Chapitre VI Nuit de noce

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Avril 1852, New York

Une fine couche de neige était tombée sur la ville. Le piétinement des hommes, des chevaux, avait transformé le tapis, d’une blancheur immaculée en gadoue collante. Tout était morne, gris, froid, un ciel bas se confondait avec le fleuve. L’eau de l’Hudson, boueuse et sale, devait être glaciale. Hormis les sempiternels canards autochtones et les goélands, personne n’aurait été assez fou pour s’y baigner ! C’était drôle de penser qu’ici même, il y avait tout juste deux cents ans, des bandes d’indigènes, des Delaware et des Algonquins traversaient encore en canoë les rivières et les bras de mer pour attaquer ce qui n’était, à l’époque qu’un famélique village ! des tulipiers, des chênes, des pins, des marronniers poussaient sur le sol fertile de cette ile vallonnée parsemée de marais, les colons se nourrissaient de cerf de virginie de dindons sauvage de maïs et de potirons.

Jean-Thomas enfant avait lu avec délectation les livres que son oncle avait acheté à Marseille, le dernier des Mohicans faisait partie du lot. Il se le rappelait, ça le faisait sourire maintenant : tante Lucie était souvent furieuse contre son mari qui dépensait des fortunes en livres inutiles. Son père non plus n’avait pas partagé ce goût de la découverte cet amour des romans.

Il s’était violemment disputé avec son grand frère à la disparition de son fils ainé !

— Si tu ne lui avais pas mis dans son citron d’abruti toutes ces conneries, toi et tes livres, Augustin n’aurait pas eu toutes ces chimères plein la tête. Il a sûrement dû vouloir vérifier si les belles du Canada avaient vraiment des culottes en peau de castor ! Peuchère ! Si les sauvages ne le mangent pas en civet, il aura de la chance !

Et il s’était alors brusquement retourné sur le plus jeune de ses fils ! Et avait aboyé contre lui également !

— Toi aussi Thomas, si je te vois encore avec une bêtise de ton oncle à la main, je te dévisse la tronche d’une torgnole !

Il n’était pas méchant le paternel, il avait quelquefois des sautes d’humeur puissantes et brèves. Dans ces moments-là, il fallait se mettre à l’abri et attendre que ça passe !

Ils n’avaient plus jamais parlé d’Auguste César après ça !

Il en avait la gorge nouée, il n’y avait pas un jour ou il n’était pas nostalgique… son père était mort, sa mère également, ne lui restait qu’une sœur au pays qui espérait le retour d’un fiancé et d’un frère emprisonné chez les mahométans. Il n’oubliait pas bien entendu la petite Victorine, sa petite-nièce, il voyait en songe son visage de poupée de porcelaine et ses grandes mirettes rondes d’enfant rieur. Il regarda à la dérobée sa femme, caressa fugacement son épaule nue, mon Dieu qu’elle était séduisante. Sa belle tignasse fauve en bataille, ses yeux verts à moitié ouverts, l’ombre du sommeil planai encore sur elle. Il lui fera une fille, aussi mignonne que l’était cette gamine ! Il se remémorait souvent cette menotte enfantine qui lui disait au revoir, ce jour maudit où il avait enterré ses parents.

La tante de Maureen qui les hébergeait actuellement avait dans sa bibliothèque, des livres qu’il avait tenus autrefois dans ses mains.

les aventures de bas de cuir, la prairie… ils étaient écrits en anglais bien entendu, ceux qu’il avait lus étaient traduits en français par un certain Auguste Jean-Baptiste Defauconpret,

Les histoires se passaient dans la région de New York du temps ou les trappeurs de nouvelle France écharpaient les tuniques rouges du roi Georges !

Malgré l’interdiction de son père, il chapardait dans la maison du tonton des romans qu’il emportait au fond des bois pour les dévorer. Il était amoureux des filles Monro, surtout d’Alice ! Et s’entrainait à courir sans bruits sur les feuilles sèches, les après-midi d’été, sans succès bien entendu, il n’était ni Oeil de faucon, ni Magua !

Le petit immeuble victorien sur les quais était tout de même plus confortable que l’immonde cloaque de Mulbery Street ! Ici les rats ne vous rongeaient pas les orteils et vous n’étiez pas réveillé en plein cœur de la nuit par des cris à vous glacer le sang. Les raclements des roues de la charrette du croque-mort venant récupérer au petit matin sa moisson nocturne ne vous tirait plus du lit dès potron-minet non plus !

Abigaël avait rompu avec son beau révolutionnaire, il avait repris sa liberté et courrait les meetings politiques avec ses nouveaux amis Leroux Billard et Sardou. La jolie Irlandaise bientôt quarantenaire s’était rapprochée de Neels Okham avec qui elle projetait de s’associer, financièrement dans un premier temps ! Le marché des alcools local étant florissant, elle se rêvait à la tête d’un empire du sirupeux, même si elle se savait n’être qu’une pauvre veuve, Neels ne lui résistera pas longtemps. Le petit cimetière niçois était si loin désormais…

Elle n’avait pas oublié sa nièce Dana non plus. En femme d’affaires avisée, elle l’avait envoyée commercer à Baltimore, la ville littéralement envahie par les Irish people serait bientôt le paradis des buveurs de scotch et de houblon. Surtout, là-bas, Dana prendrait le temps d’y guérir ses blessures. Il faudrait bien qu’un jour elle fasse son deuil d’Alaina, Padraig, Anna, Tom et Desmond… Avec un peu d’argent, les bureaux du port les registres de l’armateur seront plus accessibles. Dans ce port où le King William III aurait dû débarquer sa marchandise humaine, des gens devaient connaître le nom des disparus avec certitude.

Maureen se réveilla tout doucement, elle voulait encore rester dans ce demi-sommeil qui n’était ni la réalité ni un songe, elle remonta sa couette en duvet d’oie sur son corps nu et ouvrit les yeux. Elle n’avait pas rêvé cette nuit, le joli brun qui avait partagé sa couche était là de dos, elle admirait son torse musclé, ses fesses rondes. .. il dut sentir ce regard appuyé il se retourna la contempla gourmand avec son de chien battu. Elle ne put résister, rapidement elle enfila sa douillette en coton qui gisait au fond des draps froissés et courut se jeter dans les bras de son mari. Elle l’embrassa dans le creux du cou, sa barbe naissante qu’il rasait depuis peu lui picota agréablement sa peau fine de rousse. Elle se lova contre lui, épousant ses courbes avec son corps, elle n’avait pas envie de faire l’amour, pas tout de suite, elle savourait encore sa brulante nuit de noces, en gardait la chaleur dans son ventre, elle voulait juste qu’il soit là, avec elle. Sa main chercha la main de l’autre, la trouva ; elle caressa avec l’index et le pouce cet anneau d’or qu’elle lui avait enfilé la veille.

— Je suis à toi, tu es à moi, ensemble nous allons tracer notre route, retrouver Sean et Auguste-César puis nous ne devrons plus rien à personne. Pensa-t-elle, sans se rendre compte qu’elle l’avait murmuré ?

Jean-Thomas souleva sa femme comme si c’était une brassée de paille, la jeta sur le lit encore chaud et amorça le geste d’enlever cette affreuse robe de coton qui masquait les rondeurs de sa dulcinée. Lui, goinfre à l’appétit démesuré n’était pas repus de cette nuit si riche en émotion. Elle se dégagea avec un petit rire de gorge.

— Tu as la vie entière pour ça, tu n’en as donc jamais assez Thomas Icard ! je m’appelle Maureen Icard désormais, tu pourras m’arracher mes vêtements le soir venu ! Et tous les autres après.Mais si nous voulons être en Californie avant l’hiver, il ne nous faudra pas trop trainer.

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