Chapitre Dix.

12 minutes de lecture

10. « Aux défis. » Partie 2.

►_______________◄

(Point de vue Ryk.)

Jace a comme à son habitude, eu une idée farfelue. Il fallait qu’il décide de nous réunir tous les quatre, ses meilleurs amis, autour de lui. Cette idée aurait pu être sympathique si nous nous connaissions. Mais nous allons tous nous retrouver à plonger dans un bassin, sans filet de sauvetage. Il sait que Lévy et moi évitons le contact humain au maximum. Mais nous ne pouvions pas lui refuser cela. Mais d’un autre côté je ne suis pas déçu de me trouver ici, et je me demande d’ailleurs s’il ne l’a pas prémédité. Coraline est une très belle jeune femme, elle incarne la joie de vivre et illumine la table. Et il ne faut pas se fier à son air innocent, elle est intelligente et à de la conversation. Même Lévy se prête au jeu de parler avec elle. Opaline reste en revanche une énigme. Elle semble vraiment proche de Jace et je me demande, si au fond, les sentiments qu’ils se portent l’un à l’autre ne cachent pas plus que de l’amitié. La manière qu’il a de la protéger, de la regarder, de lui prendre la main, me rend perplexe. Peut-être sont-ils déjà sortis ensemble ? Ou peut-être que cela arrivera dans le futur ?

Mais une chose est certaine, c’est que ce que j’ai entre aperçus au début du repas me laisse songeur. Elle représente la discrétion, presque la timidité au vu de la façon qu’elle a de triturer ses doigts ou ses cheveux noirs. Mais dans le même temps, elle arrive à captiver ceux qui l’entourent. Je suis persuadé qu’elle ne s’en doute pas. À moins que ce soit un masque, un jeu pour elle de se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Mais après le défi qu’elle m’a lancé, je ne compte pas me défiler. C’est comme-ci, Opaline avait réussi à réveiller quelque chose en moi. Peut-être est-ce simplement mon égo, qu’elle a taquiné qui me pousse à franchir quelques barrières que je me suis imposées. Je l’ignore. Je l’observe rire avec Jace ou même prêter une oreille discrète à la conversation de Lévy et Coraline. Et je remarque bien qu’elle fait aussi tout son possible pour ne pas me regarder. Je sais qu’elle sent mes yeux sur elle, mais qu’elle fuit volontairement la confrontation.

J’en profite donc pour la dévisager et voir à quel point entre Coraline et elle, on a sentiment de contraste les concernant. L’une à la peau hâlée, l’autre blanche, l’une les yeux clairs, l’autre sombre, l’une les cheveux blonds, l’autre noir, s’en est fascinant. Parfois, elles s’échangent quelques messes basses avant de rire ou simplement secouer la tête. Elles sont physiquement à l’opposée et pourtant sur la même longueur d’onde. Et même si je sais qu’elles ne se connaissent que depuis peu, un lien les relie c’est indéniable. Peut-être pas aussi fort que celui qu’Opaline entretient avec Jace, mais c’est sûr qu’il existe et qu’il est puissant. C’est le serveur qui apporte nos assiettes qui me sort de ma contemplation et m’oblige à reprendre le fil de la discussion.

— Alors tu vis avec ta mère ? questionne Lévy.

— C’est cela, répond Coraline en souriant.

— Et tu es enfant unique ? Ton père ne vit pas avec vous ? continue mon ami.

— Je suis fille unique, et mon père, hésite-t-elle. Je…

— Pardon, j’ai trop insisté, s’excuse Lévy.

— Tu ne pouvais pas savoir, en fait mon père est décédé le jour de ma naissance… On ignore toujours pourquoi et j’évite d’aborder le sujet avec ma mère, reprends la jeune femme les yeux larmoyants.

Je remarque qu’Opaline lui serre la main discrètement et lui sourit tendrement.

— Et toi Opaline ? demandé-je.

— Euh, dit-elle surprise. Mes parents habitent à Fordommer, je n’ai pas de frères et sœurs non plus, répond-elle doucement.

— Et ils ne sont pas tristes que tu vives si loin ? continué-je.

— C’est un interrogatoire ? questionne-t-elle en haussant un sourcil.

— Non, je veux juste apprendre à te connaitre.

Je l’observe manger sa salade et me demande si elle va me répondre ou pas. Lorsque j’approche la brochette de flétan de ma bouche, j’entends sa petite voix.

— Ils n’ont pas été tristes, commence-t-elle. Ils étaient en colère et m’ont dit que je commettais la plus grosse erreur de toute ma vie. Pour eux, vivre ici, c’est trahir mes origines et donc les trahir, conclut-elle en soupirant.

— Pourquoi ? insisté-je surpris.

— Parce que je cite « la Capitale est la ville du péché, du mal et de la cruauté. », enfin quelque chose du genre, rit-elle doucement. Pour eux, je vais salir notre nom et ramener une malédiction en prime.

— Et tu en penses quoi ? m’intéressé-je.

— Que ce sont de simples superstitions, alimentées peut-être par la peur de voir leur fille unique s’épanouir… Je n’en sais rien en fait, je ne sors pas assez de ma grotte pour confirmer s’il y a vraiment de grand et méchant monstres qui rôdent dans la ville, me taquine-t-elle.

— Waouh, interromps Jace. Deux blagues en une soirée, tu es sûre que tu n’es pas malade ? charrie Jace.

— La ferme, secoue-t-elle la tête. Si tu continues, je me barre, décrète-t-elle.

Il lève les mains en signe de reddition, mais sourit.

— Pourquoi es-tu venue alors ? Si tes parents étaient contre, cela n’a pas dû être évident ? questionne Lévy intrigué.

— Parce que, commence-t-elle en réfléchissant.

Jace l’encourage d’un signe de tête, mais je vois dans son regard qu’elle hésite. Il lui prend la main et lui murmure quelque chose à l’oreille, mais cela n’a pas l’air de la convaincre pour autant.

— Parce qu’ici se trouve un imbécile auquel je tiens beaucoup et qu’en plus je n’aurais jamais pu exercer mon métier pleinement dans le village, avoue-t-elle. Et peut-être aussi un peu pour remettre l’autorité de mes parents en doute, grimace-t-elle.

— T’as avoué que tu tenais à moi, chantonne Jace.

— Profites-en ça ne risque pas de durer, affirme-t-elle avec un air sérieux.

— M’en fous, tu l’as dit devant mes amis, ça me suffit, dit-il fièrement.

— Un vrai gosse, marmonne Opaline en secouant la tête.

— Ça, je confirme, dis-je en observant Jace.

— C’est parce que vous êtes tous les deux des asociales que vous affirmez cela, si vous étiez comme moi, vous comprendriez, renchérit Jace.

— Mais on ne veut pas te ressembler, lâchons-nous en même temps avec Opaline.

Elle me regarde et sourit faiblement. Je lui offre un clin d’œil qui la fait rougir. Finalement, elle ne joue peut-être pas la comédie, elle est simplement discrète et ce cocon qu’elle a bâti autour d’elle semble assez confortable et solide pour lui donner l’envie de ne pas se mélanger aux autres. C’est quand même assez étrange, surtout qu’avec ses formes elle ne doit pas laisser les hommes indifférents alors je me questionne sur le pourquoi ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’elle n’exploite pas son potentiel comme le fait Coraline ? Bien que, je commence à me poser des doutes sur elle aussi. Je la vois lancer quelques œillades à Opaline et me demande ce qui se passe entre elles. Et soudain, je comprends. Discrètement, si on les observe bien, elles veillent l’une sur l’autre et se rassurent mutuellement. Ce qui me surprend c’est ce manque d’assurance dont semble avoir besoin Coraline. Et surtout de constater que c’est Opaline qui le lui offre sans condition. Je n’y aurais jamais cru.

Le repas était succulent et le vin coule à flots entre nous, et l’ambiance légèrement tendue a quasiment disparu de la table. Nous rigolons et profitons de l’instant. Je me sens détendu et Lévy se penche vers moi.

— Finalement, Jace n’a pas eu une si mauvaise idée, elles sont sympas, chuchote-t-il.

— Hum, réponds-je distraitement.

— Ryk ? m’interpelle mon ami.

— Oui ? fais-je innocemment.

— Qu’est-ce qu’il se trame dans ta tête ? s’intéresse-t-il avec un petit sourire.

— Juste… Je ne sais pas, éludé-je.

— C’est ça ouais, rit-il doucement.

Le gâteau arrive et nous hésitons à chanter. Mais comme à son habitude, c’est Jace qui lance la chose et nous suivons en riant. Il souffle ses bougies et nous nous servons. Jace interpelle le serveur pour lui murmurer quelque chose à l’oreille et le serveur acquiesce avant de partir. Qu’est-ce qu’il mijote encore ? Nous l’observons tous revenir avec une bouteille en main qu’il dépose sur la table et s’éloigne.

— Alors là, sans moi, s’exclame Opaline.

— Allez, juste un verre, c’est mon anniversaire, t’as pas le droit de dire non, s’amuse Jace.

Opaline lève les yeux au ciel en secouant la tête, Coraline ne retient pas un grand sourire qui illumine son visage.

— Tu as peur de finir dans le même état qu’il y a un mois ? taquiné-je Opaline.

Elle rougit immédiatement et se tasse sur son siège gêné.

— La ferme.

— Oh mon dieu ! le premier la ferme d’Opaline envers Ryk, tu viens d’entrer dans un cercle très privé vieux, s’amuse Jace.

— Non, c’est simplement parce qu’un ta gueule aurait été de trop, corrige la jeune femme.

— Ouh, mais c’est qu’elle est vulgaire, me moqué-je.

— Si tu savais, dit-elle énigmatique.

Elle attrape la bouteille d’Aquavit pour se servir un verre avant de me la tendre avec un regard de défi. Je l’empoigne avec un petit sourire en coin et l’imite.

— Aux défis, dis-je en trinquant.

— Aux défis, reprend-elle avant de boire le shooter d’un trait.

Je souris et avale le mien en ne la quittant pas des yeux. Peut-être que je devrais présenter mes excuses à Jace, sur le fait d’avoir mal jugé sa meilleure amie. Mais je sais que je ne le ferai pas. Et je sais qu’il le comprendra. Son petit sourire rieur qui vient compléter son regard sombre et pourtant pétillant la rend spéciale. Je crois apercevoir ce que Jace voit en elle. Nos autres amis se servent à leurs tours et une fois le verre d’Opaline et le mien de nouveau pleins, nous les levons tous.

— Je vous remercie tous d’avoir fait l’effort de vous réunir autour de moi pour ce jour particulier, commence Jace légèrement ému. Merci surtout à toi, Ope, de me supporter, d’être mon repère dans ce monde, de m’avoir permis d’en arriver là où j’en suis.

Opaline attrape sa main, la serre en lui adressant un petit sourire et je remarque ses yeux larmoyants.

— J’espère que nous aurons l’occasion de fêter d’autres anniversaires ensemble, reprend Jace. Que nous aurons aussi la chance de nous réunir à diverses occasions, parce qu’il faut profiter de ce que nous avons, avant de le perdre, conclut-il en buvant son verre.

Opaline l’observe la mine beaucoup plus sévère avant de se pencher pour lui murmurer quelque chose. Jace secoue la tête et lui offre un regard noir, auquel la jeune femme répond par la négative puis glisse la main sur son visage. J’ignore ce qu’il se passe entre eux, mais je devine que ce n’est pas le parfum du gâteau qui a mis Opaline dans cet état. Jace soupire, mais finit son dessert en lui jetant quelques œillades suppliantes. Elle coince ses lèvres entre ses dents, en levant les yeux au ciel et de lui offrir un demi-sourire. C’est la voix grave de Lévy qui me ramène sur terre.

— Je n’y crois pas ! s’exclame-t-il. Tu pratiques la boxe ? Toi ? s’étonne-t-il.

— J’ai commencé toute jeune, avant d’arrêter, mais oui, j’ai repris il y a une semaine, confirme Coraline. D’ailleurs, j’ai emmené Opaline avec moi, déclare-t-elle fièrement.

— Toi ? La boxe ? m’étonné-je à mon tour.

— Je voulais essayer, et puis si la ville n’est vraiment pas sûre, cela ne me fera pas de mal de savoir me défendre, sourit-elle.

— Je ne t’imaginais pas sportive, souligné-je simplement.

— Tu dis cela à cause de mes formes ? s’agace-t-elle.

— Non, non, reprends-je rapidement. C’est juste que…

— Que quoi ? m’interrompt-elle. Alors tu fais partie de ses connards de mecs qui jugent le physique ? Tu n’es pas capable de voir au-delà ? se lève-t-elle. Pathétique.

Elle salue Lévy et Coraline avant de tendre son cadeau à Jace et de déposer un baiser sur sa joue puis de s’éloigner.

— Opaline attend ! crié-je en me levant.

— Ça ne sert à rien, me prévient Jace. Tu viens de gaffer et gravement en plus, souligne-t-il.

— Je n’ai jamais sous-entendu quoi que ce soit par rapport à son poids, m’énervé-je.

— Peu importe, reprend le jeune homme en secouant la tête. C’est un sujet sensible pour elle, m’explique-t-il.

— Et alors quoi ? Je dois me taire, de peur de la voir me rentrer dedans à chaque parole ? m’agacé-je.

— Quand tu la connaitras, tu ne diras plus cela, et puis l’alcool n’a pas arrangé les choses, déclare-t-il.

— Et tu vas la laisser partir ? Alors qu’on sait tous que la ville n’est pas sûre ?

— Elle a besoin d’être seule, et je ne m’inquiète pas pour elle, il ne lui arrivera rien, affirma-t-il.

Je reste debout, les bras ballants, ne sachant pas comment réagir. Je sais que si j’y vais elle risque de me jeter, mais si je ne bouge pas et qu’il lui arrive quelque chose, j’en serais responsable. Je prends mes cheveux entre mes doigts et observe Jace. J’ai envie de lui mettre une claque pour chasser cet air serein qu’il affiche, alors que le doute s’est emparé de moi. La situation devrait être inverse, lui s’inquiétant pour sa meilleure amie et moi tranquillement installé sur mon siège. Il regarde le paquet qu’Opaline lui a offert et déchire le papier cadeau. C’est une petite boite en métal qu’il ouvre et lorsqu’il voit le contenu ses pupilles s’écarquillent de surprise. Il en sort une chaine en argent sur laquelle repose un pendentif que je n’arrive pas à distinguer. Jusqu’à ce que Jace le lève pour l’admirer. Il s’agit d’une magnifique tête de lynx avec à la place des yeux, deux pierres de jade, comme les prunelles de celui qui la tient.

— Je suis désolé, mais je dois rejoindre Opaline, dit-il rapidement en se levant.

— Mais et mon cadeau ? s’étonne Coraline.

— Promis, je passe te voir demain matin à la première heure ! s’exclame-t-il en embrassant sa joue. Encore merci pour toi ! À demain !

Dans sa précipitation, il évite de peu de renverser le plateau de la serveuse et s’excuse avant de sortir en courant. Nous nous regardons tous les trois en nous demandant ce qu’il vient de se produire.

— Bon bah, je vais peut-être y aller aussi, déclare Coraline perdue.

— Tu es sûre ? l’interroge Lévy. On est de si mauvaise compagnie ? rit-il.

— Non, non euh… hésite-t-elle. Écoutez, ne le prenez pas mal, mais…

— T’inquiètes pas, on comprend, la rassuré-je. On va te raccompagner si tu veux ? proposé-je.

— Je ne veux pas vous embêter, je n’habite pas loin, ça devrait aller, déclare-t-elle.

— Tu habites sur notre chemin, ce serait con qu’on ne t’accompagne pas, insisté-je.

— D’accord, acquiesce-t-elle en me remerciant.

Nous nous levons tous les trois et enfilons nos vestes avant de sortir. Nous n’oublions pas de faire mettre la note au nom de Jace, comme il nous l’avait conseillé et nous quittons le restaurant. J’en profite d’être à l’extérieur pour m’allumer une cigarette et regarder le ciel. La nuit est totale, la lune l’ayant fui ce soir ne laissant la place qu’aux étoiles qui l’illuminent. Je tire sur mon mégot et avance perdu dans mes pensées. Lévy marche aux côtés de Coraline, mais aucun d’eux ne prononce de mots, ce qui ne me permet pas d’essayer d’échapper à mes questions, les actes qui tournent en boucle dans ma tête. J’ignore ce que Jace a perçu dans ce cadeau, j’ignore si Opaline acceptera de repasser du temps avec nous, j’ignore beaucoup de choses en réalité. Et c’est cette sensation, ce non-contrôle, qui m’empêche de trouver la sérénité. Et je déteste me trouver dans cette position. Je venais de déclencher un tout nouveau défi. Découvrir ce que cachent Opaline et Jace.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Tynah Paijy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0