Deux Liam

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Je ne parvins pas a trouver le sommeil les trois nuits qui suivirent. Je ne sais trop comment l'expliquer, mais ce dernier rêve m'avait secoué terriblement, atteint au cœur si je puis dire. En y repensant, je ne parvenais pas a comprendre cette terrible angoisse qui m'étreignait les entrailles. Ce n'était qu'un rêve ! Je me répétai cela sans arrêt, sans toutefois parvenir a chasser totalement cette peur de replonger dans le sommeil. La simple vision de cet être, dans le miroir, provoquait chez moi des réactions étranges, similaires à ce que l'on peut ressentir face à un danger de mort immédiat. Lorsque, vaincu par la fatigue, je trouvais de nouveau le sommeil, ce ne fut que pour retourner dans la peau du jeune Liam. Heureusement pour moi, cette fois ne fut qu'un souvenir antérieur au rêve précédent, une leçon d'histoire dispensée par un professeur particulier.

Ce rêve ci fut court. Je me retrouvai dans la peau du jeune, très jeune, Liam Epsilom. Âgé d'une dizaine d'années environ, j'assistais sagement à une leçon d'histoire sur ma famille. Il était question d'un certain Liam Epsilom, mon homonyme et ancêtre né plusieurs siècles avant moi, chevalier de la cour des Nalavas, branche principale de la famille ducale disparue depuis trois générations. Mon grand-père puis mon père héritèrent alors du titre. Après mon père, ce serait mon tour et on me préparait pour ça. De nombreuses choses avaient changé depuis l'époque de Liam Epsilom le chevalier. A l'époque, mon ancêtre chevauchait auprès de nombreux autres chevaliers, petit nobliau parmi tant d'autres. L'époque des Grandes Sorcières qui commandaient aux hommes, aux bêtes et même au Temps, s'était achevé dans un grand brasier. Les magiciens légendaires mourraient, les uns après les autres, vaincu par le seul adversaire à leur mesure : le temps. Alors que le monde vivait en paix depuis des décennies, un magicien d'une grande puissance apparut. Nul ne parvint jamais à savoir qui il était vraiment ni d'où il venait. Mais nombreux furent ceux qui firent des conjectures, pendant son ascension et après sa défaite. Beaucoup s'accordèrent pour dire que le Nécromancien fut l'un des magiciens légendaires, l'un des héros qui vainquirent les Grandes Sorcières. Et il avait mal tourné, très mal tourné. Lorsqu'il se révélât au monde, se fut par un appel lancé par delà les airs. L'Appel aux Âmes résonna dans tout le duché de Nalavas, mais aussi dans les duchés voisins et les royaumes lointains de l'Est et du Sud et jusque dans l'Empire du grand nord.

Levez-vous, Ô serviteurs ! Levez-vous et rejoignez mon armée ! Levez vous et servez votre maître dans la mort !

Venez à moi, Ô mortels relevés !

Lorsque Liam termina d'écrire dans son cahier cet appel, il fut parcouru d'un frisson. Il n'avait pas besoin de la suite de la leçon ; chaque homme, chaque femme et chaque enfant dans le monde connaissais cette partie de l'Histoire. Et lui même mieux que tout autre. La terreur qui résulta de cet appel dura cinq années. Durant ces cinq années, des familles entières furent anéanties. Il y eut des milliers, des millions de morts. Des pays entiers furent ravagés, leur population entièrement décimée. Seuls résistèrent les duchés, grâce à une tradition martiale de chevalerie et de sorcellerie. Un épisode en particulier me revint en mémoire : la défaite du Nécromancien justement. Le souvenir des leçons d'histoire du jeune Liam se muèrent alors en un rêve différent.

Et je me retrouvais dans la peau de Liam Epsilom lui-même. Le chevalier. Jeune homme rompu aux arts de la guerre, ayant déjà combattu dans des tournois et des batailles contre d'autres pays. Pourtant, la peur, la terreur, emplissait tout mon esprit et me remuait les entrailles. Je me trouvais adossé à un gros rocher gris et froid, dans un décor tout aussi gris et froid fait de rochers et d'un sol caillouteux. Tout me semblait de la même teinte de gris : le sol, le ciel et le visage de l'homme qui se trouvait dans la même position que moi, plus loin sur ma droite. Il me regardait, l'air déterminé. Sur un signe de lui, je me relevais vivement et me mis a courir droit dans la direction à laquelle je tournais le dos une seconde plus tôt. Devant moi il n'y avait que ce paysage morne et une construction tout aussi grise et sinistre. Une sorte de tour carrée, apparemment faite d'un seul bloc. Rien ne semblait vivre dans ce décor de cauchemar.

A ma gauche, une ligne clairsemée d'hommes comme moi courait, revêtus de leurs armures, épée au poing. A ma droite, d'autres agissaient pareillement. Combien étions-nous, je ne saurais le dire clairement. Peu nombreux en tout cas. Pas assez. Devant moi une forme s'éleva soudain de terre, tel un esprit terrible décidé à nous barrer la route. D'autres formes se levaient un peu partout. Je compris que nous étions repérés. Fonçant droit devant moi, expulsant de mes poumons un cri guerriers libérateur, je me jetais sur la forme à peine humaine. Ma lame émit un bref éclat de lumière avant de toucher sa cible. Les os du squelette animé éclatèrent en morceaux et s'éparpillèrent alentours. Je vis d'autres revenants manipulés se lever de terre et se diriger vers nous. Je vis l'un de mes compagnons tomber sous les coups de ces créatures d'outre-tombe. Je ne m'arrêtais pas, fonçant toujours droit devant, réduisant en miettes nombre de ces macabres pantins. Lorsque j'atteignis le pied de la tour, je me retournais brièvement. Mes derniers compagnons tombaient sous les coups des gardiens des lieux. Un seul d'entre nous était parvenu jusqu'ici, j'étais le dernier. C'était leur dernier sacrifice. Celui qui, ils l'espéraient tous en rendant leur dernier souffle, me permettrait d'accomplir notre mission.

Notre armée comptait des milliers d'hommes lors de notre départ du Duché. Ce fut seul et terrifié que j'entrais dans la tour.

Les portes jonchaient le sol, défoncées. L'endroit se paraît d'une obscurité inquiétante et d'un silence obsédant. Rester ici pendant quelque heures seulement risquait de me rendre fou. Levant ma lame devant moi, j'avançais prudemment. Montant l'escalier central, je me retrouvais devant une porte branlante. J'entrais dans la pièce, faisant grincer sinistrement les gonds tordus et rouillés. Était-ce vraiment d'ici que provenait tout notre malheur ? Pourquoi de cette endroit sinistre et abandonné s'était abattue la mort et la désolation sur des royaumes, des pays, des empires entiers ? Ce que je découvris me consternât.

Dans un lit brisé gisait une forme d'homme. M'approchant, je ressenti un malaise profond et senti une odeur déplaisante, mélange de sueur rance, d'excréments et de décomposition. Le corps du vieillard qui gisait là ne pouvait être la cause de tout notre malheur ! De toutes ces choses atroces qui, depuis cinq ans, ravageaient notre monde ! Mais les yeux du mort s'ouvrirent soudain en grand, et il y avait dans le regard qu'il me lança la malveillance la plus absolue, la colère la plus froide. Et malgré son impuissance manifeste, je fus frappé d'une peur irraisonnée. Je levais ma lame et l'abattit sur le corps ni vivant ni mort de cet être diabolique. Je levai ma lame de nouveau, l'abattis encore. Pris d'une folie et d'une rage panique, je m'acharnai sur le corps du vieillard puis, afin d'être sûr de sa mort, j’incendiai les lieux.

Le rêve se troubla à cet instant. Je me vis encore descendre le monumental escalier. Je me souviens d'un dernier regard en arrière vers la tour embrasée. Puis le réveil.

Je me réveillai en nage et tremblant au beau milieu de la nuit, le cœur battant à tout rompre, des crampes dans les mains et les jambes.

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