait d’une oreille distraite. Cela ne l’intéressait pas. Tant que la bête accomplissait sa fonction, c’était tout ce qui importait.

Quand les trois entrèrent dans la cantine, ils se trouvèrent dans une grande pièce bondée. Les gardes qui n’étaient pas de garde s’empiffraient avidement. Ils parlaient tous fort comme s’ils craignaient que quiconque manque leurs paroles. Le tout était ponctué d’éclats de rires et d’exclamations outrées. Les odeurs de la cuisine emplissaient l’air, faisant grogner les ventres des nouveaux venus. Cependant, un relent de transpiration se faisait sentir irrégulièrement. Plusieurs venaient de s’entrainer et étaient trop affamés pour prendre le temps de se débarbouiller. La salle se constituait de quatre lignes de tables permettant à la majorité des gardes de manger en même temps. Sur les diverses poutres égayant l’endroit, des torches attendaient d’être allumées. La cuisine se trouvait à la gauche de la porte et une petite file attendait que le cuistot leur donne leur portion. Les trois compères firent comme tout le monde. Ils allèrent attendre leur tour.

La cacophonie de l’endroit n’atteignait pas Disçart. Il était au fond de son âme, dans une sorte de cocon. Rien ne pouvait l’atteindre ici et il pouvait se perdre des heures dans ses pensées. Il remarqua à peine qu’il prit son repas. Le cuisiner lui parla, mais il ne comprit pas vraiment. Il hocha de la tête et il partit rejoindre ses deux amis. Le marmiton ne sembla pas s’en formaliser. C’était dans l’ordre des choses. Disçart se mit à manger quand Rangis le força à sortir de son abri. N’ayant pas compris, le Traqueur demanda au Prince de se répéter :

─ Je t’ai demandé laquelle des demoiselles du château était la plus belle selon toi.

Disçart arqua les sourcils devant l’interrogation. « Encore cette question… » La pensée explosa dans son esprit. Il n’était pas en colère. Il se demandait juste si, un jour, le Prince se lasserait de lui poser cette ritournelle interrogation. Sa réponse ne changerait pas sans bonne raison. Galen l’encouragea à répondre. Poussant d’abord un soupir, il répondit, blasé :

─ Aucune fille, se trouvant ici, ne trouve grâce mes yeux. Certaines sont jolies, mais sans plus.

La réponse déplut ouvertement à ses comparses. Ils ne pouvaient accepter une telle réponse. Après tout, leur domicile contenait un assortiment de belles femmes. Ils se mirent un énumérer un lot de noms. La plupart laissaient indifférent le Traqueur et quelques-uns le dégoutèrent même. Il exprima ouvertement sa répugnance, et il obtient parfois l’approbation de ses amis, parfois non et parfois, ses deux amis se disputaient sur sa réponse. Lasse de la discussion, il cracha un nom. Ce n’était pas la complète vérité, mais au moins, ce n’était pas complètement faux… :

─ Il y a bien Magia…

Les deux juges cessèrent immédiatement de se disputer. Ils demandèrent à Disçart de se répéter. Il le fit, mais ses amis avaient de grands points d’interrogation dans le regard. Ils n’avaient aucune idée de qui parlait le Traqueur. Éberlué, ce dernier échappa :

─ Vous ne savez pas qui est Magia.

Les deux hochèrent négativement, rendant le renfrogné jeune homme encore plus incrédule. Incapable de se retenir, il s’écria en se frottant le nez:

─ C’est la fille de Minester, par les Dieux.

Les deux autres eurent une soudaine lueur de compréhension dans le regard et aussitôt, ils se mirent à discuter du choix de Disçart. Rangis approuvait plus ou moins, alors que Galen désapprouvait complètement. Le Traqueur devient morose à leurs réactions, mais cela importait peu au final. Ainsi, il continua de manger en silence pendant que ses deux amis continuaient dans leur discussion. Pourtant, ses pensées retournèrent sur le sujet. Magia était très jolie, mais il avait rarement l’occasion de lui parler. Généralement, quand cela arrivait, la cause était son père. Il aimait les faire pratiquer ensemble. Pourtant, lors de ses entrainements, la jeune femme lui faisait remarquer son manque de connaissances et de compétence ou elle lui rappelait qui était le plus doué des deux. Ce n’était pas lui qui était fils de magicien… Il soupira silencieusement. Il n’aurait pas détesté avoir son respect. Ses amis le ramenèrent à nouveau dans le présent lorsque Galen lui demanda avec espièglerie et un morceau de pain :

─ Viens-tu nous affronter, moi et Ran, cet après-midi avec ton épée?

─ Je ne peux pas, déclara Disçart qui ressentit ses douleurs physiques, je dois recevoir l’enseignement de maître Minester.

─ Craindrais-tu de perdre face à ma hache, mon beau Traqueur? Questionna Galen. Ou… (il laissa étendre le mot) où désires-tu voir la belle Magia?

Disçart se renfrogna immédiatement en se frottant les muscles des bras. Il leur avait donné un hameçon, mais ça se retournait contre lui. Il ne voulait pas être taquiné sur cela et surtout, il ne voulait pas prendre le risque que cela arrive aux oreilles de Magia. Rangis en rajouta avec un grand sourire:

─ Je suis sûr qu’il doit se languir de sa belle. Après tout, elle est jolie.

─ Cela n’a aucun rapport! S’exclama Disçart, irrité. Si vous le désirez tellement, je peux venir vous botter le derrière!

Les deux comparses s’esclaffèrent. Le Traqueur se rembrunit davantage encore. Il se leva subitement, plaquant ses deux mains sur la table et il répondit férocement, oubliant ses douleurs. Ses deux amis sourirent encore plus, le frustrant davantage :

─ Je peux aller vous humilier immédiatement si vous le désirez tant!

Galen partit pour répondre, mais il hésita. En fait, lui et Rangis perdirent leur sourire et fixèrent un point derrière Disçart. Pratiquement en même temps, le silence se fit dans le réfectoire et une main ferme se posa sur l’épaule du Traqueur. Une voix solennelle et masculine se fit entendre. Elle était calme et sereine :

─ Malheureusement, tu n’auras pas le temps pour ses petits jeux, mon jeune apprenti.

La surprise prit Disçart. Il reconnut la voix de Minester et ses yeux devinrent ronds. Il se demandait vigoureusement ce qu’il avait pu entendre. Angoissé, il attendait la fin :

─ Nous commencerons ta leçon dès que possible. Nous avons beaucoup de choses à voir. Alors, suis-moi.

Disçart fut soulagé de ne pas sentir de la désapprobation ou du mécontentement. Cependant, il se retourna avec les sourcils arqués : il avait à peine entamé son assiette. Il regarda son Maître, curieux de comprendre. L’homme en question était plus jeune que Nirk. Il était plus proche de la quarantaine que de la trentaine. Des tempes grises marquaient son cuir chevelu noir. Il avait des traits fins avec un nez aquilin. Il était un bel homme, possédant un sourire séducteur au désir. Sa corpulence, très moyenne, était banale, mais ses habits savaient le mettre en valeur. Tout décorés de verts et de dorés, ses vêtements marron de qualité n’auraient pas été reniés par la haute société. En fait, il avait toutes les allures d’un noble. Le Traqueur fit mention de son repas et Minester lui répondit :

─ Transporte ce que tu peux. Tu mangeras en chemin et entre les leçons. Dépêche-toi, nous n’avons pas que ça à faire.

Disçart acquiesça en soupirant. Les leçons risquaient d’être longues sans avoir mangé à satiété. Il se leva avec sa nourriture et avec fatalité. Il n’avait pas vraiment le choix. Il salua ses amis en se dépêchant de suivre Minester. Dans son impatience, celui-ci était déjà sorti. Ses deux départs soulagèrent la tension dans la pièce. Peu à peu, les gardes reprirent leurs discussions et leurs éclats de rire purent se faire entendre à nouveau.

Pour sa part, Disçart courrait pratiquement pour suivre Minester. Celui-ci l’amena vers une tour à l’ouest du château. Le trajet se fit rapidement, fatiguant quelque peu le cadet. L’aîné semblait toujours aussi avide de commencer les exercices. Traversant couloirs et escaliers, ils entrèrent au second niveau de la tour. La pièce faisait la moitié de la circonférence de la tour. Un mur la séparait en deux. La salle était simple et, à part quelques décorations, un escalier permettait de descendre ou de monter. La porte dans la séparation était entre-ouverte et Disçart aperçut le dos d’une jeune femme. Une cascade de cheveux brun pâle lui descendait dans le dos. Elle recouvrait une jolie robe colorée de diverses teintes de mauves. C’était Magia! Le cœur du jeune homme ne fit qu’un tour. Même de dos, il ne pouvait qu’admirer la silhouette de la demoiselle. Sa nervosité venait de grimper soudainement, mais Minester ne lui laissa pas le temps de réfléchir.

Ne remarquant nullement la réaction de son apprenti, il l’entraina vers les étages supérieurs. Dans les quatre flèches s’élevant de la citadelle, la tour de Minester était celle qui possédait la plus grande circonférence et celle possédant le plus d’étages, une douzaine environ. Disçart fut entrainé vers le huitième étage. Il croisa des niveaux similaires au deuxième, un autre était rempli de bibliothèques garnies de livres, l’un était plein de tables avec divers instruments et ingrédients. La salle visée par Minester était une grande pièce sombre et unie. Des tapis et quelques tapisseries marquaient l’endroit, les deux vides du moindre artifice, mais sinon, la pièce était vide de tout. Il n’y avait même pas de support pour des torches. Il n’y avait même pas de fenêtre! Une faible lumière provenait des étages encadrant le palier où ils étaient. Pourtant, elle n’aurait pas été suffisante pour véritablement éclairer l’endroit. La luminosité venait de de partout et de nulle part. Elle émanait des murs, du plancher et du plafond, comme si elle imprégnait l’endroit. L’éclairage était diffus et sombre, ne permettant pas de clairement voir les détails. Dans les faits, c’était une salle austère et mystérieuse. Une salle parfaite pour le genre d’exercices adoré par Minester. Sans attendre, il demanda à Disçart de s’asseoir et de commencer par l’exercice de l’orbe.

L’apprenti obtempéra nerveusement : il était encore nerveux des divers évènements précédents. Prenant de longues respirations, il essaya de calmer son esprit. Or, des pensées parasites vinrent le déranger sans cesse. Il ne pouvait s’empêcher de penser à Magia et à son père. Il craignait éperdument que l’un ou l’autre apprennent sa discussion avec le Prince. Ça pourrait être un désastre! Sa tentative pour devenir calme et serein fut plus ou moins couronnée de succès, mais incapable de rester plus longtemps immobile sans rien faire, il commença l’exercice. Exactement comme les autres fois, il lança son esprit à la recherche du lien. Sa tempête émotionnelle ne facilitait pas la chose. Comme un navigateur, il vogua dans les eaux troubles de son esprit en essayant d’atteindre l’île où se trouvait ce lien.

À plusieurs reprises, il fut happé par une vague et il perdait sa concentration. Des images de Magia apparaissaient ou d’autres choses… des choses un peu plus désagréables. Il était obligé de les chasser en essayant de retrouver sa concentration. Prenant une longue inspiration, il réussit à amener son frêle esquif au centre de son esprit. Débarquant sur l’île, il alla se placer au centre. Il dut esquiver diverses ombres parasites assoiffées d’attention. Pourtant, il ne se laissa pas déconcentrer et il put finalement s’installer. Soudainement, une étrange sensation de chaleur se fit présente. Disçart expira de soulagement. La sensation était toujours aussi douce, comme un rayon de soleil en hiver ou la sensation de l’alcool qui descend dans le corps après une longue journée. Tranquillement, en même temps qu’il se laissait imprégner par la sensation, elle devint plus forte, plus agréable. C’est ainsi que tranquillement, il fit l’exercice demandé, s’imprégnant de cette douceur…

* * *

Maître Minester regardait patiemment son apprenti faire l’exercice. Durant de longues minutes, rien ne se passa dans la pièce. Il sentait la nervosité de Disçart et il aurait parié savoir le sujet. Une demoiselle surement. Après tout, la plupart des jeunes hommes ne pensaient qu’à cela. Un sourire s’imprégna sur ses lèvres. Il essaya de le dissimuler, mais il n’y avait rien à faire : il se rappelait sa jeunesse et elle était remplie d’histoires plus ou moins libidineuses. Il n’avait pas été un garçon très sage. Pourtant, son sourire s’évanouit rapidement : il connaissait la réputation du jeune Traqueur. Minister pouvait comprendre le trouble de celui-ci si une demoiselle le tracassait. Cela n’allait certainement pas être facile pour lui.

Soudainement, une idée le traversa et il espérait se tromper, lui faisant perdre son sourire même. Sa fille était un peu plus vieille que Disçart, mais rien n’incroyable. Quelques mois à peine. Si l’ami du Prince s’entichait de Magia, il craignait le pire. Il adorait sa fille. Le trésor de sa vie. Cependant, elle avait de ces manies… avec les garçons… en particulier avec celui-ci. C’était sans parler de son attitude parfois détestable avec eux, encore pire si elle avait des attentes précises. Minester eut un demi-sourire. Il espérait que Disçart ne se passionne pas pour Magia. Sinon, il vivrait un bel enfer.

Tout à coup, il sentit que Disçart était prêt à commencer l’exercice. Minester sentit une douce et mélancolique énergie émaner de son apprenti. Tranquillement, une petite boule de lumière émergea du vide devant le Traqueur. Elle grossissait peu à peu projetant de vifs rayons de lumière partout dans la pièce. Un novice avait de la difficulté à créer une lumière aussi grosse que la flamme d’une chandelle, alors que celle de Disçart atteignait la grosseur d’une tête d’hommes. Sa progression était remarquable, mais ici allait commencer la seconde partie de l’exercice. Disçart devait l’empêcher d’atteindre la lumière et de l’éteindre. À son tour, Minester se concentra et bien plus rapidement que Disçart, il atteignit l’île de pouvoir. Une vigoureuse énergie entra en lui, réchauffant son corps et libérant son esprit. Savourant une demi-seconde cette savoureuse sensation, il ferma les yeux. Alors, levant ses paupières et son esprit, il fit naître une rafale. Une simple flamme ne résisterait pas à cela. Pourtant, rien ne se produisit, la lumière ne vacilla même pas. Seul un tic de son apprenti montra qu’il n’avait pas imaginé son acte. Minester arqua l’un de ses sourcils bien faits. Il était un peu surpris.

Il passa au second test. S’approchant sans bruit de Disçart, il avança sa main vers la lumière. En la touchant, il allait briser le lien entre elle et son créateur. À sa surprise, il ne put s’approcher à plus de trente centimètres. Une matière, lui rappelant un peu du verre, englobait sa cible. Une boule de verre énorme et lumineuse flottant à un mètre du sol. « Un joli artifice » pensa Minester, étonné. Il comprenait le résultat de son apprenti et il en était stupéfié. Créer une barrière magique avec une forme physique tout en maintenant la lumière. C’était impressionnant, mais un peu stupide. Les deux sortilèges étaient trop différents pour être combinés efficacement. À un autre niveau, cela pouvait vider n’importe quel magicien beaucoup trop rapidement. Minester observa le visage du jeune homme. Il avait l’air calme et aussi vigoureux qu’il pouvait l’être.

Soudainement, les premières sueurs apparurent confirmant le constat du mentor. Rapidement, elles couvrirent complètement le visage de l’apprenti. Cela coutait trop cher pour rien. Il demanda à Disçart de relâcher l’énergie, mais de garder son lien avec le pouvoir. Celui-ci obtempéra avec un soupir. Il avait l’air d’en avoir un peu trop fait. Sa respiration, bien que contrôlée, était lourde et ses yeux s’étaient rétrécis. Ils n’étaient plus que des fentes appelant au repos. Pourtant, Disçart avait l’air serein. Un sourire se dessinait discrètement sur son visage. Le sentiment de bien-être du pouvoir. Un magicien devait être capable de faire appel aux pouvoirs à tout moment, mais être capable de le relâcher était encore plus important.

Minester commença par créer une source de lumière un peu plus forte et il expliqua son avis. Il était fier de son élève et maintenir deux sortilèges demandait du talent. Par contre, il n’avait pas été le plus efficace. Il aurait pu utiliser d’autres techniques, moins couteuses, pour le même résultat. Disçart paraissait dans les vapes en écoutant. Seules ses réponses aux questions surprises prouvaient qu’il était encore présent mentalement. Minester continua en expliquant ses attentes et il enchaina avec la seconde leçon. Son élève soupira. Il était déjà las. Son maître souriait devant sa réaction. Il semblait toujours aussi réfractaire. « Et cela lui apprendra à user de trop d’énergie pour rien » pensa l’aîné amusé.

Ainsi, le maître et l’élève continuèrent pendant des heures à travailler sur diverses leçons. À l’exception de rares petites pauses, Minester ne laissait aucune chance à Disçart de se concentrer sur autres choses que ses exercices. Magia ne se joignit pas au duo et personne ne vint les déranger. Le soleil se coucha quand Minester laissa partir le Traqueur fatigué mentalement. Ce dernier se précipita vers la sortie, surement de crainte que son Maître change d’avis et le garde encore un peu. Il en oublia pratiquement les politesses dans sa hâte.

Minester se dirigea vers le sommet de la tour. La vue y était magnifique où il aimait réfléchir. En s’y dirigeant, il se perdit rapidement dans ses pensées. Il ne remarquait nullement son environnement, s’écroulant pratiquement à plusieurs reprises. Seuls la chance et un coup de pouce mystérieux empêchèrent cela. Le mage était satisfait. Son élève avait bien travaillé et n’avait pas trop rechigné à la tâche. Il acquérait naturellement tout l’enseignement du Maître. C’était dommage que son destin ne soit pas de devenir un mage complet. En même temps d’arriver à ses conclusions, il arriva au sommet de la tour et quelqu’un s’y trouvait déjà. Il paraissait attendre le magicien. Le sourire de Minester s’évanouit à cette pensée et à cette rencontre impromptue. Il n’était pas surpris, juste dérangé dans ses réflexions. Il reconnaissait la silhouette de Nirk appuyé contre les créneaux. Le responsable de la destinée de Disçart. Pour cela, il l’enviait énormément.

Le sommet de la tour était austère. Il n’y avait absolument rien. Ce n’était qu’un assemblage de pierre délimité par des créneaux. Le sommet n’avait qu’une valeur : observer les alentours. Le ciel s’obscurcissait tranquillement, mais il avait encore suffisamment de lumière pour voir. En fait, il était d’un beau dégradé de jaune et de rose qui descendait vers les ténèbres. Un beau firmament à admirer. Minester avait toujours adoré contempler la vue du haut de la tour, mais ce n’était pas le temps. Nirk et lui avaient à discuter de leur cher protégé. L’aîné des deux parla sans se retourner :

─ Bonsoir, Minester, comment ont été tes leçons avec Disçart?

─ Bonsoir Nirk, commença le mage avec un brin de sarcasme et en allant se placer à côté de son interlocuteur, je vais très bien merci. Je suppose que c’est ton cas aussi. Sinon, comme tu peux t’imaginer, il progresse très bien. Il en est impressionnant. Il ferait un magicien remarquable.

─ Nous avons déjà eu cette discussion, Min, répondit le Traqueur avec un sourire désolé. Il ne peut espérer avoir cette vie, mais je suis content d’entendre ta fierté pour lui. Il en a besoin… Maitrise-t-il toutes les bases?

Minester n’avait pas remarqué la déformation dans sa voix à la mention de son élève. Par contre, il croyait sincèrement en lui et il avait hâte de voir jusqu’où il irait. Il revint sur la discussion. Il expliqua avec des intonations d’irritations :

─ Pas complètement. Il progresse rapidement, mais il n’a pas eu assez de temps pour tout apprendre. Il lui manque de les intégrer surtout. La plupart atteignent ce niveau avec, au minimum, le double de temps. Alors, je ne crois pas qu’on devrait l’employer sur un champ de bataille encore. Il lui faudrait au moins encore un an pour être prêt.

─ C’est malheureux, mais on ne peut rien pour y faire, déclara mystérieusement le Traqueur. Dans quelque temps, il partira pour aller rejoindre les autres jeunes Traqueurs. Il est temps qu’il apprenne l’art de son Ordre. Il devra apprendre le reste sur le terrain.

Le rouge monta aux joues de Minester. La décision de Nirk était dangereuse. Un apprenti magicien laissé à lui-même pouvait faire beaucoup de mal. Les poings se fermèrent involontairement à cause de sa colère. Il répliqua :

─ Quelle idée stupide! C’est le mener à l’abattoir par impatience. Il a besoin enc…

─ Cela nous permettra de voir tout son potentiel! le coupa brutalement Nirk en se revirant pour la première fois.

Son regard était glacial et décidé. Personne ne pourrait le faire changer d’avis et il n’aimait pas la remise en question du mage. Il continua plus doucement :

─ Je ne peux plus le garder ici. Les autres Traqueurs ne me laissent plus le choix. Il doit, au moins, rencontrer les autres apprentis et les autres membres. Il est destiné à prendre leur tête. Alors…

Il ne continua pas et il se retourna vers l’horizon. Minester avait vu de l’inquiétude dans son regard pendant une fraction de seconde, mais cela ne changeait rien. Il était contre et il en fit part :

─ Dis plutôt que tu désires qu’il te remplace à leur tête. L’envoyer présentement pourrait le détruire. On ne sait pas s’il sera capable de contrôler son don. Il est rare qu’un candidat l’apprenne seul sans se détruire… Et il pourrait avoir un bel avenir comme magicien.

─ Tu sais très bien pourquoi c’est impossible ! rétorqua Nirk avec un ton plus élevé. Avec ce qui est arrivé quand on l’a trouvé, il ne peut avoir cette vie. C’est trop risqué. Ça seule chance est au sein de l’ordre. Sinon, nous aurions mieux fait de l’abattre. La décision est prise. Il partira et espérons… Non, croyons en lui. C’est le mieux que nous pouvons faire.

La réponse fit taire le mage. Il savait cela, mais il avait envie d’en faire plus. Il voulait le mieux pour son apprenti. Or, il ne trouva rien à dire et il regarda avec Nirk l’horizon en silence. Les deux étaient perdus dans leurs pensées pour Disçart. Sa vie et sa destinée passaient par les tunnels noirs des pires abysses. Personne ne l’envierait...

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